La sage-femme Béatrice Idiard-Chamois dans son cabinet à l'Institut Mutualiste Montsouris à Paris.
La sage-femme Béatrice Idiard-Chamois dans son cabinet à l'Institut Mutualiste Montsouris à Paris. Tous droits réservés Lucía Riera/Laura Llach

France : stérilisation des femmes handicapées, le consentement en jeu (épisode 2/5)

Par Lucia Riera BosquedLaura Llach Gil
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Une série à suivre cette semaine sur Euronews : la stérilisation forcée des femmes en situation de handicap en France, dont presque 500 sont stérilisées chaque année, parfois sans leur consentement.

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Dans une petite clinique gynécologique de Paris, Béatrice Idiard-Chamois, une sage-femme, accueille une nouvelle patiente. Il s'agit d'une jeune femme, autiste, et qui ne parle pas. Elle est accompagnée de sa mère et d'une sage-femme qui travaille au sein de l'établissement pour personnes handicapées où elle va être admise.

La mère réclame une ligature des trompes de sa fille, qui n'a jamais eu de relations sexuelles. La consultation se déroule sans encombre et Béatrice Idiard-Chamois procède à un examen externe. La patiente, bien qu'incapable de parler en raison de son handicap, n'exprime aucun désaccord. Mais la sage-femme qui réalise l'examen médical refuse la demande de stérilisation et propose une alternative, qu'accepteront finalement les parents.

Lucía Riera/Laura Llach
La sage-femme Béatrice Idiard-Chamois dans son cabinet à l'Institut Mutualiste Montsouris à Paris.Lucía Riera/Laura Llach

En 2015, Béatrice Idiard-Chamois a ouvert la seule clinique en France spécifiquement adaptée aux femmes handicapées, à l'Institut mutualiste Montsouris à Paris. Depuis, elle a vu plus de 700 patientes et reçu une demi-douzaine de demandes de stérilisation avec des handicaps sous tutelle, "le plus souvent de la part des parents", souligne la sage-femme, qui tente toujours de les en dissuader et de leur proposer des alternatives "moins violentes et définitives".

En France, 500 femmes handicapées sont stérilisées chaque année

"Les centres d'hébergements pour adultes handicapés demandent toujours aux résidentes de prendre des contraceptifs pour être acceptées", explique Béatrice Idiard-Chamois, car "cela évite les problèmes". Dans plus de cent cas qu'elle a traités, les femmes en situation de handicap du centre parisien de Montsouris étaient sous traitement contraceptif.

"C'est le centre qui donne la pilule aux femmes de la clinique. Elle est prescrite par un psychiatre, mais aucun médecin spécialisé ne donne son avis. Ils donnent la même pilule à toutes les femmes sans examen gynécologique", ajoute-t-elle.

En France, comme dans le reste de l'Europe, cette pratique n'est quasiment pas répertoriée. "Nous soupçonnons qu'il y a probablement des stérilisations effectuées sans réel consentement, à la demande des familles, qui s'arrangent avec le gynécologue", déclare le Dr. Catherine Rey-Quinio, conseillère médicale de l'Agence régionale de santé d'Ile-de-France.

Le Dr. Rey-Quinio indique avoir reçu en moyenne deux à quatre demandes de stérilisation par an au cours de la dernière décennie. Deux d'entre elles ont eu lieu ces quatre dernières années, en 2021, et ont reçu le soutien du comité régional d'experts qui évalue chaque demande de stérilisation.

Euronews a envoyé une demande à toutes les agences régionales de santé françaises, qui n'ont pas souhaité partager leurs données. Les seules statistiques officielles recueillies au niveau national datent de 1998. Selon un rapport de l'Inspection générale du secteur social (IGAS), environ 500 femmes handicapées sont soumises chaque année à une ligature des trompes.

"On n'est jamais certain qu'elles aient vraiment compris"

"C'est clair, si une femme dit non, c'est non", affirme Didier Seban. L'avocat, qui travaille chez Seban Avocats, précise que le plus important dans la loi est de s'assurer du consentement des femmes en situation de handicap. Pour toute stérilisation d'une personne handicapée sous tutelle, un juge doit s'assurer que la personne concernée a compris le processus et qu'elle l'accepte

Mais la question est de savoir s'il est facile de s'assurer du consentement des personnes concernées, surtout lorsque le handicap dont est atteint le patient l'empêche de s'exprimer oralement.

"Il faut être honnête, ce n'est pas facile du tout. On n'est jamais certain qu'elles aient vraiment compris, puisque leur mode d'expression est assez limité. Lorsque le handicap mental est très profond, il y a parfois des jeunes femmes dont on sait très bien qu'elles ne comprennent pas ce que l'on dit et qu'elles ne peuvent donner leurs avis", admet Ghada Hatem, gynécologue au sein du comité d'experts qui évalue chaque demande de stérilisation.

C'est pourquoi "on se repose parfois sur l'avis des parents ou la demande des parents lorsque cela nous semble raisonnable", admet-elle. Bien que l'avis du comité - composé de gynécologues, de psychiatres et d'associations - ne soit pas contraignant, Ghada Hatem explique que les juges vont rarement à l'encontre de l'avis du comité d'experts.

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Ghada Hatem, gynécologue au sein du comité d'experts.Euronews

Avant de procéder à la stérilisation, les experts doivent s'assurer que tout autre moyen de contraception ne peut être utilisé par la patiente : car certaines méthodes peuvent s'avérer compliquées à gérer, comme la pilule contraceptive qu'il faut prendre tous les jours.

"Il ne faut pas rêver", acquiesce le Dr Rey-Quinio, qui coordonne le comité d'experts d'Ile-de-France depuis Paris. La décision médicale dans ces cas-là repose sur "ce que l'on considère comme le bénéfice-risque de l'intervention pour le patient".

C'est ce qui est arrivé en 2016 à l'une des patientes de Béatrice Idiard-Chamois. Le gynécologue qui travaillait avec la sage-femme avait signé la recommandation au juge de stériliser une jeune fille qui n'était pas en mesure d'exprimer sa volonté. Il s'agit là de la seule demande de stérilisation acceptée depuis l'ouverture de la clinique.

Béatrice Idiard-Chamois, la sage-femme, était contre cette stérilisation. "La patiente était une jeune femme pour qui l'implant contraceptif n'avait pas fonctionné et sa mère ne cessait de nous harceler pour que nous signions l'autorisation", se souvient-elle, contrariée de ne pas avoir pu obtenir le consentement de la patiente.

Ce reportage a été réalisé avec le soutien de Journalismfund Europe.

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