Marco Bellocchio livre un film implacable sur la mafia

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Par Frédéric Ponsard
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Le Traître est l'histoire véridique du premier repenti de la mafia à l'orée des années 80. Une plongée implacable dans l'enfer du crime organisé et la reconstitution de l'un des plus grands procès de l'histoire italienne.

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Le Traître (Il Traditore) de Marco Bellocchio (2h31)

Sortie le 30 octobre

Marco Bellocchio est l'un des derniers géants du cinéma italien. A presque 80 ans, il signe un biopic d'une vitalité incroyable qui revient sur l'histoire du premier repenti mafieux sicilien à l'aube des années 80. Le portrait implacable d'un homme et d'un système.

Si le film en compétition à Cannes n'a pas eu de prix, c'est que la cuvée de cette année était exceptionnelle. Il aurait pu en effet aussi bien repartir avec un Prix d'interprétation (qui a échu à Antonio Banderas pour son rôle dans le dernier Almodovar) pour Pierfrancesco Favino, encore peu connu de ce côté des Alpes, ou un Prix de la mise en scène ou du scénario tant les 2h30 du Traître se laisse voir sans ciller et sans ennui. Une plongée intime et politique dans l'histoire récente italienne et du premier grand coup porté dans les années 80 à la Cosa Nostra. Outre l'histoire de Tomasso Buscetta et d'une trahison dont les motivations restent ambigües, le film est aussi l'histoire du juge Falcone et de la machine judiciaire italienne qui a essayé d'endiguer un système qui gangrène la botte depuis des lustres.

Le film démarre bien avant le repenti de Buscetta, à l'orée des années 70 ou l'homme, devenu l'un des parrains de la Mafia sicilienne, surfe sur le pouvoir que lui a donné le crime organisé. Le puissant clan des Corleone règne en maître sur l'île mais les manières sanglantes et aveugles de l'organisation criminelle rentre en contradiction avec ses principes. Pour échapper à une vendetta, il s'exile au Brésil où il commence un juteux trafic de drogue mais qui ne durera pas : la police carioca l'arrête et l'extrade vers l'Italie. A partir de là, et contre toute attente, Buscetta décide de se livrer à un grand déballage qui conduira au plus grand procès anti-Mafia de la péninsule.

La réussite majeure de Bellocchio est de ne pas tomber dans la reconstitution historique linéaire en livrant un film monolithique à la morale bien tracée. Il choisit au contraire une voie beaucoup plus escarpée qui alterne la tragédie shakespearienne et la Comedia dell'Arte, évitant au passage toutes explications psychologiques. Les intentions du "traître" restent nébuleuses : vengeance, jusqu'au-boutisme suicidaire, volonté de protéger sa famille, désir de vérité ? Pierfrancesco Favino incarne à merveille un animal hiératique, drapé dans un code de l'honneur dont lui seul semble avoir les clés. La confrontation avec le Juge Falcone sera l'un des points d'orgue du film lorsque les deux hommes, isolés chacun dans leur solitude et leur combat, se comprendront et montreront leur respect mutuel au delà des mots.

Les scènes de procès sont particulièrement théâtrales et sont filmées comme si nous étions dans une arène, spectateurs de la confrontation d'un gladiateur isolé entouré de bêtes sauvages qui hurlent et montrent leurs crocs à travers leurs cages. Le procès réel donna lieu en 1986 à Palerme à la comparution de plus de 500 personnes soupçonnées d'appartenir au crime organisé, dont les "Parrains" les plus influents de l'île. Les joutes verbales comme les comportements des personnages, évidemment tous véridiques, sont souvent grotesques et seraient presque drôles, s'ils ne sortaient de la bouche d'assassins.

Au final, c'est néanmoins le sentiment d'impuissance de la justice face à un système basé sur l'intimidation, le silence et la violence qui prédomine. Et celui que l'on appelle "le traître" n'est peut-être au contraire que le seul qui ne trahit pas ce en quoi il croit : l'honneur.

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