Le NMR, ce groupe néonazi qui inquiète les pays scandinaves

Le NMR, ce groupe néonazi qui inquiète les pays scandinaves
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Par Karis Hustad
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Enquête sur l'une des organisations d’extrême droite les plus radicales d'Europe.

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Un dimanche spécialement frais du printemps dernier, trois hommes ont déversé un tas d’ordures sur le seuil d’un immeuble résidentiel d’Aalborg, une ville du nord du Danemark. La cible était le conseiller à l'environnement et à l'énergie de cette municipalité, Lasse P. N. Olsen, qui habite ce bâtiment. Accompagnant les détritus, un tract indiquait que ces déchets avaient été ramassés dans la ville. Et dans leur texte, les auteurs de cette action exigeaient que "les politiciens nettoient davantage les rues d’Aalborg".

Lasse P. N. Olsen
Les ordures et le tract laissés devant le domicile de Lasse P. N. OlsenLasse P. N. Olsen

Mais, l’objectif de ces individus n'était pas de sensibiliser la population locale à l'environnement ou l’écologie, loin s’en faut. En effet, ces trois hommes ont été aperçus par des voisin de Lasse P. N. Olsen, brandissant un salut nazi et proférant des insultes anti-immigrés lorsqu’ils ont déposé les ordures devant la porte de l’immeuble. Le texte laissé sur place était signé "Den Nordiske Modstandsbevægelse”, le Mouvement de résistance nordique (NMR, Nordiska motståndsrörelsen en suédois).

Qu’est-ce que ce groupe ?

Le Mouvement de résistance nordique est une organisation néonazie fondée en Suède et qui est ouvertement antisémite, anti-immigrés, anti-Union européenne et anti-gays. Son objectif est de créer une "nation pan-nordique ethniquement pure" (sic), selon le site internet du groupe. Ce mouvement veut ainsi “déporter la plupart des résidents non ethniquement issus du nord de l'Europe” et démanteler “l'élite sioniste mondiale”.

Bien que le groupe n'appelle pas directement à la violence, en dehors de la légitime défense, ses membres ne craignent pas la confrontation. Nombre d’entre eux pratiquent en effet des arts martiaux ou s'entraînent aux attaques à l'arme blanche. Chercheurs et militants antifascistes sont particulièrement préoccupés par le comportement de plus en plus violent de ce groupe.

Confrontation et violence

Depuis quelques années, le groupe est directement lié à une série d'incidents qui ont impliqué ses membres. Ces derniers ont ainsi violemment affronté des groupes d’opposants à leur idéologie. En 2016, un homme est décédé après avoir été frappé à la poitrine par un membre du NMR lors d'une manifestation en Finlande. La victime est tombée et s'est cognée la tête, un choc qui a causé sa mort. Ces dernières années, en Suède, des militants affiliés au NMR ont déposé des engins explosifs devant un café fréquenté par des mouvements d'extrême gauche. De tels dispositifs ont également été placés près de logements occupés par des réfugiés à Göteborg. L'une des ces explosions a blessé un fonctionnaire en charge des questions d'immigration.

Le groupe est le plus présent et le plus actif en Suède, là où il a été fondé il y a 21 ans. Le NMR s’est établi en Finlande en 2008 et en Norvège en 2011. Il tente aujourd’hui de se développer au Danemark. Et plus récemment encore, le mouvement s'est implanté en Islande.

Le même jour où des ordures ont été déversées devant la résidence de Lasse P. N. Olsen, des actes similaires se sont produits devant le domicile de Jakob Ellemann-Jensen, le ministre danois de l'Environnement et de l'Alimentation. Des bâtiments administratifs dans plusieurs villes danoises ont également été ciblés.

Dans un courriel, dont l’adresse renvoie à la vitrine danoise de l'organisation, un membre qui s'est présenté comme Jacob Andersen nous a déclaré que ces actions entendaient faire savoir que le groupe était "maintenant établi au Danemark", tout en ajoutant que "les questions environnementales étaient ignorées par les politiciens du pays..."

"L'organisation la plus radicale"

Jacob Andersen nous a également déclaré qu’il avait rejoint le groupe parce qu’il pensait que c’était la seule organisation qui semblait “assez forte, organisée et suffisamment disciplinée” pour avoir un impact. Par contre, il a refusé de nous communiquer le nombre de membres dans la section danoise, mais il a indiqué que ce “nombre grandissait”.

Les chercheurs et les spécialistes qui étudient la mouvance néonazie affirment que les membres et l’activité de la branche danoise du NMR sont encore relativement faible, mais, effectivement, une augmentation a été constatée ces dernières années.

"Cette organisation a connu une croissance régulière depuis plus de trois ans", nous a déclaré Jonathan Leman, chercheur à Expo, une fondation antiraciste non partisane basée à Stockholm.

Fredrik Sandberg/TT News Agency/via REUTERS
Manifestation du NMR à Göteborg, le 30 septembre 2017Fredrik Sandberg/TT News Agency/via REUTERS

"C'est gênant, parce que c'est aussi l'organisation la plus radicale. Elle exige plus d'activisme de la part des personnes qui rejoignent le groupe. Ils sont beaucoup plus violents lorsqu'ils affrontent des opposants politiques, la police et d'autres".

Cet été lors de “l’Almedalen”, le plus grand événement politique suédois organisé tous les ans à Visby, sur l’île du Gotland, des membres du NMR se sont illustrés, attestant de l’audace grandissante dont le mouvement néonazi fait preuve dans la sphère publique. Ainsi que de son goût prononcé pour la violence... Des militants de l’organisation ont pris à partie une femme, représentante d’une association prônant l’amitié israélo-suédoise. Les membres des NMR n’ont pas hésité à jeter très violemment cette dernière au sol pour protester contre la présence de son organisation aux rencontres de Visby, où selon des représentants locaux du NMR, le mouvement a été deux fois plus présent que l’année dernière.

Au niveau national, le NMR espère décrocher quelques sièges lors des élections qui se tiendront le 9 septembre prochain. Ce même jour, des élections législatives, régionales et municipales seront effectivement organisées dans le royaume. Le mouvement néonazi lorgne surtout sur les municipales pour tenter de s’enraciner dans le paysage politique suédois.

Un mouvement qui tisse sa toile

Le mouvement est de plus en plus visible dans les pays nordiques. 300 membres du groupe ont ainsi défilé à Turku, en Finlande, au début du mois. Une autre marche s’est tenue samedi dernier à Stockholm, où là encore plus de 300 personnes ont défilé sous l'oriflamme du mouvement.

TT News Agency/Pontus Lundahl via REUTERS
Manifestation du NMR à Stockholm, le 25 août dernierTT News Agency/Pontus Lundahl via REUTERS

La presse n’est pas en reste ; elle a également été ciblée. Un membre de la section suédoise du NMR a été arrêté ce mois d'août. La police a indiqué avoir trouvé des preuves que cet individu avait l’intention de tuer deux journalistes.

Pendant des années, le NMR était un groupe parmi d’autres dans la mouvance d'extrême droite identitaire en Suède. Le pays est l'un des plus importants foyers de mouvements nationalistes blancs en Europe. Mais en 2014, suite à son piteux résultat aux élections législatives, le Parti des Suédois (SVP) - lui aussi ouvertement xénophobe et néonazi - s'est dissout. Une porte s’est alors ouverte. Et cette année-là, une autre formation d'extrême droite, mais “dédiabolisée” à l’image du Front national (aujourd’hui Rassemblement national) de Marine Le Pen en France, s’est illustrée en s’octroyant 13% des scrutins aux législatives. Les Démocrates de Suède (SD), formation nationaliste et anti-immigration, sont devenus la troisième force politique du pays. Les éléments les plus radicaux se sont, eux, coalisés autour du NMR, dont les rangs ont grossi à la faveur de la dédiabolisation du SD et de la disparition du SVP. Selon Expo, le NMR représentait, en 2017, 94% de l'activité des organisations racistes recensées en Suède.

Fredrik Sandberg/TT News Agency/via REUTERS
Un policier utilise un spray au poivre sur des manifestants du NMR alors qu'ils tentent de franchir le périmètre de sécurité - Göteborg, le 30 septembre 2017.Fredrik Sandberg/TT News Agency/via REUTERS

Si le nombre exact des membres du mouvement reste inconnu, des chercheurs du Centre d'étude sur les mouvements extrémistes de l'Université d'Oslo estiment qu'il sont plusieurs centaines en Suède, moins d'une centaine en Finlande et quelques dizaines en Norvège.

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Mais le NMR semble susciter un nouvel intérêt. En Suède, Expo a identifié 111 nouveaux membres en 2017, dont 47 qui n'avaient aucun lien antérieur avec des groupes néonazis. Le mouvement a attiré des militants de l'extrême droite “classique” dans un environnement politique suédois où le sentiment anti-immigrés prévaut, à l’image du score dans les sondages, concernant les législatives de septembre, des Démocrates Suédois

"Le NMR est résolument antisémite et nous le voyons prendre appui sur la vague anti-immigrés", explique Josh Lipowsky, analyste principal du “Counter Extremism Project” basé à New York et à Londres. "Comme d’autres groupes, il utilise ce sentiment pour créer une réaction contre une cible spécifique. Il crée un bouc émissaire, responsable de tous les maux. Il promeut cette idée pour gagner ainsi des adeptes " ajoute le chercheur.

Les réseaux sociaux ont également joué un rôle significatif en agissant comme une caisse de résonance pour la rhétorique du NMR. Ses idées ont pu se propager davantage et l’organisation a pu tisser des liens avec d’autres organisations nationalistes blanches aux quatre coins du globe a ainsi observé Josh Lipowsky.

Ceci posé, l’activité la plus courante du groupe l’année dernière a été de se consacrer à la diffusion de sa propagande en distribuant des autocollants et des tracts portant son logo, une flèche noire, inspirée du signe runique “Tyr”, sur fond vert et blanc. Dans la mythologie nordique, le dieu Tyr est une figure très importante du panthéon. Il est, entre autres, la divinité de la la justice, de l'ordre et de la guerre. La rune Tyr (ou Tiwaz) renvoie, elle, à la notion de victoire.

Selon Jonathan Leman d’Expo, ces actions de “sensibilisation” ont souvent été menées par de nouveaux membres qui cherchaient ainsi à obtenir une plus grande visibilité ou plus de pouvoir dans l’organisation. Toujours selon le chercheur, la présence accrue de ces nouveaux militants dans les rues a davantage attiré l’attention du grand public sur le groupe. Mais cette présence accrue a pu également avoir un effet dissuasif dans l’opinion.

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"C'est problématique car ces actions créent un sentiment de persécution parmi les personnes appartenant à des groupes minoritaires, ce qui aboutit à des tensions entre les différentes composantes de la société", a ajouté Jonathan Leman.

La résistance au Mouvement de résistance nordique

La montée du NMR dans les pays nordiques ne laisse pas indifférents la population et les pouvoirs publics. Ainsi quasi-systématiquement, les contre-manifestants sont plus nombreux que les militants du mouvement néonazi lors de leurs rassemblements.

Thomas Johansson /TT News Agency/via REUTERS
Contre-manifestants, lors de la marche du NMR à Göteborg le 30 septembre 2017Thomas Johansson /TT News Agency/via REUTERS

Les troubles qui ont éclaté lors de la dernière édition du “Almedalen” en Suède ont déclenché un vif débat sur la représentation des partis politiques xénophobes dans le système politique du pays. En mai dernier, Stockholm avait aussi annoncé qu’un programme de sensibilisation à l'Holocauste, doté d’un budget de 15 millions de couronnes (1,4 million d'euros) serait lancé dans les mois à venir.

En Finlande, la justice a interdit le NMR, mais le mouvement a fait appel.

En Norvège, des chercheurs ont lancé un programme pour inciter et aider les membres des organisations racistes à les quitter. Ce projet a déjà donné des résultats concluants en Norvège mais aussi en Suède.

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Dans de nombreuses municipalités au Danemark, un mouvement citoyen s’est développé visant à décoller tous les autocollants que le NMR a pu poser dans les rues. Ces militants plaident aussi pour bannir la diffusion du message du groupe raciste au niveau national. Et parmi eux, nous retrouvons Lasse P. N. Olsen, cible du déversement d’ordures à Aalborg. Par le passé, il s’était déjà opposé aux néonazis. En tant qu’étudiant à Aalborg, dans les années 1990, il avait protesté contre l’ouverture d’un lieu tenu par de tels groupes.

"On ne peut pas les ignorer"

Mais le fait que le NMR ait pu le localiser et déverser sa haine jusque devant sa porte a profondément secoué Lasse P. N. Olsen. "Ils ont montré qu'ils savaient où je vivais et qu'ils n’avaient pas peur de continuer leurs actions” nous a-t-il déclaré.

Dans un premier temps, Lasse P. N. Olsen s’est demandé s’il devait faire état de ce qu’il lui était arrivé. Il a finalement décidé de partager son expérience sur les réseaux sociaux. Rapidement sa mésaventure a été largement partagée sur Facebook. En agissant de la sorte, Il espère sensibiliser un maximum de personne sur ce groupe qui ne devrait pas pouvoir agir "en toute liberté" et en toute impunité.

"Je pense que nous devons dénoncer les menaces de l'extrême droite, même si cette dernière n’est pas énorme pour le moment", nous a-t-il confié". "Je préfère utiliser ma voix pour dire que cela se passe ici et maintenant plutôt que de l’ignorer. Et je ne pense pas que l’on puisse les ignorer" a-t-il conclu.

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