Quand la science et les technologies permettent de gérer les stocks de poisson

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Quand la science et les technologies permettent de gérer les stocks de poisson
Tous droits réservés Photo by Denis Loctier/Euronews
Par Denis LoctierEuronews
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Surpêche : certaines espèces de poissons se reproduisent-elles assez pour ne pas disparaître ? C’est ce que déterminent ces chercheurs.

La pêche durable est-elle possible en Europe ? Face à la surexploitation des eaux, la reconstitution des stocks de poisson est un véritable enjeu. Notre journaliste Denis Loctier a suivi des chercheurs qui tentent de concilier durabilité et viabilité du secteur.

Chaque année pendant six semaines, le navire de recherche Celtic Explorer navigue sur le plateau atlantique irlandais pour réaliser des prélèvements dans 170 lieux prédéfinis.

Dirigée par David Stokes, l'équipe scientifique de l'Institut Marin cherche à savoir combien de jeunes poissons se sont reproduits ici, au cours de l'année, et si cette nouvelle génération de poissons permet de renouveler les stocks après le passage des navires de pêche. En d'autre terme, la pêche commerciale est-elle durable dans ce secteur ?

"À cette époque de l'année, nous pêchons pour essayer d'évaluer la taille des différents stocks de poissons et de toutes les espèces démersales, c'est-à-dire les espèces qui vivent et se nourrissent près du fond marin explique David Stokes.

"Nous essayons donc d'estimer si les stocks sont en hausse ou en baisse et nous nous concentrons particulièrement sur les poissons juvéniles qui entrent dans la pêcherie" souligne le scientifique en chef du Irish Groundfish Survey (enquête sur les poissons de fond en Irlande).

À chaque point d'échantillonnage, le navire déploie un chalut, "_le long du fond de la mer pendant 30 minute_s", qui a été spécialement modifié pour capturer les petits poissons. Cette méthode diffère de celle des navires de pêche commerciale qui utilisent des filets à grandes mailles, ciblant uniquement les poissons adultes.

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Les poissons capturés dans un filet conçu pour prendre en priorité les espèces de petite tailleEuronews, Ocean

Le fait de n'attraper que les jeunes poissons permet d'avoir un aperçu de la pêche à venir.

Déterminer l'âge du poisson grâce aux otolithes

Les poissons sont ensuite triés par espèce dans la cale du navire, véritable laboratoire en mer, en ciblant surtout les espèces très commercialisées telles que l'églefin ou le merlan.

Chaque poisson est par la suite mesuré à l'aide d'un tableau de mesure électronique, toutes les données étant continuellement combinées dans une base de données informatique, ce qui permet de repérer facilement les erreurs éventuelles.

"Nous prenons la longueur, le sexe, la maturité et les otolithes (osselets) de la tête, qui nous donnent l'âge du poisson. C'est un peu comme lire l'âge d'un arbre en comptant ses cernes" explique Sinead O'Brien, analyste de laboratoire.

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Un poisson est mesuré sur le navire Celtic Explorer,Ocean, Euronews

En étudiant ces petits os de l'oreille interne, les scientifiques peuvent déterminer avec précision la proportion de jeunes poissons dans la population. Des espèces comme les crevettes, les crabes et les invertébrés aident également à surveiller la santé générale de l'écosystème marin.

Jennifer Doyle, spécialiste de l'institut nous montre un échantillon composé de plusieurs espèces benthiques, permettant de constater "la diversité de la communauté animale".

"Nous savons donc que dans cette zone, nous voyons un certain nombre d'espèces chaque année et nous sommes toujours intéressés par la richesse et la diversité des espèces" indique-t-elle.

Une harmonisation à l'échelle européenne

Tout ce qui est capturé dans le chalut est enregistré, même les déchets plastiques.

Ces études sur la pêche permettent de recueillir un large éventail de données utilisées par les spécialistes des sciences de la mer, comme la température et la salinité de l'eau à différentes profondeurs ou encore le niveau hydroacoustique du fond marin.

Ces recherches, s'inscrivent dans le cadre européen de collecte de données (DCF) et se coordonnent donc avec d'autres enquêtes menées sur les côtes nord et ouest de l'Europe.

Menées entre octobre et novembre, ces études comprennent "une dizaine de pays, qui utilisent tous les mêmes protocoles et procédures standards, ainsi que des engin d'échantillonnage très similaire" explique David Stokes.

"C'est tout un travail d'essayer de coordonner des pays indépendants avec des langues différentes, des capacités différentes et des ressources différentes, pour garder tout le monde sur la même page fixe. Donc oui, il y a beaucoup de travail de coordination à faire pour que tout cela soit aussi standard que possible" convient-t-il.

Les résultats des relevés effectués par tous ces navires de recherche sont collectés et analysés par le Conseil international pour l'exploration de la mer(CIEM) situé à Copenhague. Cet institut examine les données scientifiques et commerciale, et prévoit les changement futurs dans les écosystèmes marins. Ces résultats sont ensuite transmis aux autorités chargées des politiques de pêche, sous forme d'avis.

"Tous les pays soumettent au CIEM leurs données sur les enquêtes et aussi sur les prises. Ensuite, ces données sont transmises à ce que nous appelons des groupes de travail, qui sont des groupes scientifiques internationaux, qui rassemblent et intègrent les informations dans nos modèles" explique Mark Dickey-Collas, président du CIEM.

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Mark Dickey-Collas, Président du CIEMEuronews, Ocean

Sur l'avis des organismes scientifiques, l'UE et ses voisins peuvent restreindre certaines activités de pêche pour aider les populations à se reconstituer, ou augmenter les quotas pour les espèces plus prospères.

Mais ces règles ne satisfont pas toujours les acteurs de la filière, ni les groupes environnementaux, les premiers souhaitant plus de liberté de pêche, les seconds plus de quotas.

Les pêcheurs veulent moderniser les enquêtes

Dans le port de Thyborøn, dans le nord-ouest du Danemark, l'avis des scientifiques se heurte au scepticisme des pêcheurs : ils affirment que les prises sont parfois meilleures que prévu, avec des secteurs largement pourvus en poisson, mais qu'ils ne peuvent pas exploiter à cause de ces quotas.

"Les stocks montent et descendent. En tant que pêcheurs, nous devons vivre avec cela. Mais ce qui est vraiment important, c'est que les avis correspondent à ce que nous voyons en mer, et il y a parfois une grande différence" dénonce Alfred Fisker Hansen, président de l'association des pêcheurs du port de Thyborøn.

"Il y a les changements climatiques, les stocks de cabillaud se déplacent vers le nord - il est peut-être temps de moderniser la façon dont les enquêtes sont effectuées ! " ajoute-t-il, réclamant plus de flexibilité dans la manière de réaliser les études.

Mais de manière générale, pêcheurs et scientifiques parviennent à collaborer, bien qu'il puisse y avoir "q_uelques mots durs et des désaccords_" admet Michael Andersen, conseiller scientifique en chef de l'association des pêcheurs danois.

"L'objectif commun est d'obtenir la bonne taille du stock, car c'est dans l'intérêt de tous. Tout le monde apprécie cela" ajoute-t-il.

Cette collaboration est notamment facilitée par la technologie, les ventes de poissons à la criée de Thyborøn - en moyenne 150 tonnes par jour - étant numérisées, les données sont donc facilement exploitables par les chercheurs.

Les pêcheurs invitent également régulièrement les scientifiques sur leurs navires pour leur permettre de faire des observations qui peuvent aider à affiner les modèles mathématiques.

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