L'art de l'Ukraine en résistance à la Biennale de Venise

Lesia Khomenko and Frédéric Ponsard at La Scuola Grande della Misericordia
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Par Frédéric Ponsard
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A la 59e Biennale de Venise, le projet artistique militant "This is Ukraine: Defending Freedom @ Venice 2022" met en lumière la culture et l'art ukrainiens, et réunit des artistes internationaux qui ont pris fait et cause pour le pays frappé par l'invasion russe.

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La 19e Biennale de Venise accueille dans ses événements parallèles, "This is Ukraine: Defending Freedom". Un projet artistique monumental et militant, organisé dans l'un des plus vastes bâtiments de la Sérénissime, la Scuola Grande della Misericordia.

Cette exposition regroupe non seulement le passé et le présent de l'art ukrainien, mais aussi plusieurs œuvres des plus grands artistes contemporains de la planète, mobilisés contre la guerre. L'événement est présenté par le PinchukArtCentre de Kyiv et la Fondation Viktor Pinchuk, sous l'égide de l'homme d'affaires et philanthrope homonyme, avec le soutien de Volodymyr Zelensky. Lors de l'ouverture officielle de l'événement, le président ukrainien a prononcé un discours où il s'est adressé à tous les politiques, artistes, invités et visiteurs de la Biennale de Venise, leur rappelant l'importance de l'art et de la culture de sa nation.

"Il n'y a probablement pas eu une seule année sur la planète Terre où des nations n'ont pas lutté pour leur liberté," a-t-il souligné. "Mais il y a eu de nombreuses années où la plupart des gens n'ont pas prêté attention à ces combats pour la liberté : c'est ce que les tyrannies espèrent," a-t-il fait remarquer.

"Cette exposition prouve que nous avons une culture profondément enracinée"

La série "Mothers" (2019) qui fait partie des œuvres exposées réunit 300 portraits de mères qui ont perdu un fils sur les fronts de Donetsk et Lougansk en 2014-2015. Ces photos rappellent le début de la guerre et rendent hommage aux jeunes soldats qui sont morts pour défendre leur pays. Chaque portrait est signé du nom de la mère et de son fils, ainsi que de son âge et du surnom qu'elle lui donnait lorsqu'il était enfant. Avant l'invasion russe entamée le 24 février 2022, plus de 14 000 personnes avaient perdu la vie dans un conflit qui était déjà presque oublié dans les pays occidentaux.

Le déclenchement de la guerre à l'échelle du pays a fait tout basculer et il a fallu réagir dans l'urgence comme nous l'explique Björn Geldhof, directeur artistique du PinchukArtCentre.

"Nous avons monté cette exposition dans un délai très court, en quatre semaines, et l'intention, c'était de représenter l'Ukraine de la meilleure manière possible," indique-t-il. "Nous voulions le faire dans un sens contemporain, mais aussi dans un sens historique car Vladimir Poutine a commencé par dire que l'Ukraine n'avait pas de culture, qu'elle n'était pas un pays," rappelle-t-il avant d'ajouter : "Je pense que cette exposition prouve que nous avons une culture qui est profondément enracinée et qui a une histoire.Mais il est aussi important d'avoir ces voix internationales qui prennent fait et cause pour l'Ukraine dans la durée," affirme-t-il.

JR voulait "faire réaliser qui cela touche"

Parmi ces artistes, Damien Hirst et son œuvre "Sky Over Corn Field" (2022) où des papillons voltigent sur un fond de ciel bleu et de champ jaune semblable au drapeau ukrainien.

Le Français JR présente de son côté, le portrait géant de la petite Valeriia, une réfugiée ukrainienne âgée de 5 ans, qu'il a conçu et réalisé à partir d'un cliché pris par le photographe Artem Iurchenko, puis transporté et déployé sur la place principale de Lviv, avec l'aide d'une centaine d'habitants volontaires, en référence au bombardement par l'aviation russe du théâtre de Marioupol.

La photo a fait la Une du "Times" et le tirage grandeur nature est à présent, exposé à Venise. L'artiste voulait alerter le plus largement possible sur le sort des innombrables enfants victimes de la guerre.

"J'ai amené cette grande image là-bas," raconte JR, "parce que je voulais que les avions russes voient sur qui ils tiraient tous les jours et c'est pour cela que l'on a ouvert une image de 45 mètres de long, en plein cœur de la ville car on ne peut pas la rater en la survolant la ville et d'ailleurs, la ville venait d'être bombardée la veille. C'était une manière citoyenne, avec les moyens que l'on avait," poursuit-il, "de faire réaliser qui cela touche, qui sont les gens touchés et notamment qui sont les enfants touchés. Aujourd'hui, cette petite Valeriia est saine et sauve, elle est de l'autre côté de la frontière avec sa mère, mais sa famille, son père et son frère sont encore en Ukraine," précise JR.

Des artistes ukrainiens face à une "réalité surréaliste"

Artiste ukrainienne, Lesia Khomenko a quant-à-elle laissé son mari se battre en Ukraine. L'artiste l'a peint en format géant, ainsi que d'autres soldats juristes, ingénieur ou musicien dans la vie dans le cadre d'une série de toiles intitulée "Max in the Army" et réalisée en 2022 à Varsovie et en Ukraine.

"Je ne conçois l'art que comme une activité politique," affirme Lesia Khomenko. "L'art ne peut certainement pas rivaliser avec la réalité ukrainienne avec la mort de tant de gens, de civils," souligne-t-elle avant de faire remarquer : "Je pense que la réalité est plus puissante que l'art parce qu'elle est tellement surréaliste, en particulier en Ukraine..."

En tant qu'homme, l'artiste ukrainien Nikita Kadan présent également à Venise a eu une dérogation spéciale pour sortir de son pays. Dans son travail qui porte le titre de "Difficulties of Profanation II" entamé dans le Donbass dès 2014, il accumule les preuves de la guerre.

"Ce travail intègre des preuves matérielles du conflit, mais aussi des fragments de missiles russes et de bâtiments en ruines à Kyiv," explique-t-il.

"This is Ukraine: Defending Freedom" est l'un des événements politiques et artistiques majeurs de cette Biennale 2022 que l'on peut découvrir à Venise jusqu'au 7 août.

Journaliste • Frédéric Ponsard

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