Pour les juges des Pays-Bas, la protection du climat n'attend pas !

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Par Hans von der Brelie
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La Cour suprême des Pays-Bas a prononcé un jugement historique qui oblige le gouvernement néerlandais à réduire les émissions de CO2 dans le pays d'ici à la fin de cette année. Où en est-il de son action ? Enquête de notre reporter Hans von der Brelie.

À Amsterdam, une patrouille surveille les docks ouest du port même s'il y a peu d'activité : l'immense centrale électrique à charbon qui se trouve sur place est à l'arrêt depuis fin 2019. L'État néerlandais a dû la fermer cinq ans plus tôt que prévu pour se conformer à une décision de justice historique.

Une organisation environnementale appelée Urgenda a en effet fait condamner le gouvernement en dernière instance pour inaction climatique. Ce qui l'oblige à renforcer ses mesures de réduction de gaz à effet de serre, et ce à une échéance très courte : d'ici à fin 2020, le pays doit baisser de 25% ses rejets de CO2 par rapport aux niveau de 1990. Est-ce faisable d'ici à la fin de l'année ? Pour le savoir, nous allons parcourir les Pays-Bas.

Le mix énergétique néerlandais fait partie des pires en Europe : seuls 7% de la consommation nationale sont couverts par des énergies renouvelables, la moyenne dans l'Union européenne étant de 18%. On est loin de l'objectif des 20% fixé par l'Union européenne pour cette année.

Personnalité incontournable qui incarne le changement dans le pays, Marjan Minnesma dirige la fondation Urgenda qui est à l'origine, avec 900 citoyens néerlandais, de cette victoire juridique contre l'État. Nous la rencontrons dans sa maison où elle a fait installer des panneaux solaires.

Nous lui demandons ce que son gouvernement a fait depuis le jugement de la Cour suprême qui l'a condamné l'an dernier"Pas grand-chose, mais c'est plus que l'an dernier," répond Marjan Minnesma.

"Le gouvernement a accordé des subventions supplémentaires - deux milliards d'euros pour les panneaux solaires et les grands projets éoliens -, il a fait pareil pour les améliorations dans l'isolation, les pompes à chaleur et des choses comme cela et il a promis une nouvelle législation qui vise à faire fonctionner les centrales à charbon à 25% de leur capacité et c'est prévu pour octobre," énumère-t-elle.

Quant au respect de l'échéance de fin 2020 par le gouvernement, la directrice de l'ONG précise : "On leur a dit : 'Si vous avez trois mois de retard, ça ira' - parce qu'on ne veut pas d'une nouvelle confrontation s'ils ont un peu de retard - ; 'mais si vous ne faites pas assez ou si vous ne programmez pas des choses pour l'an prochain, c'est clair qu'on saisira encore la justice'."

"Mes enfants seront probablement encore là en 2100"

Marjan Minnesma, universitaire et ex-collaboratrice du gouvernement néerlandais pour le développement de projets durables en Europe centrale, a rédigé un rapport avec des scientifiques. Leur conclusion : les Pays-Bas pourraient tirer 100% de leur énergie de sources renouvelables dès 2030 si les politiques prenaient aujourd'hui les décisions adéquates.

Elle évoque pour nous ce qui la motive : "J'ai eu une vraie prise de conscience quand j'ai eu des enfants, j'ai réalisé qu'ils seront probablement encore là en 2100. Or on sait comment ça va finir - si le changement climatique se poursuit sur son rythme actuel - : notre planète ne sera plus très agréable à vivre, des milliards de personnes ne pourront plus continuer à vivre où elles sont aujourd'hui, ce sera un chaos absolu, or je sais que des solutions existent," souligne-t-elle.

"On a imaginé un scénario à l'échelle nationale : si on installe des panneaux sur tous les toits et qu'on met des éoliennes en mer et en partie à terre, on aura assez d'énergie renouvelable pour alimenter tout le pays : cela vaut beaucoup plus le coup de placer votre argent là-dedans que sur votre compte en banque," indique-t-elle en nous montrant son installation photovoltaïque.

Les législateurs néerlandais ont repris des propositions des militants écologistes

Après leur condamnation par la Cour suprême, les législateurs ont décidé de reprendre de nombreuses propositions formulées par Marjan Minnesma et ses collègues militants dont l'accélération de la mobilité électrique.

À partir de 2030, la vente de voitures neuves roulant aux combustibles fossiles sera interdite dans le pays. Mais le jugement oblige à des actions à court terme.

Aux côtés de Marjan Minnesma, à bord de sa voiture électrique, nous prenons l'autoroute où aujourd'hui, on roule à 100km/h.  "Le gouvernement a fait baisser la vitesse limite de 130km/h à 100 km/h à cause de notre action en justice : cela fait partie des 30 mesures issues de notre plan que le gouvernement a retenues. Et cela permet d'éviter de rejeter dans l'atmosphère, environ une demi-mégatonne de CO2 par an, mais il lui faut encore faire pareil pour 18 mégatonnes cette année," déclare-t-elle.

Le gouvernement néerlandais promet aujourd'hui de réduire de moitié les émissions nationales de CO2 d'ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990.

L'île de Tessel, laboratoire durable

Nous accompagnons Marjan Minnesma sur l'île de Tessel, lieu le plus ensoleillé des Pays-Bas. Pour s'y rendre, elle emprunte un ferry depuis Den Helder. Le bateau est un modèle hybride, principalement alimenté au gaz naturel : il a été en partie conçu dans le cadre d'un programme européen qui vise à rendre ces navires plus respectueux de l'environnement. Il est un exemple des initiatives durables menées sur Texel, véritable laboratoire pour l'ONG de Marjan Minnesma.

"Sur l'île, on a lancé de nombreuses initiatives qui ont été reproduites et développées dans le reste des Pays-Bas," insiste-t-elle.

Urgenda a milité pendant des années pour le développement de l'infrastructure de recharge pour les véhicules électriques dans le pays et les résultats sont là : aujourd'hui, la directrice de l'organisation trouve facilement où brancher sa voiture quel que soit son trajet, y compris sur cette île.

Ce jour-là, Marjan Minnesma retrouve Nicol Schermer alors qu'il est en train d'installer des panneaux solaires dans une ferme : il est l'un des visages de la révolution verte sur l'île. 

Pour verdir le mix énergétique encore bien sombre des Pays-Bas, le gouvernement suit la recommandation d'Urgenda d'encourager le recours au solaire. Il s'efforce d'impliquer les habitants dans des projets collectifs dédiés aux énergies renouvelables grâce à des mesures d'incitation. 

Le soleil plutôt que le vent

Nous en découvrons un exemple avec Nicol Schermer : les équipements qu'il met en place s'inscrivent dans le projet "Code postal". "26 personnes se partagent 299 panneaux solaires et ils ont un avantage fiscal accordé par le gouvernement, donc c'est intéressant" explique-t-il. 

Les Pays-Bas sont exposés toute l'année à des vents forts. À moyen terme, ils disposeront de plus grandes capacités éoliennes offshore. Mais le jugement de la Cour suprême oblige à agir vite. D'où le choix d'accélérer l'installation d'équipements solaires. 

Ce qui convient très bien à l'agriculteur dont la ferme accueille le projet "Code postal". "S'agissant des immenses éoliennes, les gens n'en veulent pas vraiment sur l'île : c'est une île magnifique et il y en a beaucoup qui pensent que ça dégrade le paysage," fait remarquer Dirk Roeper. "Mais les panneaux solaires, on peut les installer sur tous les toits ou quasiment tous les toits sans que cela nuise au panorama," dit-il. 

Des panneaux solaires sur des pistes cyclables et des bassins

La dernière innovation qui fait parler sur l'île, ce sont les panneaux solaires sur les pistes cyclables. Avec l'accord de la municipalité, Nicol Schermer teste une nouvelle génération de panneaux très résistants. Ces modèles pourraient équiper l'ensemble du réseau cyclable de l'île, voire d'autres régions aux Pays-Pas.

Mais la solution solaire probablement la plus folle sur l'île se trouve au Krim Resort : ce golf dispose d'un bassin recouvert de panneaux solaires.

Sachant que les Pays-Bas ont une forte densité de population, les immenses parcs solaires - qui font actuellement l'objet de discussions entre les régions néerlandaises et le gouvernement - accaparent de grandes surfaces de terrains. L'équipement flottant de Nicol Schermer est une solution alternative. Dans le cas de ce golf, son intérêt est double : l'eau s'évapore moins car elle est couverte par l'installation et les panneaux fonctionnent mieux : "Quand ils sont rafraîchis, ils génèrent plus d'énergie pendant l'année," assure-t-il. 

Nicol Schermer partage son expérience dans le cadre de recherches pour déterminer si un tel dispositif peut être installé en mer du Nord.

"La politique climatique n'est pas efficace et elle coûte très cher"

La tradition néerlandaise du vélo a renforcé l'image de carte postale d'un pays amoureux de la nature. Une idée fausse. Les Pays-Bas dont le sous-sol renferme l'un des plus grands gisements de gaz naturel de l'Union européenne dépendent largement des combustibles fossiles. 

À l'échelle européenne, en moyenne, chaque citoyen de l'Union rejette l'équivalent de 8,6 tonnes de CO2 par an. Les Pays-Bas affichent étonnamment des émissions de 11,6 tonnes par habitant, soit plus que les 11 tonnes de la Pologne dépendante au charbon et les 6,9 tonnes de la France par exemple.

Mais dans le pays, le choix du gouvernement de se détourner des énergies fossiles et l'action des organisations environnementales ne sont pas du goût de tous : des partis d'extrême-droite les dénoncent tout comme le célèbre journaliste Syp Wynia.

"Dans ce pays, c'est au Parlement de décider, or en matière de politique climatique dans ce pays, il n'a pas vraiment son mot à dire," déplore l'éditorialiste politique. "Dans quelques mois, on va préparer les élections et on voit déjà que les grands partis politiques sont en train d'abandonner les principaux éléments de la politique climatique parce qu'elle n'est pas efficace et qu'elle coûte très cher : les gens sont davantage intéressés par l'économie que par le changement climatique," assurent-ils.

Pourtant, dans les sondages, 74% des Néerlandais estiment que le changement climatique est un problème très grave tout comme 79% des citoyens de l'Union européenne.

Le gouvernement réduit la production des centrales à charbon et agit dans la rénovation durable et l'éolien

À La Haye, nous rencontrons Sandor Gaastra, directeur général au ministère de l'Économie. Ce "Monsieur Climat" du gouvernement essaie d'accélérer les politiques nationales de réduction des rejets de gaz à effet de serre.

Alors que les Pays-Bas ont jusqu'à la fin de l'année pour réduire drastiquement leurs émissions, nous lui demandons ce que son ministère compte faire d'ici là.

"La mesure la plus importante consiste à limiter la capacité des centrales à charbon : elles doivent réduire leur production de deux tiers," répond Sandor Gaastra.

"De plus, nous avons octroyé 150 millions d'euros de subventions supplémentaires aux foyers et aux entreprises pour qu'ils rendent les logements et bureaux plus durables," poursuit-il. 

Pour encourager le recours à l'éolien, le directeur général au ministère de l'économie et du climat assure que son pays a "déjà prévu d'avoir une capacité dans l'éolien offshore de 11 GW à l'horizon 2030. Et nous étudions actuellement la possibilité de revoir cet objectif à la hausse," précise-t-il. 

Quelle implication du monde agricole néerlandais ?

L'agriculture industrielle est un autre grand problème pour la politique néerlandaise de protection du climat.

Nous visitons un élevage de poulets à grande échelle Kipster où l'on s'efforce d'appliquer des méthodes respectueuses de l'environnement. Son gestionnaire figure parmi les citoyens qui ont poursuivi le gouvernement aux côtés d'Urgenda pour son manque d'action en matière d'émissions de CO2.

"On ne produit pas d'aliments pour nos poulets, donc on n'utilise pas de terre agricole puisqu'ils ne mangent que des restes de la consommation humaine," explique Maurits Groen, avant d'ajouter : "On produit toute l'énergie dont notre usine a besoin grâce aux quelque 1100 panneaux solaires qu'on a mis sur le toit et nous avons cet emballage réalisé à partir de résidus d'amidon issus de l'industrie de transformation de la pomme de terre et qui est presque neutre en carbone," décrit-il. 

_"Regardez ce que nous faisons ici ; on peut produire sans nuire au bien-être des animaux, sans dégrader l'environnement. _C'est une question de survie pour l'homme !" lance-t-il. 

Bert Pappot lui est éleveur de porcs. À la différence de bon nombre de ses collègues, il ne reproche pas à son gouvernement de forcer son secteur d'activité à freiner ses émissions de CO2 et d'azote, ni à la Commission européenne, de vouloir verdir la politique agricole commune, une démarche qui pénaliserait l'élevage intensif. L'agriculteur est favorable à une réduction d'échelle de l'industrie agroalimentaire néerlandaise.

"Les éleveurs ont beaucoup de bêtes parce qu'ils veulent maintenir les coûts de production bas : ce n'est pas tout le monde qui peut sortir de ce cercle vicieux," assure Bert Pappot. "Dans le passé, on avait 450 truies reproductrices ; aujourd'hui, on en a seulement 25 ; avant, on produisait trop de porcs sans en obtenir un bon prix, on ne fera plus jamais ça," soutient-il. 

Le vaste chantier de l'approvisionnement en énergie

L'un des principaux défis à relever pour ce pays très industrialisé consiste à revoir l'ensemble de ses infrastructures d'approvisionnement en énergie.

Alors que certains industriels se préparent à passer à l'hydrogène, nous visitons une usine de recyclage qui s'est mise à produire du biogaz. Cette entreprise appelée Omrin vient de remporter le Prix de l'entreprise néerlandaise la plus durable.

Aujourd'hui, les industriels européens n'utilisent que 12% de matériaux recyclés. Une part que la Commission européenne espère faire augmenter dans le cadre de son Pacte vert.

"On a gagné le Prix de l'entreprise la plus durable du pays," indique Jelmar Helmhout, porte-parole de l'entreprise Omrin, "parce qu'on est capable de séparer les déchets organiques des autres déchets et d'en faire du biogaz, mais aussi de trier le plastique et de l'utiliser pour faire de nouvelles matières premières et de nouveaux produits ; or en triant les déchets organiques et plastiques, on est en mesure de réduire les émissions de CO2."

Chaque année, Omrin produit 9 millions de m³ de gaz propre à partir de déchets organiques. Il sert ensuite de carburant pour les camions poubelles et il alimente des habitations de la région en énergie. Cette société fait partie d'un réseau d'entreprises situées dans un éco-parc qui partagent le même objectif : changer la donne grâce à des méthodes de production durables.

"C'est possible de réaliser ces changements très rapidement, en travaillant ensemble, en améliorant l'innovation et en réunissant différents types d'organisations au niveau du gouvernement, dans l'industrie et dans l'éducation," estime Jelmar Helmhout.

Incitations financières pour les particuliers

La transition énergétique est en passe de devenir une réalité aux Pays-Bas. Pour que les citoyens y participent, le gouvernement a mis en place un système d'incitations financières. 

Au niveau européen, le soutien à la rénovation durable des bâtiments est l'un des points-clés du Pacte vert grâce auquel l'Union européenne ambitionne d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050. 

Habitant de Zaandam, Ruud Sweering a rénové sa maison grâce aux subventions néerlandaises pour la rendre neutre en énergie en faisant installer des panneaux solaires, une pompe à chaleur et une nouvelle couche d'isolation. Il contrôle fréquemment les chiffres de consommation envoyés par le fournisseur local d'énergie.

"En fin d'année, ils nous ont rendu 400 euros pour une période de neuf mois de consommation," indique Ruud Sweering. "Donc on leur fournit plus d'électricité qu'on en consomme : on n'est pas simplement neutre en énergie, on est un centrale électrique !" fait-il remarquer. "Je crois qu'on a dû investir entre 30.000 et 40.000 euros et on a touché environ 10.000 euros de subventions, mais comme on n'a plus de facture d'électricité à payer, on se dit que dans 14 ou 15 ans, notre investissement sera amorti," précise-t-il. Sa compagne Jarka Plevier estime elle que le gouvernement "doit donner davantage d'argent pour encore plus aider les gens à rénover leurs maisons."

L'action menée par Urgenda a fait des émules ailleurs dans le monde. Le climat sera-t-il sauvé par la justice ? Si les juges des Pays-Bas ont obligé leur gouvernement à passer à la vitesse supérieure, leurs homologues allemands ont rejeté une requête similaire. En France, un jugement est attendu d'ici la fin de l'année.

Journaliste • Hans von der Brelie

Sources additionnelles • Caméra : Martin Egter van Wissekerke, Hans von der Brelie ; drones : Frank van Brandwijk, Gerhard Smit ; fixeur : Sjoerd de Vries ; monteuse : Myriam Copier ; production : Céline Guillermin ; supervision : Sophie Claudet

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