La frontière entre l'Irlande et l'Ulster, grande inconnue du Brexit

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Par Euronews
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Dans la région frontalière de l'Ulster et de l'Irlande, le Brexit fait craindre l'instauration d'une frontière étanche et de nouvelles tensions.

Il y a un an, les Britanniques se prononçaient majoritairement en faveur d’une sortie de leur pays de l’Union européenne et le 19 juin dernier, les négociations ont officiellement commencé entre Londres et ses partenaires européens pour déterminer ses modalités. Ce processus est observé avec attention, particulièrement en Irlande du Nord.
Les habitants qui vivent à proximité de la ligne aujourd’hui symbolique qui sépare l’Ulster appartenant au Royaume-Uni et l’Irlande, Etat membre de l’Union, redoutent sa transformation en frontière extérieure de l’UE. Selon eux, si celle-ci devient étanche, la circulation des biens et des personnes se compliquera, la vie économique en sera pénalisée et cela pourrait raviver les tensions entre unionistes protestants et républicains catholiques.

Aujourd’hui, elle est invisible en contrebas d’une colline : c’est là que passera dans deux ans, la frontière extérieure de l’Union européenne. La vie semble paisible et prospère en Irlande du Nord, mais pour combien de temps encore ?

Les habitants qui vivent de part et d’autre de cette ligne aujourd’hui symbolique entre l’Ulster et le Royaume-Uni au nord et la République d’Irlande qui fait partie de l’Union européenne au sud sont contre le Brexit. Ils ne veulent pas entendre parler de futurs contrôles stricts.

Nous nous rendons côté irlandais, dans le village frontalier de Clones. De 1968 à la fin des années 90, les violences de part et d’autre de la frontière ont fait plusieurs milliers de morts. Des checkpoints étaient en place et l‘économie tournait au ralenti. À l‘époque, Donald McDonald a dû fermer le magasin familial de tissus.

“Plus de cinquante entreprises ont mis la clé sous la porte, raconte-t-il avant d’ajouter : Je ne voudrais pas qu’on revienne à ce genre de situation où le sens de l’espoir, de la confiance et des relations est remis en cause par une décision prise par le Royaume-Uni en faveur du protectionnisme.”

Insiders: filming on the Irish borderUne frontière étanche ? “Un cauchemar”

Il nous emmène voir un pont à l’extérieur du village. Pendant le conflit nord-irlandais qu’on appelle ici les “Troubles”, l‘édifice fut à des dizaines de reprises bloqué, puis réouvert par la population locale.

Aujourd’hui, le gouvernement irlandais semble préparer une mise en place de futurs postes de contrôle pour les poids lourds.

Notre reporter Hans von der Brelie s’adresse à Donald McDonald : “Est-ce qu’une frontière étanche en cas de Brexit dur pourrait devenir une réalité ici ?”

Donald McDonald :
“Ce serait un cauchemar. Un responsable du service des finances qui supervise les douanes en République d’Irlande m’a dit récemment qu’il cherchait des sites potentiels dans le secteur : des terrains qui pourraient être disponibles pour accueillir de telles installations,” précise-t-il.

Hans von der Brelie :
“Qu’est-ce qui se passerait si une frontière étanche était construite ici ?”

Donald McDonald :
“Je pense que les gens réagiraient d’une manière qui ne serait ni bonne pour l’accord du Vendredi saint, ni pour les gens, ni pour l’Irlande.”

Hans von der Brelie :
“Vous voulez dire qu’il pourrait y avoir des violences ?”

Donald McDonald :
“Cela commencerait par des troubles civils. Malheureusement, on ne peut jamais rien exclure dans un scénario comme celui-là.”

“On n’a pas besoin d’une autre source de radicalisation”

Nous partons pour l’Irlande du Nord toute proche. Lors des “Troubles”, le taux de chômage était ici de 30%, il est aujourd’hui de 3%. Conor Patterson de la Chambre de commerce locale nous emmène voir un ancien poste-frontière.

Lui aussi s’interroge sur cette grande inconnue : le Royaume-Uni – et l’Irlande du Nord avec lui – signera-t-il un accord avec l’Union dans lequel les frontières resteront ouvertes ? Ou des droits de douane et des contrôles de marchandises seront-ils instaurés ?

“Dans le cas où aucun accord n’est trouvé, voici le genre d’infrastructure qui pourrait être requise, indique Conor Patterson. L’histoire de cette région est marquée par les contestations violentes de cette frontière en tant que barrière à la libre circulation des biens et des personnes et on a assez de problèmes en Europe avec les jeunes radicalisés, on n’a pas besoin d’une autre source de radicalisation, assure-t-il. Le risque, c’est que des groupes dissidents radicalisent les gens, en particulier les jeunes qui sont influençables et ils pourraient être attirés par une idéologie qui prônerait la contestation violente, on ne veut pas aller vers cela, c’est un risque trop grand,” insiste-t-il.

Au niveau politique, les républicains catholiques du Sinn Féin veulent un rattachement de l’Ulster à la République d’Irlande tandis que les unionistes protestants du DUP plaident pour son maintien dans le Royaume-Uni. Voilà qui complique la mise en oeuvre du Brexit.

#Brexit : ce que ça change pour l'#Irlande ? Le divorce entre l'UK et l'UE renforce la division de l'île
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— julielacaze (@Lascasa) 22 juin 2017

Le Sinn Féin accusé de créer “l’hystérie”

L’adhésion à l’Union européenne a atténué les tensions intercommunautaires jusqu‘à présent. La sortie de l’UE les ravivera-t-elle ? Nous posons la question à un représentant du DUP Sammy Wilson. “Je crois qu’il y a un côté alarmiste dans tout cela, déclare-t-il. Le Sinn Féin ne se soucie vraiment pas de savoir si avec ces propos alarmistes, il crée ou non des violences sur le terrain, renchérit-il. Le seul risque pour le processus de paix, c’est le genre d’hystérie que les membres du Sinn Féin sont en train de générer en ce moment dans le cadre d’un jeu politique à court terme et ils doivent vraiment tenir compte de l’impact que cela a sur leurs propres communautés et leurs partisans les plus radicaux qui chercheront n’importe quelle excuse pour lancer une nouvelle campagne terroriste,” estime-t-il.

Comment éviter une reprise des tensions qui naîtrait d’une frontière étanche ? Sammy Wilson propose autant que possible, de priver les plus radicaux de potentielles cibles à attaquer. “L’une des solutions intelligentes, assure Sammy Wilson du DUP, c’est surveiller électroniquement les marchandises qui passent la frontière grâce aux plaques d’immatriculation : on n’a pas besoin de postes-frontières, ni de faire s’arrêter les gens et on pourra faire des contrôles physiques occasionnels si nécessaire.”

VIDÉO – Le parti unioniste démocratique d’Irlande du Nord est-il anticatholique ?#IrlandeduNord#DUP#GrandeBretagne#Brexit#protestantpic.twitter.com/3545gA1eXm

— lacroix.com (@LaCroix) 21 juin 2017

Avec ou sans droits de douane ?

À Newry, toujours en Irlande du Nord, les traces physiques de la frontière avec l’Irlande ont disparu là aussi. La région est largement soutenue par des fonds européens : des sites industriels comme celui où nous nous rendons en ont par exemple bénéficié. Conor Patterson de la Chambre de commerce tente de rassurer le directeur général d’une entreprise inquiet pour sa société. “Notre principal souci va être notre localisation, explique Myrddin James, de 3R Mobility. On est ici du côté britannique de la frontière et on a déjà planifié ce qu’il faudrait mettre en place dans le cas où on devrait partir s’installer au sud de la frontière,” précise-t-il.

Conor Patterson lui répond : “Ne déménagez pas encore ! On se mobilise pour que des gens comme vous se voient attribuer un statut spécial du fait de leur localisation parce qu’ils ont besoin de faire transiter librement leurs produits entre les deux territoires,” assure-t-il.

“La question, rétorque Myrddin James, c’est de savoir si on aura une frontière étanche ou ouverte. Aujourd’hui, on traverse la frontière 17 à 20 fois par jour ; donc, ça pourrait nous prendre du temps et nous coûter de l’argent avec les droits de douane : c’est une autre grande question,” fait-il remarquer.

L’industrie agro-alimentaire et l’agriculture pourraient être les secteurs les plus affectés par le Brexit. Avant le référendum, l’entreprise Lacpatrick qui travaille de chaque côté de la frontière a investi dans un nouveau site en Irlande du Nord pour produire de la poudre de lait à destination de l’Afrique et du Moyen-Orient, en tirant parti des accords commerciaux européens.

Le Royaume-Uni disposera-t-il à terme, d’accords similaires ? “Si cela devient une frontière internationale et s’il n’y a pas d’accord de libre-échange sur les produits alimentaires et agricoles entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, estime Gabriel d’Arcy, directeur général de la société, cette matière première comme ce lait par exemple sera soumise aux droits de douanes de l’OMC qui peuvent représenter jusqu‘à 50% de la valeur du produit proprement dit. Ce qui reviendra à tuer tous nos échanges,” affirme-t-il.

Un Brexit dur ? “Le processus de paix serait anéanti”

Dernière étape à Rostrevor, un petit village côtier nord-irlandais proche de la frontière. Nous nous rendons dans un pub qui le mercredi, accueille Matthew McGrath, un chanteur et compositeur de la région. Les clients nous donnent leur avis sur les conséquences de la sortie de leur pays de l’Union.

Un membre du Sinn Féin craint que l’Ulster ne paie le prix fort. “Je pense que le Brexit est une catastrophe, d’un point de vue politique, économique et social, martèle Michael Gray-Sloan. Personne ne sait ce qui nous attend et le fait que les Anglais nous traînent hors de l’Union, c’est presque criminel, totalement insensé,” s’indigne-t-il. Sa voisine Deirdre Murphy ajoute : “J’espère qu’on aura un Brexit doux, très doux.”

“La vision de Theresa May d’un Brexit dur n’est plus tenable : elle est trop faible politiquement pour le réaliser,” estime un autre habitant John McMahon. “Le fait d’appartenir à l’Europe et d‘être Européen, c’est important pour les gens ici,” assure Paddy McGuiness.

“S’il y a un Brexit dur et de nouveau une frontière, ce sera un retour en arrière, déplore Deirdre Murphy. Le processus de paix sera totalement anéanti : ce sera un cauchemar, ça fait peur rien que d’y penser, ça fait peur.”

Le lundi 26 juin, la Première ministre britannique Theresa May a signé un accord de gouvernement avec le parti ultra-conservateur nord-irlandais DUP. Il prévoit notamment que l’Irlande du Nord reçoive un milliard de livres (1,1 milliard d’euros) supplémentaires au cours des deux prochaines années. Cet argent va “stimuler l‘économie et l’investissement dans de nouvelles infrastructures ainsi que dans l’avenir de nos secteurs de la santé et de l‘éducation” d’après Arlene Foster, cheffe du DUP. Le temps dira si cette annonce suffit à apaiser toutes les inquiétudes chez les frontaliers en Ulster.

Insiders: filming in Belfast, Northern IrelandHans von der Brelie avec Stéphanie Lafourcatère

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