Covid-19 : les visages de la nouvelle pauvreté en Europe

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Par Hans von der BrelieCristina Giner, Johannes Pleschberger
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Dans une Europe bouleversée par la pandémie, nombreux sont celles et ceux qui après avoir perdu leur emploi, ont besoin d'assistance pour la première fois de leur vie. Nous allons à la rencontre de ces "nouveaux pauvres" en Espagne et Autriche.

Barcelone a des atouts : ses entreprises, sa culture et son tourisme. Mais aujourd'hui, la ville a un autre visage : celui de toutes celles et tous ceux qui se retrouvent confrontés à la précarité et à la faim. La crise économique liée à la Covid-19 a causé un afflux devant les associations qui distribuent de la nourriture. Une nouvelle pauvreté est en train d'apparaître en Espagne, en particulier au sein des classes moyennes.

À l'association "De Veí a Veí" ("De voisin à voisin"), près de la moitié de ceux qui demandent de l'assistance sont "de nouveaux pauvres" : c'est le cas de Toni et Cristina. Ces parents de trois enfants ont tout perdu. La pandémie a eu raison de leur bar à tapas. Ils n'avaient plus les moyens de payer ni loyer, ni factures et ont été expulsés de leur appartement.

"Au début, on a honte de demander de quoi manger"

Pour avoir de quoi manger, la famille est obligée de demander de l'aide à l'ONG. Pour Toni, 45 ans, c'est une première. "Je n'ai jamais été confronté à cela de toute ma vie," indique le père de famille avant d'ajouter : "Comment j'aurais pu faire avec trois enfants ? Je m'en sortais bien, mais les choses ont mal tourné," raconte-t-il. "Quand on va demander de quoi manger, au début, on a honte, franchement," confie-t-il.

En septembre, quand la famille a été expulsée, la mairie a mis à sa disposition, une location touristique inoccupée. Elle peut y rester jusqu'à l'été.

L'épouse de Toni, Cristina est originaire de Roumanie. Selon elle, en Espagne, il y a de nombreuses familles qui sont en situation de pauvreté pour la première fois. "Avant le Covid, il y avait des familles qui n'avaient jamais demandé à manger à une ONG comme Caritas, mais aujourd'hui, elles le font," raconte-t-elle. "C'est très dur de se retrouver là-bas, mais il faut le faire, il faut bien manger tous les jours : sans ce soutien, on devrait chercher à manger dans les poubelles ou voler," fait-elle remarquer.

Son mari renchérit : "On était une famille normale avant le Covid, on n'était pas riche, mais on gagnait notre vie. À l'heure actuelle, le seul revenu qu'on a pour tout payer, ce sont les 400 euros que ma femme reçoit de l'aide sociale, on nous donne de la nourriture, on a fait une demande pour le nouveau revenu universel de base, on ne perd pas espoir, mais on ne l'a pas encore reçu," précise-t-il. "Je ne touche même pas d'allocations chômage, je n'ai rien du tout," dit-il.

Il est l'heure d'aller chercher la petite Lia à son école, près de l'ancien bar de Toni. La pandémie a aggravé les dettes qu'il avait accumulées et porté le coup fatal à son établissement. Il a dû le vendre à une famille chinoise.

"C'est un local que j'avais décoré à mon goût et je prenais soin de le rendre agréable," raconte Toni. "En plus, le bar était en face de l'école et je pouvais jeter un coup d'œil sur ma fille de temps en temps, c'est quelque chose que j'avais créé, j'avais atteint mon rêve, ça a mal tourné et ça me fait de la peine," confie-t-il.

"On a ignoré l'importance de l'économie informelle"

Il pourrait y avoir plus d’un million de nouveaux pauvres à cause de la pandémie en Espagne selon l'organisation Oxfam Intermón. Comment expliquer que ce pays soit si durement touché ?

Nous avons posé la question à Rafael Martínez Buñuel, président de l'association "De Veí a Veí" qui a aidé quelque 2000 personnes depuis le début de la pandémie.

"D'une certaine manière, on a ignoré l'importance de l'économie informelle," estime-t-il. "Aujourd'hui, on se rend compte que beaucoup de gens travaillaient au noir et cette économie n'existe plus à cause du Covid : comme elle est invisible, c'est une pauvreté ou une richesse qui est invisible," fait-il remarquer.

"Avant la pandémie, on distribuait 2,5 tonnes de nourriture par mois à environ 130-140 personnes ; aujourd'hui, sur huit mois, on en a déjà distribué plus de 100 tonnes," explique-t-il.

En mai, le gouvernement a créé un revenu minimum de base pour quelque deux millions de personnes. Pour l'instant, seul 1% des demandes a été accepté.

"J'ai le moral au plus bas," dit Regina devenue sans-abri à Vienne

Cette nouvelle pauvreté essaime en Espagne, mais aussi dans le reste de l'Europe. C'est le cas également en Autriche, pourtant sixième pays le plus riche de l'Union européenne. Sur place aussi, des personnes qui avaient des revenus se retrouvent tout d'un coup à la rue.

À l'association "Volkshilfe" ("Aide populaire") de Vienne, l'activité est intense. Les stocks de nourriture de son entrepôt sont rapidement distribués. Une partie est acheminée au foyer pour sans-abri Nordlicht. Nous y rencontrons Regina, 61 ans.

Cette ressortissante allemande qui travaille dans des hôtels dans toute l'Europe avait été recrutée pour la saison hivernale en Autriche, mais avant même que son contrat ne démarre, il a été annulé en raison de la pandémie. Les difficultés se sont accumulées pour elle et ses deux chiens avant qu'elle ne soit recueillie par le foyer pour sans-abri.

"D'abord, j'ai loué une chambre dans une pension, j'y suis restée quatre semaines, puis j'ai réalisé que l'argent filait, les chiens avaient faim, j'avais faim," raconte-t-elle. "Au foyer, j'ai à manger et à boire : sans ça, je devrais faire la manche dans la rue," dit-elle.

"Je n'avais jamais été dans une situation comme ça et il y a des milliers ou des millions de gens comme moi," estime-t-elle avant d'ajouter, les larmes aux yeux : "Excusez-moi, j'ai le moral au plus bas, j'ai les nerfs qui lâchent parce que je me fais un sang d'encre : je ne sais pas ce que je vais devenir."

"La crise est un miroir grossissant qui révèle les fractures dans la société"

Partager un repas avec des sans-abris est une expérience nouvelle pour Regina. Elle a fait une demande d'allocations chômage, mais l'administration autrichienne a estimé qu'il lui manque 127 jours de travail pour en bénéficier, ses périodes de travail à l'étranger étant difficiles à faire reconnaître.

Pour Regina, les personnes du foyer représentent sa deuxième famille. "Ça crée des liens : on partage des rires et des pleurs aussi," dit-elle. Claudia, une représentante de l'association "Volkshilfe" à Vienne, ajoute : "Tisser des liens, c'est ce qu'on fait tous et après, les choses se font naturellement, comme dans une famille," estime-t-elle. Regina renchérit : "Quand on voit que quelqu'un ne va pas bien, on le réconforte en faisant des blagues."

La pauvreté du fait de la pandémie frappe particulièrement durement, les parents célibataires, les indépendants, les petits patrons ou encore les travailleurs saisonniers.

"La crise du coronavirus, c'est comme un miroir grossissant qui révèle les fractures dans la société," estime Tanja Wehsely, directrice de l'ONG "Volkshilfe"de Vienne. "On a 70% de personnes en plus qui nous sollicitent, qui nous demandent une aide d'urgence pour des colis de nourriture," précise-t-elle. "Dans les files d'attente, on trouve des gens dont on n'aurait jamais pu penser qu'ils dépendraient un jour de nos colis pour nourrir leur famille," déclare-t-elle.

Des entreprises "réticentes à embaucher"

Regina s'apprête à déposer en main propre, une énième candidature pour un emploi auprès de la présidente de l'Association hôtelière autrichienne, Michaela Reitterer. Le tourisme représente 7% du PIB du pays et habituellement, la main-d'œuvre manque dans ce secteur. Mais ces derniers mois, du fait du confinement, la plupart des hôtels ont dû fermer.

"Quand fin septembre, l'Allemagne a émis un avertissement pour les voyageurs à destination de l'Autriche, la crise s'est transformée en véritable catastrophe," explique Michaela Reitterer. "C'est triste pour Regina," poursuit-elle, "mais c'est pour cela que tous mes collègues sont très réticents à embaucher du personnel parce que personne ne sait s'il y aura un troisième confinement. J'ai promis à Regina de l'aider grâce à mes contacts à lui trouver un emploi quelque part en Autriche," dit-elle.

À l'échelle européenne, 13,5 milliards d'euros issus de la politique européenne de cohésion ont été versés pour soutenir les personnes vulnérables dans cette crise. D'autres financements pourraient venir les compléter. La solidarité s'exprime au plus haut niveau tout comme au plus près des personnes démunies.

Journaliste • Hans von der Brelie

Sources additionnelles • Caméra : Andrea Lolicato, Johannes Pleschberger ; montage : François Rudolf ; production exécutive : Sophie Claudet ; production : Géraldine Mouquet, Youcef Koliai

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