Résister, démissionner, gagner du temps : les stratégies des soignants contre l'obligation vaccinale

Des infirmières et leur panneau lors d'une manifestation anti-pass sanitaire à Paris le 17 juillet 2021
Des infirmières et leur panneau lors d'une manifestation anti-pass sanitaire à Paris le 17 juillet 2021 Tous droits réservés Michel Euler / AP Photo
Par Sandrine AmielAdapté en Français par Marie Jamet
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Ils sont infirmiers, aide-soignants, pompiers... et opposés à l'obligation de se vacciner. Euronews est allé à leur rencontre pour comprendre leurs arguments et les stratégies qu'ils comptent utiliser pour éviter d'avoir à se vacciner.

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Gaëlle Faure, infirmière de 23 ans travaillant dans un hôpital de Bordeaux en France, doit choisir : soit elle se fait vacciner contre le Covid-19 – elle est hésitante – soit elle est suspendue d'un emploi qu'elle apprécie.

Elle fait partie des milliers de professionnels de la santé français qui sont descendus dans la rue ces dernières semaines pour protester contre les nouvelles politiques de vaccination du gouvernement.

Alors que la France entrait dans une quatrième vague de coronavirus alimentée par les variants, le gouvernement est intervenu de manière controversée pour augmenter le taux d'acceptation des vaccins Covid-19.

La carotte pour inciter les Français à se faire vacciner a été de rendre l'accès aux restaurants, cafés et lieux culturels et de loisirs plus difficile pour les personnes non vaccinées – environ 30 % de la population adulte, 69 % étant totalement vaccinés au 10 août.

Le bâton a été de dire aux soignants qu'ils devaient se faire vacciner avant le 15 septembre. Ceux qui refusent s'exposent à une suspension de leur contrat sans rémunération.

Des Français sont alors descendus dans la rue à de multiples reprises contre ces deux mesures, avec des slogans tels que "Le droit de dire non !", "Non à la vaccination obligatoire !" ou en détournant le slogan féministe "Mon corps, mon choix !".

"Je ne suis pas quelqu'un qui a l'habitude de manifester, en général je suis plutôt du genre à faire des courbettes. Mais le passeport santé et la vaccination obligatoire m'ont poussé à protester", témoigne ainsi Gaëlle Faure à Euronews, qualifiant ces nouvelles mesures de "forme de mépris pour les soignants qui se sont tant investis – et s'investissent encore – dans la lutte contre la pandémie."

Gaëlle Faure
Dans cette photo, non datée, Gaëlle Faure, à gauche, pose tenue complète anti-covid, avec une ancienne collègue au CHU de Bordeaux, FranceGaëlle Faure

Elle explique que sa colère n'a fait que croître lorsque la police lui a tiré des gaz lacrymogènes en plein visage alors qu'elle manifestait pacifiquement le week-end dernier. "Je ne l'ai pas bien pris. J'ai trouvé cela très violent", a-t-elle déclaré à Euronews.

Pour le gouvernement, une obligation morale

Le gouvernement affirme que c'est un devoir moral pour les professionnels de la santé de se faire vacciner afin de protéger les patients vulnérables dont ils ont la charge. L'objectif de la loi, a déclaré le ministre français de la Santé Olivier Véran aux journalistes la semaine dernière, est que "les soignants, ceux qui soignent, ne soient pas ceux qui risquent de contaminer les gens, ceux qui n'ont absolument pas demandé à tomber malade".

Ces nouvelles règles ne concernent d'ailleurs pas que les professionnels de la santé, mais tous ceux qui travaillent avec des populations vulnérables, y compris les pompiers.

La plupart des organisations professionnelles sont d'accord, et beaucoup ont cosigné un texte avec le gouvernement le mois dernier pour soutenir la vaccination obligatoire.

La grande majorité des professionnels de santé français ont reçu au moins une dose de vaccin – 88 % pour les médecins libéraux et 77 % pour les personnels soignants, selon les derniers chiffres publiés par Santé publique France.

Pourtant, une minorité non négligeable résiste encore à la décision du gouvernement de rendre la vaccination obligatoire pour leurs professions.

Euronews s'est entretenu avec ces professionnels pour comprendre les raisons de leur mobilisation et l'impact qu'elle aura, tant au niveau individuel que pour les secteurs de la santé et du social, déjà en sous-effectifs.

Pourquoi certains professionnels de santé français sont-ils contre la vaccination obligatoire ?

"Nous considérons que nous avons le même droit que tout citoyen de décider si et quand se faire vacciner ou non", a déclaré Abdellah Chaouch, pompier, secrétaire général syndical CGT-SDIS en Seine-et-Marne, près de Paris.

Abdellah Chaouch
Abdellah Chaouch, pompier - photo non datéeAbdellah Chaouch

"Nous ne comprenons pas le choix du gouvernement de ne pas laisser aux pompiers la capacité de décider", a déclaré M. Chaouch à Euronews, qualifiant ce choix politique de "liberticide".

Il y a beaucoup de pompiers qui sont actuellement en congé de maladie, qui refusent de se faire vacciner.
Abdellah Chaouch
Pompier, secrétaire général syndical CGT-SDIS 77

Dominique Chave, aide-soignant, et Rodolphe Verger, infirmier, tous deux secrétaire général de la branche santé de la CGT, démentent que leur syndicat est anti-vaccin.

"Nous n'avons pas de point de vue sur la question de savoir si ce vaccin est bon ou pas", explique ainsi Rodolphe Verger à Euronews.

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"Dans certains discours, les professionnels de santé sont accusés. Les gens disent : 'ils savent donc ils devraient montrer l'exemple'. C'est ça le problème : ils savent et ils savent ce que signifie une autorisation de mise sur le marché conditionnelle. Si elle est conditionnelle, cela signifie que le médicament présente des risques qui n'ont pas été entièrement évalués", ajoute-t-il. "Donc ce que nous défendons, c'est le respect de la liberté de choix compte tenu de l'état actuel des preuves."

L'Agence européenne du médicament a accordé une autorisation de mise sur le marché conditionnelle à quatre vaccins contre le Covid-19 depuis décembre dernier, affirmant dans tous les cas que les avantages l'emportaient largement sur les risques d'éventuels effets secondaires.

Selon les syndicalistes de la CGT, de nombreux professionnels de la santé se sentent frustrés d'être vilipendés pour avoir refusé la vaccination après avoir été traités en héros lors de la première vague de la pandémie.

"Il y a tout juste un an, nous avons été envoyés au travail sans aucun équipement de protection. Même lorsque nous disions que nous avions le Covid-19, on nous disait d'aller travailler et on nous refusait notre congé maladie, sachant qu'il y avait un risque d'infecter les patients parce que nous étions malades et parce que nous n'avions pas de protection. Et aujourd'hui ces mêmes personnes nous disent : 'comment se fait-il que vous ne vouliez pas vous faire vacciner ? Vous êtes irresponsables ; vous risquez de contaminer les patients'. Cela met tout le monde en colère, y compris ceux qui se sont fait vacciner spontanément", précise M. Verger.

Dans une déclaration publiée la semaine dernière, le syndicat a également dénoncé les sanctions prises à l'encontre des employés qui résistent à la vaccination.

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"Suspendre un salarié de toute activité ou l'empêcher d'être recruté est discriminatoire et inacceptable. Il est également scandaleux de priver un agent de son salaire ou d'un revenu de remplacement", a ainsi déclaré la CGT. "Les travailleurs les plus pauvres seront les plus impactés".

La branche santé de SUD, un autre syndicat, a également appelé les travailleurs à se joindre aux protestations contre le pass sanitaire, le qualifiant d'"attaque contre le droit du travail". Elle a précisé que sa mobilisation n'avait "rien à voir avec les rassemblements initiés par l'extrême droite et les théoriciens du complot, auxquels nous nous opposons."

Quelles sont les options pour les travailleurs qui refusent la vaccination obligatoire ?

Les soignants qui résistent à la vaccination peuvent essayer de gagner du temps jusqu'à ce que les nouvelles règles cessent de s'appliquer, selon les professionnels interrogés par Euronews.

"Une majorité des personnels espèrent gagner du temps jusqu'à ce que nous n'ayons plus cette vaccination obligatoire comme une épée au-dessus de nos têtes", rapporte ainsi Dominique Chave, aide-soignant et secrétaire général de la CGT santé, notant qu'il était pour le moment prévu que la législation actuelle s'applique jusqu'à la mi-novembre – même si elle pourrait éventuellement être prolongée.

Une majorité des personnels espèrent gagner du temps jusqu'à ce que nous n'ayons plus cette vaccination obligatoire comme une épée au-dessus de nos têtes.
Dominique Chave
Aide-soignant, secrétaire général de la branche santé de la CGT

L'un des moyens d'y parvenir est de prendre un congé de maladie ou un congé annuel.

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"Il y a beaucoup de pompiers qui sont actuellement en congé de maladie, qui refusent de se faire vacciner. Ils sont en mesure de reprendre leur travail, mais ils ont pris leur congé annuel ou sont en congé maladie", témoigne ainsi M. Chaouch.

Démissionner est une autre option pour ces professionnels qui résistent à la vaccination obligatoire.

"Nous voyons déjà des démissions", atteste Dominique Chave. Pour ces professionnels, la vaccination obligatoire est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase, explique-t-il. "Avant même cette crise sanitaire, les conditions de travail et même les salaires étaient déjà assez pénibles. La pandémie n'a fait qu'exacerber le manque de moyens."

D'autres soignants s'appuieront sur le fait que les sanctions peuvent être difficiles à appliquer, estime Rodolphe Verger : "Certains collègues disent 'je vais aller jusqu'au bout et voir ce que le directeur va faire'. Parce que c'est une chose de dire que c'est sanctionnable et une autre d'appliquer réellement les sanctions."
"Je pense que toutes les directions des hôpitaux se demandent comment faire", ajoute-t-il, invoquant les principes du secret médical dans le service public et les règles actuelles de sanction des fautes professionnelles. "Si vous additionnez toutes ces stratégies, vous obtenez un nombre assez important de personnes".

Gaëlle Faure, l'infirmière de Bordeaux, explique que, bien qu'elle n'envisage pas de démissionner, elle n'est pas encore sûre de ce qu'elle fera : "J'attends simplement de voir comment les choses vont évoluer. Si un nombre important de soignants ne sont pas vaccinés, peut-être pourrons-nous faire front commun contre cela ? Je ne sais pas comment cela va se passer, mais pour l'instant, je reste fidèle à mes convictions et je ne suis pas prête à me faire vacciner".

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Selon elle, environ 30 % de ses collègues de l'hôpital de Bordeaux n'étaient pas vaccinés la semaine dernière, mais elle pense que beaucoup ont depuis "cédé à la pression".

Quelles sont les conséquences pour les services de santé et les services sociaux ?

Abdellah Chaouch estime que l'impact de la nouvelle législation se faisait déjà sentir dans de nombreuses casernes de pompiers.

Dans son département de Seine-et-Marne, environ 350 pompiers sont normalement d'astreinte au quotidien, mais en ce moment, "il nous manque près de 100 personnes pour assurer la garde", constate-t-il. "Bien sûr, il y a aussi les vacances d'été qui influent sur la disponibilité des volontaires. Mais je pense que la vaccination obligatoire n'a pas aidé. C'est énorme".

Rodolphe Chave fait remarquer que le recrutement de professionnels de santé était déjà un défi dans de nombreux établissements de soins, notamment les maisons de retraite avant et pendant la crise du Covid.

"Tous les établissements de santé, qu'ils soient publics ou privés, sont actuellement confrontés à une énorme pénurie de professionnels de santé (...) Et je pense que la vaccination obligatoire va nécessairement avoir un impact supplémentaire. On n'avait pas besoin de ça, clairement."

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Le même constat prévaut pour les casernes de pompiers. Abdellah Chaouch : "On a déjà des problèmes de recrutement, indépendamment du pass sanitaire. Je n'ai jamais vu autant de démissions et de demandes de congés prolongés. Pensez-vous que le pass va améliorer la situation ? Certainement pas !".

Christophe Ena / AP Photo
Des pompiers manifestent pour leurs salaires - Paris le 28 janvier 2020Christophe Ena / AP Photo

Plusieurs syndicats, dont la CGT et SUD, ont lancé des appels à des "grèves illimitées" contre la vaccination obligatoire, la nouvelle loi étant entrée en vigueur cette semaine.

Interrogé sur l'impact de la grève, M. Chave estime qu'il est "un peu tôt pour en parler aujourd'hui, puisque notre préavis de grève date du 9 août".

Pour les pompiers, l'impact sera limité étant donné que la plupart des grévistes sont "réquisitionnés" pour travailler de manière quasi systématique afin d'assurer la continuité du service public, précise M. Chaouch.

S'adressant aux journalistes la semaine dernière, le ministre de la Santé français Olivier Véran a affiché la détermination du gouvernement à appliquer les nouvelles règles malgré les protestations. "La loi s'appliquera", a-t-il insisté, "Le moment viendra où ces personnes n'auront plus le loisir de faire grève puisque, par définition, cette obligation vaccinale s'appliquera".

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Que dit exactement la loi ?

Jusqu'au 15 septembre, les professionnels des secteurs de la santé et des soins qui n'ont pas été complètement vaccinés ont la possibilité de présenter un certificat de rétablissement ou un test négatif effectué dans les 72 heures. Pour de nombreux professionnels, cela signifie qu'ils devront se faire tester plusieurs fois par semaine pour pouvoir aller travailler.

Du 15 septembre au 15 octobre, ils devront prouver qu'ils ont reçu au moins leur premier vaccin et présenter un test négatif. Après le 15 octobre, ils devront être entièrement vaccinés.

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