Après le charbon, l’UE s’interroge sur l’interdiction de pétrole et de gaz russe

La question des gazoducs est centrale dans l'approvisionnement de l'UE
La question des gazoducs est centrale dans l'approvisionnement de l'UE Tous droits réservés Dmitry Lovetsky/Copyright 2019 The Associated Press. All rights reserved.
Par Jorge LiboreiroEuronews
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Les Etats membres ont décidé un embargo sur charbon russe. La question se pose désormais pour le pétrole et le gaz, les ressources les plus rentables pour Moscou.

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L'Union européenne brise différents tabous encore inimaginables il y a quelque mois. En matière d’énergie les 27 songent à interdire les importations en provenance de Russie. Or l’UE dépend très fortement de ces ressources et de l’approvisionnement de son puissant voisin.

Les positions sur cette mesure radicale se sont rapprochées depuis la publication d’images révélant des atrocités commises dans la ville ukrainienne libérée de Boutcha, dans la banlieue proche de Kyiv. Le massacre a déclenché un tollé international. De nombreuses capitales accusent Moscou de crime de guerre, des accusations rejetées par le Kremlin.

En réponse les États membres ont décidé d'imposer un délai de 120 jours pour éliminer complètement les importations de charbon russe. Cette mesure inédite doit compléter les précédents trains de sanctions. L’objectif est de paralyser la machine de guerre du Kremlin.

L'annonce européenne a été saluée dans un premier temps. Mais depuis elle est éclipsée par les débats sur un éventuel embargo concernant les exportations les plus rentables de Moscou : le pétrole et le gaz. Les ventes d’hydrocarbures représentent la principale source de revenus de la Russie puisqu’elles s’élèvent à 40 % du budget fédéral russe.

Les achats de charbon russe par l'UE ont atteint l’année dernière 5,16 milliards d'euros. Un chiffre bien faible comparé aux 71 milliards d'euros dépensés pour le pétrole et aux 16,3 milliards d'euros consacrés au gaz.

Selon l’institut Bruegel, un groupe de réflexion économique basé à Bruxelles, l'UE paie actuellement et quotidiennement à la Russie 450 millions d'euros pour son pétrole et 400 millions d'euros pour son gaz.

Josep Borrell, responsable de la politique étrangère de l'UE, insiste sur l’ampleur de ces dépenses. Devant le Parlement européen, il a souligné récemment que l'Union avait dépensé 35 milliards d'euros en énergies fossiles russes depuis le début de la guerre en Ukraine.

Son appel fait écho à celui de la Pologne et des pays baltes qui poussent depuis de plusieurs semaines pour réduire fortement les importations d'énergies russes. Varsovie et ses alliés font valoir qu’une suspension des achats est le seul moyen d'infliger des difficultés réelles au président russe Vladimir Poutine et de le forcer à négocier un cessez-le-feu.

De l'autre côté de la table, l'Allemagne, l'Autriche et la Hongrie, dépendent fortement du fournisseur russe. Ces capitales restent très réservées concernant un embargo total. Le chancelier allemand Olaf Scholz estime qu'une coupure soudaine plongerait "toute l'Europe dans la récession". De son côté le Premier ministre hongrois,Viktor Orbán, promet de s’opposer à toute tentative d'imposer un embargo énergétique car, selon lui, cela "tuerait" son pays.

Pour le moment Moscou ne montre aucun signe d’un abandon ou d’un allègement de son attaque militaire en Ukraine. Les rapports soulignant la brutalité de la guerre se multiplient et suscitent l'indignation. Face à cette situation l'UE réalise que le débat ne peut plus être reporté. La rapide et solide unité politique affichée par les 27 face à l'agression de Vladimir Poutine passe un nouveau test.

L'interdiction du pétrole et la géopolitique du marché

La Russie est le troisième producteur mondial de pétrole, derrière les États-Unis et l'Arabie saoudite, avec une production d'environ 10,1 millions de barils par jour (bpj) de pétrole brut.

L'Europe est de loin son principal client puisque le continent achète chaque jour 2,4 millions de barils de brut, ainsi que 1,4 million de bpj d'autres produits raffinés. L'Allemagne et les Pays-Bas consomment à eux seuls 1,1 million de bpj.

La Russie représenta plus de 25 % des importations totales de pétrole de l’UE pour un montant en 2021 de plus de 70 milliards d'euros.

L'oléoduc Druzhba achemine plus d'un million de barils quotidiennement vers des raffineries en Pologne, en Hongrie, en Slovaquie, en République tchèque, en Autriche et en Allemagne. Ces usines transforment ensuite l'or noir en diesel, naphta, essence et lubrifiants.

Mais Druzhba, qui signifie "amitié", n'est pas la seule porte d’entrée du pétrole vers l'UE. L'Union européenne reçoit la majorité de ses importations à travers ses ports, comme ceux de Rotterdam et du Havre, où les pétroliers déchargent des milliers de barils de brut et des tonnes de produits raffinés.

Si l'Union décidait de couper le pétrole russe, ces ports seraient essentiels pour contourner les oléoducs russes et garantir la continuité des approvisionnements après l'instauration de l'embargo.

Frank Molter/AP
L'UE doit aussi construire de nouvelles infrastructures pour diversifier ses approvisionnementsFrank Molter/AP

"Il y a quelques raffineries situées sur cet oléoduc [Druzhba] qui devraient être les plus exposées à un arrêt des flux russes", explique à Euronews Ben McWilliams, analyste à l’institut Bruegel.

"Certaines des autres raffineries qui sont sur les ports auront plus de facilité à remplacer les importations de pétrole russe parce que, plutôt qu'un navire transportant du pétrole brut de Russie, vous aurez un navire transportant du pétrole brut du Moyen-Orient."

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L'UE devrait tirer parti de sa puissance économique en tant que marché unique pour obtenir les approvisionnements nécessaires auprès d'autres pays producteurs comme la Norvège, l'Algérie, le Nigeria, l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, afin de compenser la perte de pétrole russe.

La conclusion de ces accords pourrait cependant s'avérer difficile. L'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), conjointement avec Moscou, limite la production depuis le début de la pandémie de covid-19. Ces Etats affirment que la demande mondiale est toujours instable et sous la pression du virus.

"Jusqu'à présent, les pays de l'OPEP n'augmentent pas l'offre à un rythme plus élevé qu'avant la guerre, ce qui est, d'un point de vue économique, assez étrange étant donné que les prix sont supérieurs à 100 dollars le baril", souligne Ben McWilliams.

"Cela est probablement dû en grande partie à d'autres raisons géopolitiques et à des relations pas très bonnes, notamment entre l'Amérique et les Saoudiens et les Émirats arabes unis, liées à la guerre au Yémen, ce qui signifie qu'ils sont moins susceptibles d'aider les États-Unis et leurs alliés."

L'OPEP a déjà prévenu qu'un embargo sur le pétrole russe créerait un énorme choc sur le marché, comparable à la crise énergétique des années 1970, qui a provoqué une longue et douloureuse période de stagflation en Occident.

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"Nous pourrions potentiellement assister à la perte de plus de sept millions de barils par jour d'exportations de pétrole et d'autres liquides russes", insiste le secrétaire général de l'OPEP, Mohammad Barkindo, aux responsables européens lors d'une récente réunion à Vienne, selon une copie de son discours vue par Reuters.

"Compte tenu des perspectives actuelles de la demande, il serait presque impossible de remplacer une perte de volume de cette ampleur."

Au regard des circonstances, des alternatives à un embargo total sont à l’étude mais ces mesures devraient tout de même réduire les ressources financières de la Russie.

La possibilité d'imposer une taxe sur les importations de pétrole russe est sur la table des 27. Cette mesure réduirait la demande dans l'ensemble de l'Union et obligerait les entreprises russes à vendre leurs barils à prix réduit.

L'interdiction du gaz et les limites de la diversification

Mais pour l’UE la question est encore plus difficile pour le gaz. Les Etats membres ont importé l’année dernière 155 milliards de mètres cubes (mmc) de gaz venu de Russie. Cette quantité correspond à environ 40 % de la consommation de l'Union. La grande majorité du gaz russe est acheminée vers l'UE par un réseau de gazoducs aériens et sous-marins.

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Dans des pays comme l'Allemagne, l'Autriche, la Finlande, la Hongrie et la Bulgarie, la Russie jouit d'une position dominante en tant que principal ou unique fournisseur. Berlin dispose aussi d’un accès direct avec le gazoduc Nord Stream qui achemine plus de 55 milliards de m3 par an.

Stefan Sauer/ AP
Dessin représentant le gazoduc Nord Stream 2 entre la Russie et l'AllemagneStefan Sauer/ AP

Cette dépendance a poussé l'UE à chercher une alternative : le gaz naturel liquéfié (GNL). Mais cette ressource, plus coûteuse, nécessite des terminaux spécifiques pour transformer le liquide refroidi en gaz. Les États-Unis, le Qatar, l'Australie, le Nigeria, l'Algérie, la Malaisie, l'Indonésie et la Russie sont les principaux exportateurs.

Dans les semaines qui ont précédé l'invasion de l'Ukraine, l'Union européenne a commencé à augmenter ses achats de GNL, battant des records en terme de volume. Washington a récemment promis de fournir à l'Union 15 milliards de m3 supplémentaires de GNL. Cet accord s'inscrit dans le prolongement d'une autre feuille de route dévoilée par la Commission européenn, qui vise à acheter 50 milliards de mètres cubes d'ici à la fin de l’année.

Mais ces ambitieux projets sont conçus pour réduire progressivement la dépendance de l'UE à l'égard du gaz russe, et non pour une suspension du jour au lendemain. La distribution d'une telle quantité de GNL dans les 27 pays membres pourrait aussi s'avérer difficile d’un point de vue logistique. Les terminaux GNL de l'Union sont répartis de manière inégale. Les principales infrastructures sont concentrées dans des pays côtiers comme l'Espagne et l'Italie, laissant les Etats d'Europe centrale et orientale à l'écart du système.

"Depuis le début de la guerre, le marché européen du gaz est très tendu", insiste Zongqiang Luo, analyste au cabinet de conseil Rystad Energy.

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"Tous les terminaux de regazéification en Europe fonctionnent presque à pleine capacité. Surtout pour les derniers mois, le taux était de l'ordre de 100% d'utilisation ou proche de 95% pour l'utilisation des terminaux gaziers."

En plus d'une capacité de traitement limitée, l'UE doit faire face à une demande internationale très importante de GNL. La consommation de gaz par gazoduc de l'Union représente plus de 75 % du marché mondial, cette part tombe à 16 % lorsqu'il s'agit de GNL, selon la Commission européenne.

Zongqiang Luo estime que l'UE pourrait surmonter ce désavantage si elle offrait un "prix très élevé" pour convaincre les acheteurs asiatiques de revendre leurs réserves. Toutefois, note l'expert, il sera toujours "très difficile" pour l'UE de répondre à ses objectifs de stockage en gaz sans recourir aux gazoducs russes.

"Vous pouvez voir que l'Union européenne cherche des alternatives comme le gaz africain d'Algérie et aussi les approvisionnements en gaz d'Azerbaïdjan et, bien sûr, de Norvège", constate Zongqiang Luo.

Mais cette diversification soudaine ne compensera qu’à moitié les importations de gaz russe prévient Ben McWilliams. Les gouvernements pourraient être contraints de "demander aux ménages de coopérer" pour faire baisser sensiblement la demande.

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"Il est possible d'économiser un peu de gaz en allumant légèrement le chauffage et en faisant preuve de bon sens dans l'utilisation de l'énergie. Il faudra également s'adresser à l'industrie et certaines d'entre elles devront fermer pendant un certain temps pour gérer cette situation", ajoute Ben McWilliams. L’analyste laisse entendre que certains pays devraient repenser leur sortie du nucléaire.

L'arrêt de la production, qui s'est déjà produit dans certains secteurs en raison de la flambée des factures d'électricité, précipiterait un ralentissement économique spectaculaire et peut-être une récession, la troisième de l'UE au cours des deux dernières années.

Goldman Sachs estime qu'un embargo total sur le gaz russe pourrait faire chuter le PIB de la zone euro de 2,2% cette année. Une telle extrémité réduirait à néant la totalité de la croissance estimée à 2,5 % selon des prévisions actualisées.

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