La Transnistrie rêve de Russie

La Transnistrie rêve de Russie
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Par Euronews
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La Transnistrie n’est pas reconnue par la communauté internationale, mais elle voudrait rejoindre la Fédération de Russie. Cette région enclavée à l’ouest de l’Ukraine s’est autoproclamée indépendante de la Moldavie en 1991. Depuis, la Transnistrie est un État fantôme avec son drapeau, sa monnaie, son gouvernement. Sur un demi-million d’habitants, 200 000 possèdent un passeport russe, et personne ne cherche à cacher ses opinions pro-russes.

“Personnellement, je préfère être avec la Russie, parce que je me sens proche de la Russie, j’y suis né, je parle russe”, dit un habitant de Tiraspol.

Même les bus de Tiraspol, la capitale, font la promotion d’un rattachement à la Russie. Rattachement qui a été plébiscité à 97 % lors d’un référendum organisé en 2006, mais non reconnu par la communauté internationale.

“La meilleure solution, c’est d‘être rattaché à la Fédération de Russie, et ce n’est pas que mon avis personnel. Tout le monde à Tiraspol et dans toute la Transnistrie le pense aussi”, lance une habitante de Tiraspol.

“Bien sûr que je souhaite que la Transnistrie rejoigne la Fédération de Russie, parce que beaucoup de Transnistriens vont en Russie pour travailler et permettre que nous ayons de quoi vivre. La Moldavie ne nous donne rien”, ajoute une autre.

La Transnistrie a été le théâtre d’une guerre civile en 1992, avec plusieurs centaines de morts à la clé. Depuis, au moins 1 200 soldats russes y sont stationnés dans le cadre d’une mission de maintien de la paix. Mais cette guerre a fait des dégâts économiques. À Grigoriopol, cette usine de conserve qu’Alexei – ingénieur à la retraite – nous fait découvrir, employait jusqu‘à 3 000 personnes l‘été. Aujourd’hui, elle est abandonnée.

“Beaucoup d’ouvriers qui ont perdu leur travail sont allés à l‘étranger : en Italie, en Roumanie, et même quelques-uns aux Etats-Unis, au Portugal. Mais la plupart sont partis en Russie ou en Ukraine, où ils ont de la famille”, explique Alexei.

Environ 50 000 Transnistriens travaillent à l‘étranger et envoient de l’argent pour aider leurs proches. L‘économie tourne plus qu’au ralenti.

“La fermeture de l’usine a été une tragédie, ça a été très douloureux, déplore Alexei. On peut qualifier de tragédie le fait que la guerre a détruit l‘économie de ce pays, et avec elle cette entreprise.”

Alexei fait partie d’une minorité en Transnistrie. Pendant la guerre civile, il a combattu contre les séparatistes et pour l’intégrité territoriale de la Moldavie. Son rêve à lui, ce n’est pas la Russie, c’est l’Europe. “Je veux voir mes petits enfants libres, je veux les voir libres d’aller où ils le souhaitent, comme au cours des siècles passés, dans cet espace européen qui les accepte, je l’espère”, dit-il.

Les autorités de Transnistrie restent néanmoins déterminées à rejoindre la Russie. Mikhail Burla est président du Soviet Suprême, le Parlement qui, le 15 avril dernier, a adopté une résolution demandant à la Russie et aux Nations Unies de reconnaître la Transnistrie.

“Nous croyons que c’est la volonté du peuple qui prime sur tout, affirme Mikhail Burla. La volonté du peuple prime sur le principe d’intégrité des frontières instauré à Helsinki en 1975. Mais j’insiste sur le fait que notre souhait de rejoindre la Russie doit être réalisé uniquement par la voie pacifique, à l’aide de moyens pacifiques. Nous ne voulons pas de violence.”

Comment définir l’identité transnistrienne ? Existe-t-elle vraiment ? D’un point de vue culturel par exemple ? L’ensemble “Viorika” sillonne depuis plusieurs années le territoire à la recherche, dans les villages, de chants et danses traditionnels. Pour le chef d’orchestre de l’ensemble Alexandru Galatsan, d’un point de vue artistique, les racines de la musique transnistrienne ont beaucoup en commun avec celle des régions voisines : “La principale essence de la musique, des mélodies et aussi de la structure harmonique des chansons, tout cela est très proche des sons moldaves.”

Viorika se produit à l‘étranger. Mais les passeports de Transnistrie ne sont pas reconnus pour voyager. La plupart des habitants possèdent donc aussi des papiers russes, ukrainiens ou moldaves. Pour le chorégraphe de Viorika Boris Rosneritsa, l’identité transnistrienne est artificielle : “Non, il n’y a pas de frontière, insiste-t-il. Ils ont construit des frontières artificielles, mais nous sommes un peuple, vraiment. Un seul et même peuple. Nous partageons les mêmes danses, ici en Transnistrie et partout en Moldavie, mais aussi en Roumanie. Ce sont les mêmes danses.”

La problématique de la Transnistrie se manifeste également à l‘échelle du sport. Propriété du conglomérat Sheriff, qui est omniprésent en Transnistrie, le FC Sheriff Tiraspol participe au championnat de Moldavie. La perspective d’une union avec la Russie séduit les quelques joueurs locaux du club, à l’instar du gardien Dmitri Stazhila : “Nous serions très performants dans le championnat russe si nous pouvions y participer. Peut-être pas la première saison, parce qu’il faudrait un peu de temps pour s’adapter au championnat russe. Mais à terme, le FC Sheriff pourrait devenir un adversaire très coriace pour les meilleures équipes de ce championnat.”

Retour à la politique. Notre équipe de tournage est invitée au ministère des Affaires étrangères. Au micro d’euronews, la ministre Nina Shtanski plaide pour que la Transnistrie adhère à l’union douanière avec la Russie, et critique l’accord d’association qui sera signé le 27 juin entre la Moldavie et l’Union européenne : “La signature de cet accord d’association et de libre échange entre l’Union européenne et la Moldavie entraînera, à court terme, une baisse de notre production industrielle de l’ordre de 60 %.”

Emboîter le pas de la Moldavie permettrait peut-être d‘éviter cela, d’autant que les trois-quarts des exportations transnistriennes se font vers l’ouest. Une chose est sûre, avec ou sans cet accord, l‘économie de Transnistrie est déjà au plus mal, comme l’explique l’analyste et directeur exécutif d’Expert-Grup, Adrian Lupusor : “Pour faire simple,dit-il, le déficit de la Transnistrie atteint environ un milliard de dollars. Et ce milliard de dollars est comblé à travers le soutien financier de la Fédération de Russie. Par définition, une économie sous perfusion n’est pas une économie durable.”

Les tensions autour de cet accord entre la Moldavie et l’Union se ressentent jusque dans l‘éducation – domaine lui aussi sensible. Les rares écoles qui enseignent en roumain affirment subir des pressions. Les salaires des enseignants ont par exemple été retenus pendant trois mois en début d’année. “Nous sommes harcelés parce que la Moldavie veut signer rapidement l’accord d’association avec l’Union européenne”, accuse Ion Iovcev, directeur de l‘école Lucian Blaga.

Pressions, mais aussi violations des droits de l’Homme. Direction Chisineau, la capitale moldave. La famille Eriomenco s’est adressée aux avocats de Promo-Lex, spécialisés sur les questions des droits de l’Homme. Vitalie Eriomenco purge actuellement une peine de douze ans de prison pour fraude en Transnistrie. Sa sœur Ala Gherman affirme qu’on l’a obligé à signer des aveux. Plusieurs centaines de cas semblables existeraient selon Promo-Lex, qui a déposé plusieurs plaintes devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme. “Il a été menacé de mort, raconte Ala. Ils lui ont fait subir un simulacre d’exécution : il a été conduit à l’extérieur du poste de police, au bord de la rivière Dniestr. On lui a donné une pelle et ordonné de creuser sa tombe. Ils ont même tiré devant ses pieds et au-dessus de sa tête pour le terroriser pendant qu’il creusait.”

De la justice à l‘économie en passant par de nombreux autres domaines, la Transnistrie a un besoin urgent de réformes, et ce, avec ou sans la Russie.

Interview (en russe) avec le président du parlement transnistrien Mikhail Burla. Euronews l’a rencontré à Tiraspol, capitale régionale de cet État auto-proclamé non-reconnu par la communauté internationale. La Transnistrie veut être intégrée à la Fédération de Russie.
Бонус: Михаил Бурла

Écoutez ici l’interview complète (en russe) de la ministre des Affaires étrangères de Transnistrie Nina Shtanski. Euronews l’a rencontrée à Tiraspol, capitale régionale de cet État auto-proclamé non-reconnu par la communauté internationale. La Transnistrie veut être intégrée à la Fédération de Russie.
Бонус: Нина Штански

À Chisineau, la capitale de Moldavie, euronews s’est entretenu avec Adrian Lupusor, directeur exécutif du groupe de réflexion “Expert-Grup”. Lupusor analyse (en anglais) les difficultés économiques de la Transnistrie, État auto-proclamé non-reconnu par la communauté internationale.
Bonus interview: Adrian Lupusor

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