Le Maroc a-t-il laissé des migrants rejoindre l'Espagne lors des négociations avec l'UE ?

Le Maroc a-t-il laissé des migrants rejoindre l'Espagne lors des négociations avec l'UE ?
Par Marta Rodriguez MartinezLillo Montalto Monella
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Le Royaume est en devenu ces derniers mois la principale route d'arrivée en Europe.

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Le Maroc a-t-il volontairement assoupli ses contrôles aux frontières pour en faire un levier dans les négociations clés qu'il mène avec l'Union européenne ? Le Royaume, situé à 14 kilomètres de l’Andalousie, est devenu le pays de transit le plus emprunté par les migrants, d'après les chiffres du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).

D'après le HCR, plus de 23 500 migrants sont arrivés depuis janvier par la mer en Espagne, plus que sur l'ensemble de l'année dernière, alors que Rabat et Bruxelles négocient actuellement un accord de pêche et l'aide qu'accordera l'UE pour aider le Maroc à protéger ses frontières avec l’UE.

"Il est plus difficile d'en être absolument certain, mais plusieurs observateurs suggèrent que le Maroc, comme il l’a fait par le passé, utilise dans le cadre de ces négociation très sensibles", a déclaré Gonzalo Fanjul, un enquêteur de porCausa, une fondation qui enquête sur les questions de migration.

"Traditionnellement, les forces de sécurité de l'Etat marocain serrent ou desserrent les vis en fonction des circonstances. L’un des éléments qui nous font penser que c’est un facteur est que dans ces flux de migrants, il y a beaucoup de Marocains. Or ces gens ne viennent pas de Libye".

Les principales routes migratoires vers l'UE en 2018

La traversée vers l'Espagne peut s'avérer mortelle - 293 migrants auraient péri au cours des six premiers mois de cette année.

Bruxelles a annoncé le mois dernier qu’elle accordait 55 millions d’euros au Maroc et à la Tunisie pour "améliorer la gestion des frontières maritimes, sauver des vies en mer et lutter contre les passeurs opérant dans la région".

Une porte-parole de la Commission européenne a déclaré qu’il n’y avait aucune preuve formelle des affirmations selon lesquelles le Maroc avait assoupli ses contrôles aux frontières. Le ministère des Affaires étrangères du Maroc n'a pas répondu aux demandes de commentaires d'Euronews.

"Le flux qui a été dirigé vers la Libye au cours des dernières années et qui a énormément diminué là bas depuis juillet dernier pourrait facilement se tourner vers le Maroc", estime Frank McNamara, analyste politique au European Policy Centre (EPC).

"Cependant, il semble que l'augmentation [du nombre de migrants arrivant en Espagne] soit en fait due à une augmentation du nombres d'émigrants au Maroc et à une" politique "des Marocains".

"De toute évidence, ils savent qu’il ya des accords à conclure avec l’UE en ce moment, tout comme le reste de l’Afrique".

"Ce que nous savons, c’est que plus de gens passent et que le Maroc, aux côtés des Espagnols, a réussi à contrecarrer ces flux dans le passé".

"_Les migrants ont longtemps été utilisés comme levier dans les négociations entre certains Etats africains et leurs homologues européens. Cela ne me surprendrait pas si un État assouplissait le contrôle de ses frontières, même si cela risque d'_entraîner des noyades."

Mohamed Daadaoui, professeur de sciences politiques à l'université d'Oklahoma City, confirme à Euronews qu'il a eu écho d'accusations de chantage marocain, mais que la réalité est bien plus complexe.

Il estime que la montée des migrants pourrait être une liée à une décision de la Cour européenne de justice datée de décembre 2016, selon laquelle tout accord commercial avec l'UE s'applique pas au Sahara Occidental, territoire contesté de la région.

"Or, il me semble que les jeunes marocains sont pressés de prendre le risque de traverser, étant donné la situation socio-économique désastreuse au Maroc".

"Leurs perspectives d'emploi et d'autonomie financière ne se sont pas améliorées, en particulier dans les régions du nord du pays".

Le professeur Daadaoui ajouté que le mouvement de protestation dans la région à prédominance berbère du Rif fin 2016 avait "illustré l’incapacité de l’Etat à faire face à la diversité des besoins socio-économiques de la jeunesse marocaine".

D'autres, cependant, estiment que l'augmentation du nombre de migrants arrivant en Espagne en provenance du Maroc et de Tunisie se limite à la lutte contre les passeurs menée en Libye et en Grèce.

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"Le Maroc a assoupli les contrôles aux frontières pour obtenir un effet de levier politique dans le passé, mais cela ne semble pas être le cas ici. Le pays est en train de fortifier ses relations avec l'Europe et les autres pays africains", a déclaré Francesca Fabbri, une experte du Maroc de l'EPC.

"On ne peut pas exclure que des gardes marocains aient parfois croisé les bras pour faire peur à l'Europe, bien que cela soit difficile à démontrer, mais ce n'est pas systématique".

"De plus, il est contre l'intérêt des Marocains que l'idée se répande selon laquelle est facile de passer du Maroc à l'Europe."

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