Sécheresse : une tragédie pour les agriculteurs européens
Tous droits réservés 
Tous droits réservés 

Sécheresse : une tragédie pour les agriculteurs européens

Par Emma BeswickVincent Coste
Partager cet article
Partager cet articleClose Button

Cet été, l'Europe a subi une sécheresse d'une rare ampleur. Ses effets ont été dramatiques pour de nombreux agriculteurs.

PUBLICITÉ

L’été 2018 restera dans les annales. Un peu partout en Europe, le thermomètre a atteint des sommets. Si ces chaleurs records ont rempli les plages du continent, dans les champs, les agriculteurs ont dû faire face à une situation dramatique dans bien des cas. De nombreuses exploitations ont été durement touchées par la sécheresse. Cette pénurie d’eau aura sans doute des incidences dans les mois à venir pour les exploitants, mais aussi pour les consommateurs. Sommes-nous à l'orée d'une crise à l'échelle européenne ?

Au Royaume-Uni, les producteurs laitiers ont été les plus durement touchés. Certains ont dû se résoudre à envoyer des troupeaux entiers à l'abattage, n’ayant plus assez de fourrage pour nourrir leurs bêtes. Dans toute l’Europe, de nombreux agriculteurs ont dû ainsi se résoudre à puiser dans leurs réserves, normalement utilisées en hiver.

Et dans certains cas, des exploitants ont dû attendre pratiquement un mois pour conduire leurs vaches à l’abattoir, comme nous l’a confié un éleveur nord-ouest du Royaume-Uni avec lequel nous nous sommes entretenus.

Pour faire face, l'Union européenne a annoncé la semaine dernière un nouveau train de mesures pour aider les agriculteurs, en plus de celles déjà présentées début août.

Mais cela sera-t-il suffisant ? Euronews est allé à la rencontre d’agriculteurs européens pour le savoir.

Kelsall Hill
Le producteur de lait britannique Phil LathamKelsall Hill

Quelle est la gravité de la situation ?

"C'est probablement la pire sécheresse que la majeure partie des agriculteurs ont connu de leur vivant”, nous confie ainsi Minette Batters, la présidente du syndicat agricole National Farmers' Union of England and Wales, "Elle est certainement du même niveau que celle de 1976, la pire que nous ayons eu jusqu’ici ", ajoute-t-elle.

De plus, cette sécheresse est survenue à la suite de ce que Minette Batters considère comme "un hiver très rude". Les stocks de fourrage étaient déjà en effet extrêmement faibles, voire épuisés, au début du printemps dans tout le Royaume-Uni.

En Allemagne, la situation est similaire : les réserves pour le bétail sont au plus bas. "Cette année, nous avons la récolte la plus faible du siècle ", nous déclare Udo Hemmerling, secrétaire général adjoint du DBV, l'Association des agriculteurs allemands.

"Nous avons subi de très lourdes pertes dans nos champs, en particulier dans le nord et l'est de l'Allemagne. Et nos voisins scandinaves et polonais sont dans la même situation", ajoute-t-il.

André Stallbaum, un cultivateur allemand, nous confie qu'il a connu une baisse de production plus que significative par rapport aux années précédentes : "Nous avons perdu environ 50% de notre récolte de blé, 35%-40% du quinoa et 35% du seigle."

La Commission européenne, dans son dernier bulletin de surveillance des cultures en Europe, a indiqué que l'Allemagne avait été touchée dans son ensemble par cette sécheresse. Bruxelles a précisé que si d’autres pays ont été touchés, comme la France, l’Italie, le Royaume-Uni, l’Irlande, la Pologne, la Hongrie ou la Roumanie, ils l’ont été dans des zones géographiques bien déterminées ou pour des cultures bien précises.

REUTERS/Denis Balibouse
Une vache dans les Alpes suisses, et en arrière-plan un hélicoptère de l'armée helvète acheminant de l'eau dans les alpages en raison de la sécheresse.REUTERS/Denis Balibouse

Les consommateurs seront-ils concernés par les effets de la sécheresse ?

Les consommateurs européens vont sans doute voir les effets de la sécheresse dans leurs supermarchés, dans leurs épiceries de quartier et sur les marchés.

Pour André Stallbaum, la plus grande incidence que les consommateurs constateront sera la quantité de fruits disponibles sur les étales. En effet, chez lui, dans sa ferme, il a "perdu un nombre considérable de fruits".

Mais cet “impact visible” pourrait être limité, André Stallbaum supposant que "les consommateurs ne remarqueront pas grand chose dans les supermarchés, car comme souvent, des produits venant des quatre coins du globe rempliront les étales.

Le producteur de lait britannique Phil Latham pense que peu de gens sont conscients de l'ampleur des dégâts causés par la sécheresse. Pour lui, les effets réels se feront sentir vers Noël. "Les consommateurs ont eu un super été. Ils ont mangé beaucoup de glaces et cela a été excellent pour l'industrie laitière !”, nous explique-t-il. "Mais cet hiver, j’imagine que les prix des produits laitiers augmenteront considérablement, alors qu'ils ont déjà augmenté pour les fruits, les légumes ou d’autres produits de l’agriculture", avance-t-il. "L_es dernières estimations, au Royaume-Uni, avancent que cette hausse des produits laitiers pourrait représenter une augmentation de 7,50 £ (8,31 €) par semaine dans le budget des ménages._”

La Commission a demandé à tous les États membres de fournir des données sur l'impact de la sécheresse avant le 31 août. Un rapport précisant l’ampleur de cette catastrophe naturelle sera publié dans les semaines à venir.

Effet d'entraînement dans les prochains mois ?

Phil Latham a évoqué avec nous les mois à venir. Il estime que l'hiver et l'année prochaine seront des plus compliqués. Comme beaucoup, il a dû utiliser ses stocks normalement dédiés au mois d'hiver et acheter d’autres ressources, très coûteuses pour pallier la situation.

"Cet été, on est arrivé à un point où l'herbe a cessé complètement de pousser ", dit-il. "Je suis descendu à une réserve de 40 jours d'ensilage d'herbe [l’ensilage est une méthode de conservation du fourrage, ndlr]. Or il y a plus de 40 jours en hiver."

PUBLICITÉ

Cette pénurie a entraîné une flambée des prix dans toute l'UE. Les prix du maïs, par exemple, ont atteint des niveaux records au Royaume-Uni, se vendant quatre fois plus cher que d'habitude. Ce qui a constitué une difficulté de plus pour les producteurs laitiers.

Kelsall Hill
Le sol d'un champ craquelé par la sécheresse à Cheshire, Royaume-UniKelsall Hill

Qu’attendre des Etats et de l'UE ?

Afin de réduire l'impact de la pénurie de fourrage – le problème le plus patent pour de nombreux agriculteurs – la Commission européenne a annoncé un assouplissement des règles en vigueur en matière de culture. Des dérogations vont permettre ainsi d’utiliser des terres qui devraient être normalement en jachère pour nourrir les animaux. Des avances de paiement (pour des aides directes et des aides au titre du développement rural) devraient être aussi rapidement mises en place. Cependant, certaines mesures devront faire l'objet d'un vote et ne seront pas officiellement adoptées avant la fin du mois de septembre.

Pour l’instant, on a rien reçu si ce n’est de belles paroles

Pour Phil Latham Latham, ce n'est pas assez : "Une dérogation, qui va permettre d’étendre mes terres cultivées, est la seule aide que j'ai reçue pour le moment. Elle va me faire économiser, grosso-modo environ 1 000 £ ( 1 108 €). Mais ca ne va pas changer grand chose….On va devoir attendre et voir si ces belles paroles et ces platitudes seront suivies d’effets", déclare-t-il

En Allemagne, le gouvernement fédéral a annoncé le 22 août dernier que 170 millions d'euros allaient être débloqués pour compenser les pertes des exploitations. Une autre enveloppe d'environ 340 millions d'euros est également prévue. Mais ces aides seront-elles vraiment destinées à ceux qui en ont le plus besoin ?

Kelsal Hill
Une craquelure dans la terre sèche dans la ferme de Kelsall Hill au Royaume-UniKelsal Hill

A ce stade, ce ne sont que des promesses

Le 30 août dernier, le commissaire européen à l’Agriculture, Phil Hogan, avait expliqué qu’il était “en contact avec les ministres des États membres concernés pour évaluer la pertinence des mesures déjà en place”. “Je salue les récentes annonces de plusieurs États membres prêts à agir pour soutenir leur secteur agricole et je m'engage à continuer de travailler, ensemble, afin de veiller à ce qu'ils utilisent pleinement les possibilités offertes, notamment par la politique agricole commune” avait également déclaré le commissaire.

PUBLICITÉ

Mais André Stallbaum, lui, ne s'attend pas à recevoir d'argent.

En effet, il s’est “débrouillé” seul ou presque. Les autres fermes de la région et les autorités locales lui ont été d’une aide précieuse.

"Si vous faites quoi que ce soit pour réduire vos pertes, ils vous disent : Eh bien, il peut survivre, il n’a pas besoin d'aide ", s’énerve le cultivateur allemand.

"Et, si vous calculez vos dommages à hauteur de 28%, ils calculeront que l'aide sera versée à hauteur de 30%... Enfin, j'espère que ce ne sera pas comme ça, mais c'est malheureusement ce qui risque de se passer", estime-t-il.

"Nous n'avons pas vu d'argent jusqu'à présent. A ce stade, ce ne sont que des promesses" conclut André Stallbaum.

PUBLICITÉ
Reuters / Scanpix
Partager cet article

À découvrir également