Covid-19 : les survivalistes confortés dans leur crainte du pire

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Par Valérie Gauriat
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Les survivalistes, dit preppers, se préparent au désastre depuis longtemps. La pandémie a-t-elle dopé cette discrète communauté ? Notre journaliste Valérie Gauriat a enquêté en Espagne.

Dans les montagnes à une heure de Madrid, par une journée ensoleillée de mars, nous rejoignons un groupe venu de tout le pays pour s’adonner, l’espace d’un week-end, à une activité de plein air inhabituelle.

Le formateur nous montre un morceau de pierre acéré qu'il vient de tailler dans un bloc de silex : "On peut en faire une pointe de lance, une pointe de flèche ou une hache et cela peut servir à faire du feu," dit-il. C'est l'un des nombreux stages de survie qui se multiplient dans le pays. On y apprend les techniques de bases pour s'en sortir en cas de catastrophe.

Juan J. López est instructeur de survie depuis longtemps. C'est aussi un "préparationniste", dit "prepper". Ce terme définit ceux qui se préparent à affronter tous les désastres qui pourraient s'abattre sur nous à tout moment. Une croyance qui gagne du terrain avec la pandémie, dit l'instructeur.

"Les gens commencent à se dire que vivre au jour le jour est contre-productif," fait remarquer Juan J. López. "Si on a des connaissances et qu’on sait préparer un équipement pour survivre plusieurs jours en cas de pic de ces pandémies ou dans des situations d’urgence, cela peut nous sauver," assure-t-il.

"Quand l’État est affecté, les gens ont besoin d'autogestion"

Après une baisse d’activité pendant le premier confinement, les organismes de formation à la survie ont le vent en poupe en Espagne, l’un des pays les plus durement frappés par la pandémie. En moins d’un an, la demande a augmenté de plus de 30%, observe le fondateur de cette école appelée Escuela Española de Supervivencia.

"Une chose est de vivre une situation de survie quand une ou plusieurs personnes se sont perdues dans la montagne, c'en est une autre de se retrouver dans une situation de survie quand l’État est affecté d’une manière générale, quand les équipes de secours, le système de sécurité sociale, le système sanitaire s’effondrent," indique Ignacio Ortega.

"Les gens se rendent compte qu’ils ne peuvent plus compter sur l’aide de professionnels extérieurs comme avant et donc ils ont besoin d’autogestion, d’auto-sécurité et c’est normal qu’ils veuillent se former," estime-t-il.

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Les stagiaires s'exercent à la construction d'un abrieuronews

Se préparer à la crise économique post-pandémie

Nous discutons avec l'un des stagiaires : Pascual, entrepreneur. Il est venu de Valencia, à quatre heures de route de là pour suivre cette formation. Il veut, dit-il, se donner les moyens de protéger sa famille.

"Ce qui m'a motivé à venir, c'est surtout la situation d'incertitude dans laquelle on vit : je ne m'inquiète pas tant de la pandémie que de ce qui va se passer après la pandémie : la crise économique dont on souffre et dont on va souffrir pendant des années," précise-t-il avant d'ajouter : "Si les aides de l'État se tarissent, on pourrait avoir des vagues de licenciements massifs dans les entreprises, des pénuries de nourriture dans les villes, des situations de chaos, des révoltes... Alors je préfère prendre les devants et me préparer au cas où," souligne-t-il.

Les groupes de preppers se multiplient sur les réseaux sociaux où s’échangent inquiétudes et conseils pour faire face aux catastrophes éventuelles. Il n'est pas facile toutefois de pénétrer leur sphère privée.

Sphères secrètes

Un homme qui devait nous montrer sa réserve à Madrid a changé d'avis au dernier moment. C'est la quatrième fois que des preppers que nous devions rencontrer dans plusieurs villes d'Espagne annulent notre rendez-vous de cette manière.

L’un de nos contacts nous fait finalement parvenir des images des stocks qu’il a accumulés pour parer à toute éventualité.

Carburant, kits de survie, aliments secs ou en conserve, pharmacie, mais aussi tenues de camouflage, masques anti-nucléaires, armes et munitions ne sont que quelques exemples des biens qu’entretiennent les preppers dans des lieux individuels ou souvent collectifs dont l’adresse est toujours tenue secrète.

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Arcs et mousquetons stockés par un survivalisteeuronews

D'un côté, les "cigales" ou "élus" et de l'autre, les "fourmis" ou "losers"

Né aux États-Unis à l’époque de la guerre froide et souvent associé à l’idéologie d’extrême-droite, le survivalisme s’est développé en Europe et en particulier, en France sous des formes souvent moins radicales.

La vision du monde de ceux qui se décrivent comme des néo-survivalistes n’en reste pas moins inquiétante aux yeux du sociologue français Bertrand Vidal dont l’ouvrage sur le survivalisme fait référence.

"Les survivalistes s'organisent en communautés et vont essayer de partager les moyens pour s'en sortir," nous précise-t-il. "À cet égard, ils utilisent une fable, celle de La cigale et la fourmi," poursuit-t-il, "d'un côté, il y aurait les cigales qui n'ont pas vu venir l'hiver, la catastrophe - nous autres, autrement dit - et de l'autre, il y aurait les survivalistes, les fourmis qui s'organisent, stockent et s'organisent surtout en communauté, en colonie. Ils seraient en d'autres termes, les élus de l'Apocalypse, les élus du monde d'après, les winners," indique-t-il, "alors que nous autres serions les losers et mériterions presque de périr lors de cette fin du monde imaginée, mais aussi espérée par les survivalistes."

Partage de savoir

Le monde d’après, c’est à quoi se préparent les familles que nous avons rencontrées sur les hauteurs de la ville de Tolède au sud de Madrid. Plutôt que de vouer les cigales à la mort, elles veulent partager leur savoir.

Ces preppers confirmés nous font découvrir l’un de leurs spots de prédilection où ils viennent parfois renouer avec la nature et s’exercer à des techniques ancestrales comme celle d'un four souterrain qui remonte à la préhistoire. Mais ce qui aujourd'hui, est un loisir doit avant tout servir à se prémunir des catastrophes à venir.

"Une chose est de se préparer pour ce qui peut arriver, mais il faut aussi se préparer pour ceux qui veulent te faire du mal parce que malheureusement, quand il arrive quelque chose de grave, il y aura toujours ceux qui tuent, volent ou pillent," assure Javier Garcia Serrano, prepper et formateur à l'école de survie Gaïa.

"Il faut toujours essayer de préserver ses biens, enterrer les choses les plus basiques dans un endroit que tu connais : cela peut te tirer d’affaire," insiste-t-il. "J’espère qu’il ne se passera rien, mais un jour, ça viendra," met-il en garde.

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Création d'un four souterraineuronews

Enfouissement de matériel dans la nature

Roberto Fernandez Garcia et sa femme Melania Morena Varas ont créé leur propre école de survie il y a un an. L’enfouissement dans la nature de matériel permettant de survivre plusieurs mois fait partie des enseignements.

Ils nous ont préparé un bidon type : pharmacie, nourriture déshydratée ou en conserve, semences,  bougies, savon, cordages, couverture de survie et couteaux de chasse ne sont que quelques-uns des biens de première nécessité du prepper. Une fois le seau enterré, une pierre sert de repère pour le retrouver.

Il s'agit d'une démonstration organisée pour nous; les trésors de la famille sont cachés ailleurs et en plus grande quantité.

"Nous sommes une famille de quatre personnes, bientôt cinq, alors un seau aussi petit ne suffirait pas," explique Roberto Fernandez Garcia. "On a trois caisses enterrées dans deux endroits différents en Espagne : l’une contient tout ce qui est médical, l’autre, la nourriture et la troisième, tout ce qui sert à nous défendre," confie-t-il.

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Un couple de survivalistes nous montre le matériel type à enterrereuronews

"On se prépare au cas où"

Nous demandons au couple s'il est convaincu qu'il se servira un jour de leur contenu. "Il peut y avoir des catastrophes naturelles parce que la planète va de plus en plus mal, d’autres pandémies, toutes sortes de conflits," répond Melania Morena Varas. "Alors oui, je pense que cela pourrait servir un jour," dit-elle. "Si je n’ai pas à m’en servir, tant mieux ; mais si jamais j’en avais besoin, alors ce sera là," souligne-t-elle.

Son mari renchérit : "Il y a des gens qui pensent que ceux qui se préparent pour ce type d’éventualités ou qui prennent la survie très au sérieux sont fous, mais ce n’est pas le cas ! Quoi de mieux que de retrouver la nature en se préparant sans pour autant être obsédé et penser toute la journée que le monde va finir demain, non ! On ne se prépare pas à la fin du monde, on se prépare au cas où cela arriverait," précise-t-il.

Journaliste • Valérie Gauriat

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