Comment restaurer la biodiversité dans les océans et eaux d'Europe ?

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Par Julian GOMEZ
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Alors que l'UE lance une mission océans, mers et eaux intérieures afin de préserver l'équilibre entre exploitation et protection des ressources, nous découvrons comment en Italie, des chercheurs restaurent des herbiers de posidonie, plante sous-marine essentielle à la biodiversité.

Pour répondre aux principaux défis de notre époque, l'Union européenne a lancé des domaines de mission dans le cadre du programme Horizon Europe qui doit débuter en 2021. Ils sont au nombre de cinq : les villes intelligentes et neutres en carbone, la santé des sols et l'alimentation, l'adaptation au changement climatique, la lutte contre le cancer et la santé des océans, mers et eaux intérieures.

Toutes ces eaux, ainsi que les glaciers produisent environ la moitié de l'oxygène que nous respirons et nous fournissent 16% des protéines animales que nous consommons. Mais ces écosystèmes riches et fragiles subissent différentes menaces : le changement climatique, la pollution, la surpêche ou encore la pression touristique. Comment protéger ces environnements tout en préservant leur valeur socio-économique ?

"Atteindre 30% de zones marines protégées dans l'UE"

Nous avons posé la question à Pascal Lamy, président du comité de mission océans. Il évoque pour nous, quelques-uns des objectifs concrets de cette démarche.

"Si on met une bouteille en plastique en haut du Mont Blanc, par exemple, il y a 60% de chances que quelques années plus tard, elle se retrouve dans la mer Méditerranée," explique Pascal Lamy. "Donc c'est un système, c'est très compliqué et donc il faut faire énormément de choses dans de nombreuses directions différentes," souligne-t-il.

"J'en donne quelques exemples : il faut sérieusement augmenter le volume des zones marines que nous protégeons," poursuit l'ancien commissaire européen. "Il y en a quelques-unes sur le territoire européen ; or notre objectif en 2030, c'est d'atteindre 30% de zones marines protégées de notre surface aquatique, c'est un gros effort," assure-t-il.

"Il faut doter systématiquement les bateaux de pêche de systèmes de géolocalisation qui permettent de les repérer de manière à vérifier que les activités de surpêche cessent alors qu'aujourd'hui, on sait qu'il y en a beaucoup," indique Pascal Lamy.

"Il faut inventer des moteurs propres pour des objets qui flottent sur la mer et les océans et notamment dans les zones côtières : les ferries... Tout ce qui a trait à la navigation côtière qui est moins compliquée du point de vue énergétique que les grands transports intercontinentaux," fait-il remarquer.

"Nous devions sauver cet important herbier de posidonie"

L'un des volets d'action consiste à rétablir la biodiversité : c'est ce que font des scientifiques à Bagnoli dans le sud de l'Italie. Ils rétablissent le riche écosystème sous-marin d'une zone côtière dévastée après des décennies de déversements industriels.

Leur terrain d'action : l'environnement d'une usine métallurgique qui à son âge d'or au XXe siècle, s'étendait sur deux millions de m². Elle a fermé en 1992. Mais il était déjà trop tard pour l'environnement marin des alentours. L'arsenic, le mercure, le chrome, le plomb et d'autres métaux lourds qui ont été déversés ont transformé le riche écosystème sous-marin local en dépotoir. Aujourd'hui, ces chercheurs impliqués dans le projet européen MERCES veulent remonter dans le temps.

Ils créent sur place des jardins sous-marins regroupant quelques-uns des habitats florissants qui avaient été presque anéantis. Cette restauration marine intègre certaines variétés d'algues et espèces de coraux, mais aussi la posidonie Posidonia Oceanica, une plante sous-marine endémique et menacée de Méditerranée.

"Nous devions intervenir pour sauver cet important herbier de posidonie," indique Luigi Musco, biologiste marin au sein de la Statione Zoologica Anton Dohrn de Naples. "En améliorant encore la qualité écologique de cette zone, la restauration de la posidonie amènera une nouvelle biodiversité, une valeur ajoutée à ces eaux," ajoute-t-il. "Notre objectif, c'est que du point de vue de la biodiversité, cette zone retrouve l'état dans lequel elle était au début du XXe siècle," dit-il.

"Plus résistante que ce qu'on pensait"

La posidonie absorbe le CO2 et libère de l'oxygène. Elle s'épanouit à des profondeurs maximales d'environ 35 mètres. Des scientifiques de Naples impliqués dans le projet étudient sa biologie pour comprendre non seulement comment on peut aider cette plante sous-marine à recoloniser ses habitats, mais aussi comment elle fait face à d'autres menaces pour sa survie, notamment aux eaux qui se réchauffent.

"En réalité, la posidonie est plus résistante que ce qu'on pensait quand on a commencé nos études," précise Gabriele Procaccini, biologiste marin au sein du même institut. "Pour assurer sa survie, la plante peut déclencher une série de mécanismes biologiques, métaboliques pour réagir à la chaleur excessive, la température de l'eau augmentant à cause du changement climatique," affirme-t-il.

"On cherche à savoir quelle est la limite de la réponse de la plante : au-delà de quelle température la croissance de la posidonie et ses chances de survie sont-elles compromises ?" renchérit-il.

Une algue à la reproduction perturbée

Ces travaux de recherche passent aussi par la réhabilitation d'écosystèmes marins formés par l'algue Cystoseira qui est tout autant menacée en Méditerranée par la pollution, la pression humaine et le changement climatique. L'équipe veut évaluer l'influence des eaux plus chaudes sur le taux de reproduction de cette espèce en particulier.

"On a établi que la hausse de la température de l'eau dégrade totalement le cycle de vie de cette espèce d'algue," explique Erika Fabbrizzi, spécialiste de l'écologie marine au sein du même institut. "On a vu que cette algue se met en phase de reproduction à des époques où elle ne devrait pas le faire : ce qui veut dire que les jeunes pousses sont obligées de se développer à une période qui n'est pas adaptée pour elles et donc, elles ne réussissent pas à atteindre leur taille adulte," fait-elle savoir.

"Des centaines d'années pour reprendre leur croissance"

70% des mers et océans du globe ont enregistré un net déclin de la biodiversité ces dernières années selon ces scientifiques. Les ressources de base d'un milliard d'êtres humains dépendent des océans, mers et eaux intérieures. La restauration sous-marine peut aider à protéger cet équilibre entre préservation et exploitation. Mais les défis sont immenses.

"Quand il s'agit de restaurer une parcelle de forêt amazonienne qui a été détruite, coupée ou brûlée, le processus nécessitera probablement des dizaines d'années et sous la mer, il existe des activités de restauration comme les forêts de macroalgues qui prennent à peu près le même laps de temps," explique Roberto Danovaro, coordinateur du projet MERCES et biologiste marin au sein de l'Université polytechnique des Marches. "Mais quand on a affaire à des récifs coralliens en eau profonde ou à des bancs de corail blanc, eux ont besoin de centaines d'années pour reprendre leur croissance," fait-il remarquer.

"Nos techniques peuvent permettre la restauration des espèces"

En plus des habitats naturels côtiers, les chercheurs veulent réhabiliter les fonds rocheux peu profonds et les écosystèmes de haute mer. Selon eux, la biodiversité marine peut de nouveau prospérer si on lui donne un peu d'aide.

"On ne pensait pas que la posidonie par exemple serait capable de survivre dans cette zone vu l'immense quantité de polluants présents dans l'eau, mais nous avons découvert que la plante est capable de résister," se réjouit le biologiste marin Luigi Musco.

"Évidemment, elle ne peut pas être en aussi bonne santé que dans un lieu totalement propre, mais elle ne se laisse pas abattre : donc nous sommes aujourd'hui certains que nos techniques peuvent permettre la restauration des espèces," dit-il. "Et comme il s'agit essentiellement de science fondamentale, nous continuons d'apprendre au fur et à mesure, pas à pas," concède-t-il.

Journaliste • Julian GOMEZ

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