Dans un monde d'hommes: en Bosnie, des femmes dribblent les préjugés au foot

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En trois ans, elles ont bâti une des meilleures équipes de Bosnie et se moquent des conservatismes patriarcaux balkaniques: les footballeuses du club "Emina" de Mostar (sud), dribblent adversaires et préjugés.

"Maintenant, je m'en fous, j'ai choisi mon amour du foot", lance Irena Bjelica, 24 ans. Cette défenseuse monténégrine raconte comment elle a surmonté les tabous des autres autant que ses propres peurs: "Mes proches étaient tous contre. Ma mère me voyait plutôt danseuse de ballet, ou mannequin. Seul mon grand-père me soutenait, il m'amenait en cachette aux entraînements", "je me demandais si j'allais trouver un petit ami qui l'accepterait", se souvient-elle.

La Bosnie reste terre de conquête pour le football féminin, loin des infrastructures de la plupart des pays qui disputeront le Mondial-2019 en France du 7 juin au 7 juillet.

Elles y sont 1.264 licenciées (pour 41.625 hommes) dans 31 clubs enregistrés, qui doivent souvent leur existence à des passionnés comme Sevda Becirovic Tojaga et son mari Zijo, 56 et 57 ans.

La première, pharmacienne à Mostar, raconte qu'"Emina" est née en mai 2016, devant un match international féminin télévisé: elle appelle son "mari et lui dit +On va monter un club+". Et faire fi des garçons qui regardent les joueuses d'un "mauvais oeil", les traitent de "lesbiennes", confie-t-elle.

Joueur puis entraîneur du club historique du Velez Mostar, Zijo s'occupe alors des gardiennes de la sélection Espoirs de Bosnie. Il juge absurde l'idée selon laquelle le football serait "exclusivement masculin". "Les parents (...) essaient de faire éviter le foot" à leurs filles, révèle-t-il. Elles "peuvent faire du basket ou du handball, pourquoi ne joueraient-elles pas au foot?"

- 'Une famille' -

Le couple donne au club le nom d'un poème de l'écrivain de Mostar Aleksa Santic, recrute des joueuses, en loge plusieurs dans sa maison proche de Mostar. Pour faire de la place, eux dorment dans le salon.

Dans ce pays divisé selon des lignes communautaires, les joueuses sont indifféremment bosniaques (musulmanes), serbes (orthodoxes) ou croates (catholiques). Ce qui vaut peut-être à "Emina" de ne pas recevoir de subventions d'administrations attachées à telle ou telle communauté. Les 200 euros d'"argent de poche" mensuels pour chaque joueuse, sont apportés par le parrainage de fournisseurs des pharmacies de Sevda.

"Nous cherchons la qualité, le fait que les joueuses soient musulmanes, catholiques ou orthodoxes est insignifiant", souligne Zijo Tojaga.

"Notre club démontre que l'appartenance confessionnelle n'est pas une entrave. Ce qui compte c'est l'être humain, son comportement", insiste la meneuse de jeu Dragica Denda, 28 ans, une Serbe de Trebinje (sud-est).

"Nous ne sommes pas seulement un club de foot, nous sommes une famille", se félicite Irena Bjelica. "C'est comme si on avait neuf filles", plaisante Sevda.

L'équipe a vite gravi les échelons, jusqu'à jouer cette saison le haut de tableau en première division derrière le SFK 2000 de Sarajevo, indétrônable champion.

Les meilleures sont désormais sélectionnées. Souvent dans l'indifférence puisque les matches internationaux se jouent devant "à peine une centaine de spectateurs", selon Zijo.

- Du foot féminin? 'Et puis quoi encore?' -

L'hostilité de certains hommes n'a pas disparu. Dans un documentaire de 2014 d'Al-Jazeera Balkans, des grands noms comme Safet Susic ou Ivica Osim affichaient leur soutien aux footballeuses, mais d'autres laissaient libre cours à leur sexisme.

"Les femmes deviennent des hommes, et les hommes deviennent des femmes...", soupirait le commentateur sportif Milojko Pantic. Le football féminin, "si j'avais pu, je l'aurais fait disparaître", disait Dusan Savic, ex-international yougoslave.

L'ancien sélectionneur croate, Miroslav "Ciro" Blazevic, reconnaissait avoir vu des femmes pratiquer un football "merveilleux", mais n'en exprimait pas moins son rejet: "J'aime tellement les femmes... Je les respecte tellement que j'ai peur qu'elles puissent être cognées au sein par un coude (...) Elles sont là pour être regardées, pour être dans une vitrine, pour être cajolées, protégées et pas écrasées."

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Mais "les choses ont quand même changé", affirme Minela Gacanica, attaquante de 19 ans. Quand elle a rejoint son premier club à 12 ans, elle évoluait dans un environnement où les garçons la "rejetaient parfois" et où les filles étaient "entourées de poupées". "Tout le monde nous condamnait" mais désormais quand les spectateurs "viennent une fois, ils comprennent que c'est parfois mieux qu'un match des garçons".

"Emina" devrait bientôt intégrer le Velez. Tous les clubs professionnels doivent créer une section féminine, comme le recommande l'UEFA.

Y compris le Zeljeznicar Sarajevo dont l'ancien dirigeant, Zdenko Jelic, s'étranglait dans le documentaire d'Al Jazeera, à l'évocation d'une équipe de femmes, convaincu que les spectateurs ne viendraient que "pour traquer un T-shirt qui se soulève": "Non et non! Le foot féminin, le judo féminin, la boxe féminine,... Et puis quoi encore? J'interdirais tout ça par une loi galactique!"

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