Qu'est-ce que le traité sur la charte de l'énergie et pourquoi est-il si controversé ?

Plusieurs Etats membres de l'UE disent vouloir quitter le traité sur la charte de l'énergie
Plusieurs Etats membres de l'UE disent vouloir quitter le traité sur la charte de l'énergie Tous droits réservés Andrew Milligan/AP
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Par Jorge LiboreiroEuronews
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Plusieurs pays membres de l'UE ont annoncé leur souhait de quitter cette convention internationale accusée d'aller à l'encontre des objectifs climatiques.

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Un obscur accord international datant de l'après-guerre froide est ouvertement contesté par un nombre croissant de pays européens, près de 30 ans après sa signature.

La France, l'Espagne, la Pologne et les Pays-Bas ont annoncé leur intention de se retirer du traité sur la charte de l'énergie (TCE), estimant que l'accord va à l'encontre de leurs objectifs climatiques. La Belgique et l'Allemagne envisageraient de faire de même.

"Nous avons décidé de nous retirer du traité sur la charte de l'énergie, d'abord parce que cela va dans le sens des positions que nous avons prises, notamment l'Accord de Paris et ce qu'il implique", a déclaré le président français Emmanuel Macron la semaine dernière.

Un traité controversé

Signé à Lisbonne en décembre 1994, le TCE a été conçu pour promouvoir la coopération énergétique transfrontalière des deux côtés du rideau de fer.

Le traité offrait des garanties supplémentaires aux investisseurs occidentaux qui cherchaient à faire des affaires dans les anciens États soviétiques, qui étaient alors en transition vers un modèle capitaliste de marché et qui disposaient de nombreuses ressources fossiles à exploiter.

En vertu du TCE, les investisseurs étaient protégés contre l'accès discriminatoire, l'expropriation, la nationalisation, les ruptures de contrat et d'autres circonstances inattendues qui pouvaient avoir une incidence sur leurs prévisions de bénéfices.

L'accord s'est développé au fil du temps et compte aujourd'hui 53 signataires, dont l'Union européenne.

Les grands exportateurs d'énergie, comme les États-Unis, l'Arabie Saoudite et la Russie, ne sont pas liés par cet accord.

Les dispositions du traité couvrent les principaux aspects commerciaux des biens énergétiques (matières premières et produits raffinés), des investissements, du transit et de l'efficacité.

Le TCE établit notamment un système d'arbitrage privé par lequel les investisseurs et les entreprises peuvent poursuivre les Etats et demander des compensations en cas de changement de politique menaçant leurs activités et leurs revenus.

En tant qu'accord international, les décisions de cet arbitrage sont juridiquement contraignantes.

C'est ce même système qui est au cœur de la controverse croissante.

Des poursuites de plusieurs millions d'euros

Grâce à ce système de règlement des différends, les sociétés qui exploitent des gisements de pétrole, des gazoducs et des centrales électriques au charbon peuvent engager des poursuites judiciaires contre les États qui adoptent des lois pour lutter contre le changement climatique et réduire les émissions de CO2.

La valeur des infrastructures de combustibles fossiles dans l'UE, au Royaume-Uni et en Suisse protégées par le traité est estimée à 344,6 milliards d'euros, selon le magazine Investigate Europe.

En 2021, les Pays-Bas ont été frappés par deux procès différents intentés par des entreprises énergétiques allemandes qui réclamaient une compensation pour l'abandon progressif de l'énergie au charbon dans le pays.

De telles affaires ont alimenté les critiques contre le TCE, tant de la part des gouvernements que des militants du climat, qui craignent que les objectifs "zéro émission" ne deviennent la cible de poursuites.

Cela risque de "créer un effet de refroidissement catastrophique pour les gouvernements qui veulent prendre les mesures nécessaires pour freiner le dangereux réchauffement de la planète, mais qui craignent les représailles de l'industrie", explique l’ONG ClientEarth.

La Cour européenne de justice a jugé que l'arbitrage privé à huis clos prévu par le traité violait le droit communautaire et ne devait pas être utilisé pour régler les différends entre États membres.

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Selon Investigate Europe, 74 % des affaires liées au TCE impliquent un investisseur de l'UE contre un pays de l'UE.

"Sortir en tant que bloc serait une déclaration très forte", a souligné ministre néerlandais de l'Energie, Rob Jetten.

Pour tenter d'empêcher un retrait massif du traité, la Commission européenne négocie une série d'amendements au texte, dont la fin immédiate des poursuites judiciaires intra-européennes.

Ces modifications doivent être approuvées à l'unanimité par les 53 signataires lors d'une réunion en novembre.

La clause de caducité du TCE complique encore les choses. Même lorsqu'un pays sort du traité, les poursuites sont possibles pendant 20 ans.

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En 2016, l'Italie est devenue le premier pays de l'UE à quitter l'accord mais, six ans plus tard, elle a tout de même été condamnée à verser 190 millions d'euros - plus les intérêts - en compensation à Rockhopper Exploration, une société pétrolière et gazière basée au Royaume-Uni.

Le procès portait sur la décision de l'Italie de bloquer les forages pétroliers à moins de 12 miles de la côte adriatique, une interdiction qui a fait échouer les plans de Rockhopper d'investir 33 millions d'euros dans un projet de champ pétrolifère.

La grande différence entre le coût du projet et la compensation est censée refléter la perte de bénéfices prévue par l'entreprise.

La Commission fait pression pour limiter la clause d'extinction à dix ans pour les contrats existants et à neuf mois seulement pour les nouveaux investissements - mais cette modification ne s'appliquera qu'à ceux qui restent dans le TCE.

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