Les migrants ne sont plus autant les bienvenus en Allemagne

Les migrants ne sont plus autant les bienvenus en Allemagne
Par Hans von der Brelie
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Dans ce reportage, Insiders retourne en Bavière, trois ans après les arrivées massives de migrants à la frontière avec l'Autriche. Le gouvernement local s'est doté d'une nouvelle police frontalière tandis qu'au niveau fédéral allemand, la législation en matière d'accueil est en train de se durcir.

En 2015, des milliers de migrants venus du monde entier arrivaient en Hongrie et Autriche, puis se dirigeaient vers leur destination de choix : l'Allemagne, alors réputée pour sa politique d'accueil généreuse. Trois ans ont passé. Euronews retourne en Bavière, l'une des principales portes d'entrée du pays. Sur place, l'heure est à un renforcement des contrôles et à une application plus stricte des mesures d'expulsion. Une démarche qui trouve un écho au niveau fédéral.

Le petit village de Pfenningbach est proche de la frontière avec l'Autriche. Il compte 300 habitants. Ils sont nombreux parmi eux à avoir signé une pétition contre la transformation d'un bâtiment vide en hébergement pour une centaine de demandeurs d'asile. Christian Erntl fait partie des fondateurs de ce mouvement de protestation. Signe qu'aujourd'hui en Allemagne, les migrants sont moins les bienvenus.

Christian Erntl nous raconte qu'un soir vers 23h, des migrants ont sonné à la porte de chez lui : "Un groupe d'environ 20 personnes a sonné à notre porte, c'était une famille de Syrie : les batteries de leur portable étaient déchargées et ils nous ont demandé s'ils pouvaient utiliser notre téléphone," explique-t-il avant de nous montrer un endroit en particulier dans la forêt voisine du village : "Tout le long du chemin d'ici jusque vers la forêt, il y avait des sacs et des vêtements abandonnés partout," dit-il. Il explique avoir trouvé des documents déchirés et brûlés : "Ils font ça pour éviter qu'on les renvoie vers la Grèce ou la Hongrie, les pays où ils ont été enregistrés pour la première fois en arrivant dans l'Union européenne, ils veulent être enregistrés pour la première fois en Allemagne pour pouvoir rester ici," fait-il remarquer.

Quant à la politique migratoire, voici ce qu'elle devrait comporter selon lui : "Il devrait y avoir des contrôles à la frontière pour vérifier qui entre dans notre pays, qui est habilité à recevoir l'asile, qui a besoin d'assistance, qui n'en a pas besoin. Ceux qui quittent leur pays pour des raisons économiques, qui viennent en Allemagne juste pour gagner de l'argent," poursuit-il, "devraient être renvoyés chez eux et ce doit être fait à la frontière."

Durcissement de la législation

Nous nous rendons à Ingolstadt, une ville bavaroise prospère où le taux de chômage est bas. Dans un quartier de la périphérie connu pour ses maisons closes, nous découvrons un ensemble de préfabriqués contrôlé par des gardes.

De nombreux migrants originaires des Balkans dont la demande d'asile a été rejetée sont placés dans ce centre en attendant d'être renvoyés chez eux.

L'Allemagne est en train de durcir sa législation en matière d'accueil avec le récent accord conclu entre Angela Merkel et le parti bavarois CSU, la Bavière étant en première ligne pour réclamer le renforcement des contrôles aux frontières. Son gouvernement le fait déjà.

L'application plus stricte des mesures d'expulsion pousse les migrants à rejoindre des pays voisins en Europe comme nous l'indique Dragan Komazec, demandeur d'asile débouté originaire de l'ex-Yougoslavie, résident dans le centre.

"Quand on a eu la deuxième décision négative du tribunal avec le rejet de notre demande d'asile, ma femme a commencé à avoir très peur et finalement, elle a décidé de partir, elle a pris les enfants et elle est allée aux Pays-Bas," explique-t-il avant d'ajouter : "C'est difficile de savoir où aller, de savoir quoi faire, ma femme veut simplement protéger ses enfants."

Centres d'ancrage

La Bavière a inventé un nouveau concept : les demandeurs d'asile sont regroupés dans des structures appelées "centres d'ancrage" où ils doivent rester le temps que leur demande soit étudiée. Si elle est rejetée, beaucoup déposent un recours devant un tribunal administratif, ce qui rallonge la durée de la procédure.

En attendant la décision finale, ils doivent séjourner dans ces centres pendant un délai qui peut aller jusqu'à 18 mois, voire plus. Une situation dénoncée par des bénévoles présents dans le cadre d'un projet appelé Infobus, un camping-car garé devant le centre qui sert de lieu d'informations pour les migrants.

"Les gens essaient de trouver un moyen pour partir de cet endroit, ils nous demandent comment procéder du point de vue juridique, ils ne veulent pas rester dans ce campement pendant aussi longtemps, on connaît des gens qui vivent ici depuis deux ans et demi," affirme Lisa, une bénévole.

"Récemment," poursuit-elle, "il y a eu un gros scandale, c'était peut-être il y a un mois : l'administration a commencé à distribuer moins d'argent, les gens n'ont pas compris pourquoi, ils nous ont demandé ce qui se passait. Le gouvernement bavarois veut changer tout le système en passant à des aides en nature, il veut arrêter de distribuer de l'argent," indique-t-elle.

"La peur permanente d'être expulsé"

Notre reporter Hans von der Brelie rappelle à ces bénévoles que le gouvernement bavarois juge les grands campements préférables aux hébergements disséminés un peu partout parce que les décisions y sont rendues plus vite et tous les services et administrations sont présents sur place. Ces centres d'ancrage devraient servir de modèle pour toute l'Europe selon ses représentants.

Moritz, un autre bénévole, n'est pas d'accord : "Les droits de l'homme ne sont pas respectés [dans ces campements], les gens ne sont pas bien traités, ces campements créent plus de problèmes que les dispositifs d'hébergement décentralisés. Les gens sont stressés et donc, il y a des conflits qui se déclenchent entre eux, ils se disputent parce qu'ils sont nombreux à se retrouver dans un lieu exigu," assure-t-il.

Konstantin, son collègue, renchérit : "Ici les gens vivent dans la peur permanente d'être expulsés ; toutes les semaines, des voitures de police viennent chercher des gens. Tout le monde peut l'entendre : en général, c'est la nuit vers quatre ou cinq heures du matin, il y a du bruit à cause de ces expulsions. Et puis, il y a aussi le fait qu'il n'y a pas de clé sur les portes," fait-il remarquer. "On ne peut pas fermer les sanitaires à clé, la menace et l'insécurité sont permanentes pour les gens qui vivent ici," insiste-t-il.

INSIDERS | Migrants less welcome in Germany - Part 1

Nouvelle police frontalière bavaroise

Nous rejoignons Passau, une ville allemande proche des frontières tchèque et autrichienne.

Joachim Herrmann, le ministre bavarois de l'Intérieur, est à l'origine de règles plus strictes pour les demandeurs d'asile aux côtés de Markus Söder, le Premier ministre de Bavière.

Les élections régionales d'octobre en ligne de mire, ces responsables conservateurs sont présents à Passau ce jour-là pour inaugurer la nouvelle police frontalière de Bavière. 14 millions d'euros lui ont été affectés pour s'équiper. Des drones assureront par exemple des patrouilles au-dessus de la frontière bavaroise.

Joachim Herrmann tient à rappeler une règle à notre journaliste : "Il faut remplir une demande d'asile dans le pays d'arrivée dans l'Union européenne, personne n'a le droit de choisir comme bon lui semble le pays où il veut être accueilli et les personnes n'ont pas le droit de faire une deuxième, troisième, quatrième demande dans plusieurs pays européens, elle doit être faite dans le premier pays d'arrivée et une décision doit être rendue sur place. Donc pour nous," ajoute-t-il, "la meilleure chose, c'est que ces personnes qui veulent simplement passer soient renvoyées dans le pays où leur première demande a été traitée."

L'opinion allemande semble avoir changé de regard sur les migrants. Deux personnes sur trois sont favorables à ce que l'on refuse l'entrée du pays à ceux qui ne peuvent pas ou ne veulent pas montrer leurs papiers.

Pour le Premier ministre bavarois, ce sont les frontières européennes extérieures qu'il faut mieux protéger.

Voici ce que Markus Söder lance à la tribune ce jour-là : "Quand votre jardin est bien clôturé, que tout est en sécurité, vous pouvez parfois laisser la porte d'entrée de votre maison ouverte, mais je n'ai jamais rencontré quelqu'un qui n'a pas de clôture, qui n'a aucun système de sécurité, qui laisserait la porte de sa maison ouverte toute la nuit," affirme-t-il. "Si ce continent européen n'est pas capable d'appliquer le concept d'une Europe qui protège, alors tout s'écroulera et peut-être même que la stabilité de notre démocratie sera menacée dans une certaine mesure," met-il en garde.

Renforcement des contrôles

Markus Lehmann, l'un des agents de cette police frontalière, nous présente "le scanner de documents pour pouvoir les vérifier dans les différentes bases de données, pour voir s'ils sont faux," dit-il.

Jürgen Zöls, son collègue, nous explique : "Sans passeport, on prend les empreintes digitales, on a un scanner pour cela. On peut vérifier si cette personne est déjà entrée sur le territoire allemand, s'il s'agit d'une personne recherchée dans notre pays et nous avons accès à Eurodac, la base de données européenne, qui nous permet de déterminer si la personne a déjà été enregistrée dans un autre pays européen," précise-t-il. "C'est très important pour savoir si plus tard, cette personne pourra être renvoyée dans ce pays," insiste-t-il.

La frontière entre l'Allemagne et l'Autriche s'étend sur 800 km et comporte 90 points de passage. Des contrôles sont fréquemment effectués au niveau de trois postes principaux.

Le lancement de la nouvelle police bavaroise renforce la surveillance, non seulement à la frontière, mais aussi sur une bande de 30 km de large.

INSIDERS | Migrants less welcome in Germany - Part 2

Expulsions vers l'Afghanistan

L'Allemagne a repris à grande échelle, les expulsions de migrants vers l'Afghanistan. La chancelière allemande a donné le feu vert.

Dans un récent sondage, 86% des personnes interrogées disent soutenir l'expulsion de demandeurs d'asile déboutés. Mais ce point de vue n'est pas partagé par tous.

À Munich, nous rencontrons des militants de gauche qui s'opposent à ce qu'ils voient comme le glissement vers la droite radicale des principaux partis allemands et bavarois.

"La situation en Afghanistan a empiré," estime Stephan Dünnwald, membre de l'ONG Conseil bavarois des réfugiés qui milite contre les expulsions et les procédures d'asile plus strictes. "Pourtant, le gouvernement allemand dit : 'Nous avons une nouvelle évaluation de la situation sécuritaire sur place ; donc, nous pouvons reprendre les expulsions' ; ce qui veut dire que tous ces jeunes hommes qui ont reçu une réponse négative sont renvoyés là-bas," déplore-t-il.

Ce jour-là, le groupe a décidé de manifester au terminal d'embarquement n°1 pour dénoncer les expulsions vers l'Afghanistan. Nous l'accompagnons sur place.

Parmi ces militants, les centres d'ancrage représentent aussi un motif d'inquiétude, par exemple pour Jana Weidhaase. "Le problème," dit-elle, "c'est que les gens sont plus isolés dans ces centres, ils ont moins accès à des conseils. Les procédures d'asile sont trop accélérées et ils ne peuvent pas préciser de manière adéquate les raisons pour lesquelles ils demandent l'asile," s'indigne-t-elle.

Au moment où s'organise la manifestation dans le terminal de l'aéroport, 69 demandeurs d'asile déboutés sont escortés vers un avion à l'abri des regards. Plus tard, nous apprendrons que l'un des expulsés s'est suicidé peu de temps après son arrivée à Kaboul.

"Tous les jours, des gens se font tuer là-bas"

Des passagers s'arrêtent pour écouter les manifestants comme un couple originaire d'Afghanistan qui vit en Bavière depuis des années. "Moi aussi, je suis contre ces expulsions," indique Shala Safi. "La situation en Afghanistan est vraiment, vraiment mauvaise. On le voit quasiment tous les jours : il y a des attaques, des attentats suicides... Tous les jours, les gens se font tuer là-bas," renchérit-elle.

Amiri Sahadat a peur d'être le prochain sur la liste des expulsés. Il veut démarrer une formation en Allemagne et devenir assistant dentaire. Nous lui demandons pourquoi il a quitté l'Afghanistan.

"Les talibans m'ont approché plusieurs fois pour que je les rejoigne et que je travaille pour eux, mais j'ai refusé parce qu'en tant qu'Afghan, je ne peux pas accepter ce qu'ils disent et ce qu'ils font," explique-t-il. "Toutes les semaines, tous les jours, ils tuent des gens en Afghanistan : je ne veux pas faire le djihad, c'est totalement se fourvoyer."

Stephan Dünnwald, du Conseil bavarois des réfugiés, a son avis sur le sujet : "La Bavière essaie de suivre la même direction prise par Viktor Orbán en Hongrie et de faire appliquer les mêmes politiques en Allemagne. Elle a toujours essayé de représenter la véritable ligne dure, les prochaines élections régionales ont encore amplifié cette attitude, on se déchaîne contre les plus faibles au sein de la société : les réfugiés," estime-t-il.

Visite chahutée pour le ministre à Regensbourg

Difficile d'obtenir une autorisation de tournage dans l'un de ces fameux centres d'ancrage. Dans celui de Regensbourg, on nous accepte, mais les agents en charge de la sécurité sont nerveux, on nous confine dans une salle de réunion.

Le ministre bavarois de l'Intérieur est venu présenter son concept de regroupement des demandeurs d'asile. Voici le message qu'il veut faire passer : "Nous devons mieux appliquer nos décisions : ceux qui n'obtiennent pas l'autorisation de rester doivent quitter notre pays, la crédibilité de l'Etat de droit est en jeu," martèle Joachim Herrmann.

Pendant qu'on nous montre une salle de jeux flambant neuve, le ministre rencontre l'administration de la structure dans un autre bâtiment, la presse est tenue éloignée.

On nous dit que la tension monte. Un témoin nous envoie un message avec une vidéo qui nous montre un groupe d'Éthiopiens en train de bloquer le convoi du ministre. Leur sit-in oblige finalement la sécurité à le faire sortir par l'arrière du site.

Plus tard, nous retrouvons trois des manifestants. Sous couvert d'anonymat, ils nous exposent leur situation. Ils ont déjà essuyé un premier refus à leur demande d'asile. Ils ne veulent plus résider dans le centre d'ancrage et réclament un meilleur accès à l'aide alimentaire et aux soins, des cours d'allemand et un permis de travail.

"100% des demandeurs d'asile éthiopiens sont déboutés, nous vivons dans des camps d'expulsions," nous dit l'un d'eux. "On ne dort pas de la nuit, la plupart des gens ont peur d'être expulsés, non seulement vers les autres pays européens, mais aussi vers leur pays d'origine, comme nous qui venons d'Éthiopie... Donc on n'arrive pas à dormir, on n'est pas tranquille," raconte une autre.

"Rentrer dans mon pays ? Plutôt me suicider !"

Notre reporter demande à ces Éthiopiens pourquoi ils ont si peur de rentrer dans leur pays : "Au cours des 27 dernières années, des milliers d'hommes politiques, de militants, d'étudiants ont été tués dans la rue en Ethiopie," déclare le jeune homme. "Des centaines de milliers de personnes ont été mises en prison dans des conditions dramatiques et je fais partie de ces victimes," affirme-t-il.

La jeune femme poursuit : "Mon frère a été assassiné par le gouvernement, ils m'ont chassée, ils ont essayé de me poignarder, de me violer."

Hans von der Brelie lui demande ce qui va se passer si leur demande d'asile est rejetée pour la deuxième fois par le tribunal administratif.

"Je n'ai pas le choix : peut-être qu'ils m'obligeront à retourner dans mon pays, mais je préfère me suicider, ce sera mon dernier recours parce que (...) si je retourne dans mon pays, c'est la mort qui m'attend," assure la jeune femme.Son voisin en arrive à la même conclusion : "Rentrer dans mon pays ? Je préfère me suicider."

INSIDERS | Migrants less welcome in Germany - Part 3
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