"Je reconnais cette personne mais il ne m'a jamais dit ça", lance Clémence Calvin, accusant de mensonge le contrôleur assis en face d'elle: dans une ambiance lourde, la vice-championne d'Europe du marathon et l'antidopage français ont maintenu deux versions totalement irréconciliables vendredi, devant un juge du Conseil d'Etat.
A deux jours du marathon de Paris, c'est l'audience de la dernière chance pour l'athlète française de l'année 2018, qui veut tenter de faire annuler sa suspension provisoire pour s'être soustraite à un contrôle antidopage, le 27 mars à Marrakech.
Pendant plus d'une heure, le juge des référés a tenté de démêler le vrai du faux.
D'un côté, les responsables de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) réaffirment que l'athlète a fui les contrôleurs à Marrakech. En face, Clémence Calvin martèle toujours qu'ils ont été violents avec elle, qu'ils se sont présentés comme des policiers qui en voulaient à son mari et entraîneur, le spécialiste du demi-fond Samir Dahmani. Des fautes lourdes si elles étaient avérées.
"Je reconnais cette personne mais il ne m'a jamais dit" qu'il était mandaté par l'AFLD, lance-t-elle à l'adresse du médecin Olivier Grondin, l'un des contrôleurs les plus expérimentés de l'agence. De l'autre côté de la grande table rectangulaire, le Dr Grondin ne se démonte pas.
"Il n'y a aucune raison que je me présente autrement que comme un préleveur", répond-il, froid et imperturbable.
- Localisée à Ouarzazate -
D'un côté ou de l'autre, les lieux mêmes de la scène diffèrent. Tout s'est passé dans la rue, raconte Clémence Calvin. D'après le trio d'agents antidopage, l'athlète les a d'abord menés dans une salle de sport où se trouvait son mari, avant de prendre la fuite, pendant que Dahmani leur barrait la route.
Le juge fait remarquer qu'aucun des deux camps n'a pu produire le témoignage du gérant de la salle de sport. Plusieurs autres éléments semblent l'intriguer.
Pourquoi l'AFLD a-t-elle pris deux ordres de mission, à des heures différentes, pour contrôler l'athlète le 27 mars à Marrakech ? Il s'agissait de ne pas la rater, explique en substance le directeur juridique de l'AFLD, Antoine Marcelaud. A deux semaines du marathon, la période était "sensible", "propice" à des prises de produits dopants et la fenêtre de détection ne dure "que quelques heures pour des micro-doses" d'EPO, expose-t-il.
De plus, la localisation de Calvin -- les athlètes de haut niveau doivent renseigner une adresse dans un logiciel pour être contrôlés -- était très volatile, assène plus tard Mathieu Téoran, le secrétaire général de l'AFLD: Clémence Calvin a effectué "treize changements en moins de 15 jours" dont une adresse à Ouarzazate, à 4 h de route de Marrakech. De quoi alimenter les soupçons.
En face, Clémence Calvin lance de graves accusations. L'athlète avait son enfant dans les bras et le directeur des contrôles de l'AFLD, Damien Ressiot, présent dans la salle, aurait fait chuter le petit en la tenant fermement par le bras. Ses conseils disent disposer de certificats médicaux attestant d'"ecchymoses" sur l'enfant.
Le juge s'étonne encore. Pourquoi le Dr Grondin raconte-t-il avoir poursuivi l'athlète lorsqu'elle aurait fui ? "Une marathonienne en plus, c'est assez dangereux", taquine-t-il. "C'est mon devoir de lui notifier la suspension" de quatre ans "qu'elle encourt" en cas de soustraction à un contrôle, répond le médecin, qui ajoute: "le but ce n'était pas de ceinturer ou de la mettre au sol. Je dois respecter la procédure".
Au final, c'est sur une question de procédure que le camp Calvin semble fonder le plus d'espoir de pouvoir prendre le départ du marathon de Paris, dimanche: l'AFLD lui ayant notifié sa suspension provisoire sans recueillir ses explications. Le décision doit être rendue avant dimanche.
Sur la place du Palais-Royal, Clémence Calvin semble fatiguée, mais elle ne perd pas espoir. "Oui, je vais courir" le marathon, lance-t-elle aux journalistes.