Des sceptiques aux complotistes, les multiples visages des anti-vaccins contre la Covid-19 en France

Unreported Europe
Unreported Europe Tous droits réservés euronews
Par Julian GOMEZ
Partager cet articleDiscussion
Partager cet articleClose Button
Copier/coller le lien embed de la vidéo de l'article :Copy to clipboardLien copié

La France fait partie des pays occidentaux qui comptent le plus d'opposants à la vaccination. Qui sont-ils ? Et quels messages véhiculent-ils ? Nous rencontrons quelques-uns d'entre eux et vérifions la véracité de leurs affirmations.

À l'heure où la vaccination contre la Covid-19 s'accélère en Europe, les campagnes anti-vaccins prennent de l'ampleur elles aussi. La France fait partie des pays où le scepticisme à leur égard, voire leur rejet, se fait le plus entendre.

D'après une enquête de Nature Medicine en 2020, les Français sont 58,8% à avoir confiance dans les vaccins contre le coronavirus alors que les Espagnols le sont à 74,3% et les Britanniques à 71,4%. Les sondages montrent inlassablement le faible niveau de confiance des Français dans les vaccins contre le coronavirus. Cette méfiance à l'égard de des vaccins en général concerne un tiers des personnes interrogées quels que soient leur sexe, leur lieu de vie et la composition de leur foyer.

C'est sur cette réticence latente que les opposants farouches à la vaccination tentent de capitaliser. Certains veulent y gagner une influence politique ou sociale. D'autres se font de l'argent en tant que gourous guérisseurs ou grâce à leurs liens avec la médecine alternative ou l'industrie vegan.

Qui sont les anti-vaccins ? Et quels messages véhiculent-ils ? Nous avons parcouru la France pour en rencontrer quelques-uns et vérifier la véracité de leurs propos.

Un complotde Bill Gates, du "grand capital" ou des laboratoires ?

Notre premier interlocuteur habite à Lille. Il revendique environ 125.000 abonnés sur les réseaux sociaux. Il nous a fallu six semaines pour le convaincre de nous parler. Il a accepté sous couvert d'anonymat. Il dit avoir reçu des menaces de mort. Selon lui, l'industrie pharmaceutique le traque en raison de ses opinions.

"Certains vaccins de Bill Gates," soutient-il, "ont été amenés à provoquer de grandes pandémies dans certains pays comme en Inde où il a amené son vaccin contre la polio qui a donné cette maladie à 450.000 enfants. Et cela a même provoqué dans d'autres pays comme au Kenya," avance-t-il, "une stérilisation importante de plusieurs milliers de jeunes femmes."

Quand nous lui demandons s'il a des preuves de ce qu'il dit, il répond : "Quand je parle de preuves, Bill Gates a annoncé lui-même lors d'une conférence TEDx et sur d'autres plateaux que la vaccination en Afrique faisait du très bon boulot au niveau de la dépopulation."

Ses affirmations infondées sont largement partagées par les anti-vaccins radicaux qui dénoncent des complots soi-disant orchestrés par les juifs, les franc-maçons, les satanistes, le grand capital et l'industrie pharmaceutique.

"Il y a une société qui s'appelle Moderna qui a reçu des investissements du laboratoire Merck il y a environ cinq ans," renchérit-il. "Elle avait déjà fait des recherches sur un vaccin contre le Covid en 2015 : ce sont des devins ?" lance-t-il. "Le Covid, je viens de le découvrir comme vous, le coronavirus pareil ; mais en fait, des gens ont fait des recherches sur ces vaccins, Pasteur a déposé des brevets sur le coronavirus et sur le Covid," assure-t-il.

Fausses informations

Le pionnier de la vaccination, le Français Louis Pasteur, n'avait pas déposé de brevet pour un vaccin contre la Covid-19, il vécut au XIXe siècle. C'est pourtant ce que soutiennent de nombreux opposants à la vaccination. L'Institut Pasteur a de son côté mis en garde contre les fausses informations circulant sur les réseaux sociaux.

Co-auteur d'un livre sur l'histoire des mouvements anti-vaccins, Laurent-Henri Vignaud confirme leur radicalisation pendant cette pandémie. "La complosphère d'une certaine façon a mangé l'antivaxosphère," explique l'historien de l'Université de Bourgogne. "L'anti-vaccin classique, c'est celui qui se préoccupe de sa santé, de celle de son enfant, qui ne veut pas qu'on injecte des produits chimiques dans le corps de son enfant," ajoute-t-il. "C'est un argument médical, cela ne consiste pas à s'imaginer que des virus ou des vaccins sont fabriqués sur Mars pour exterminer la moitié de la population," insiste-t-il.

Le professeur Vignaud différencie les vaccino-sceptiques des vrais opposants avec des profils profondément enracinés dans l'histoire. "Tout d'abord, il y a un argument de type fataliste, religieux : on ne veut pas du vaccin parce que Dieu a voulu que vous soyez malades et il ne faut pas aller contre la volonté divine," indique-t-il. "Ensuite, il y a des arguments de type alter-scientifique - des gens qui ne croient pas à la dangerosité des virus -," énumère-t-il, "d'autres de type naturaliste - il faut laisser faire la nature - et un quatrième argument qui est politique : il y a des gens qui sont farouchement contre le fait que l'État vous oblige à prendre un médicament."

Lien entre vaccination et autisme ?

L'un des mouvements anti-vaccins les plus actifs en France est coordonné depuis le petit village d'Orville dans l'Indre. Marie Werbrègue est persuadée que sa fille comme de nombreux autres enfants a développé des symptômes de l'autisme après avoir reçu une injection de plusieurs vaccins sur les onze aujourd'hui obligatoires dans le pays. Même si les scientifiques ont maintes fois écarté l'existence d'un lien, elle n'en démord pas. "Les vaccins sont une arnaque, les gens réalisent peu à peu qu'ils se sont fait avoir," assure-t-elle.

Nous lui faisons remarquer qu'elle porte une accusation grave en utilisant le mot "arnaque". "Oui, je sais," répond-elle. "Le problème, c'est qu'il n'y a pas d'autre mot ; c'est quoi ? Un produit qui ne marche pas, qui donne des effets secondaires ? Qu'on soit vacciné ou non, on peut avoir la maladie. Il y a personne pour "le service après-vente" : vous appelez ça comment, vous ?" s'indigne-t-elle.

Marie Werbrègue est suivie par quelque 12.000 abonnés sur les réseaux sociaux. Elle se dit optimiste sur la portée de son message anti-vaccin. "C'est comme différents scandales qu'il y a eu dans le passé comme l'amiante : cela a été très long pour montrer qu'il y avait un problème," affirme-t-elle. "Pour la cigarette, c'est pareil : pendant très longtemps, on disait qu'il n'y avait pas de problème et au bout d'un moment, on a dit 'stop' ; ça sera exactement la même chose pour la vaccination," estime-t-elle.

De nombreux débats sur les vaccins en France

La frontière est parfois ténue entre opposants farouches et citoyens réticents. Sociologue, Jeremy Ward est un spécialiste du scepticisme à l'égard de la vaccination en France. Pour lui, une méfiance ancienne envers les autorités de santé publiques explique en partie la situation.

"La raison pour laquelle il y a plus d'hésitation vaccinale en France que dans de nombreux autres pays, c'est que l'on a eu beaucoup plus de débats publics sur la sécurité des vaccins," rappelle le sociologue au Groupe d'Étude des Méthodes de l'Analyse Sociologique de la Sorbonne. "On a eu les débats sur la sécurité du vaccin contre l'hépatite B à la fin des années 90, puis sur le vaccin contre la grippe H1N1 en 2009, sur celui contre les infections à papillomavirus, sur les adjuvants aluminiques et enfin, sur les vaccins multivalents, donc on a vraiment eu dix dernières années compliquées," constate-t-il.

Communication et transparence pour contrer l'opposition

Comment les autorités de santé françaises peuvent-elles gagner en crédibilité, contrer les messages portés par les anti-vaccins et convaincre les sceptiques ?

"L'un des premiers éléments, c'est écouter, prendre au sérieux les doutes que les personnes ont," affirme Jeremy Ward, "parce que l'un des premiers réflexes peut être de balayer du revers de la main en disant qu'il s'agit de mamans hystériques avec en plus, des relents de sexisme, etc. Et puis, on sait que c'est très important de ne pas laisser circuler des éléments factuels qui sont faux sans avoir une réponse, il faut au moins répondre qu'une enquête est en cours à ce sujet," poursuit-il. "Il faut évidemment de la communication, mais aussi avant tout de la transparence : que l'on puisse voir les systèmes de reporting des effets secondaires ou des événements indésirables," estime le sociologue.

Jamais un gouvernement et des laboratoires n'ont autant communiqué sur la sécurité d'un vaccin. Ce qui pourrait expliquer pourquoi de récents sondages montrent une plus grande adhésion des Français à la vaccination contre la Covid-19.

Journaliste • Julian GOMEZ

Partager cet articleDiscussion

À découvrir également

Alex Jones, ou comment tirer des recettes du complotisme

Covid-19 : les survivalistes confortés dans leur crainte du pire

Covid-19 : les visages de la nouvelle pauvreté en Europe