Dans un Ouzbékistan en pleine détente, la parole des musulmans se libère

Des femmes musulmanes, le 13 mars 2019, à proximité du tribunal de Tachkent
Des femmes musulmanes, le 13 mars 2019, à proximité du tribunal de Tachkent Tous droits réservés Stanislav KHODJAEV
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Louiza Mouminjonova réajuste nerveusement le hijab rose qui entoure son visage. Le port de ce voile islamique l'a propulsée au coeur du débat sur la liberté religieuse en Ouzbékistan, pays d'Asie centrale à majorité musulmane en pleine détente politique.

Avec neuf de ses camarades, cette étudiante de 19 ans a été exclue en septembre d'une université de Tachkent, la capitale ouzbèke, après s'être opposée à l'interdiction de porter son voile lors des cours.

"Comment peuvent-ils me discriminer et m'empêcher d'étudier ce que je veux à cause de ma religion ?", lance-t-elle à l'AFP, comparant cette interdiction à une obligation "de renoncer à sa foi".

Fait exceptionnel dans ce pays, Louiza Mouminjonova et sa famille ont porté plainte contre l'université et fait remonter l'affaire jusqu'à la Cour suprême.

Dans un contexte d'ouverture politique et économique lancée par le président Chavkat Mirzioïev, son cas illustre l'aspiration grandissante de musulmans ouzbeks à exprimer publiquement leur foi.

Plus de 90% des 33 millions d'Ouzbeks sont officiellement musulmans mais les pratiques restent relativement sécularisées en raison du passé soviétique.

Après son indépendance en 1991, le pays avait reconnu formellement la liberté de croyance. Mais son premier président, Islam Karimov, a mené en réalité une politique répressive à l'égard des mouvements religieux.

Dans les années 1990, le Mouvement islamique d'Ouzbékistan, une organisation clandestine, a contesté le pouvoir sans partage de Karimov et a été accusé d'attentats à la bombe à Tachkent en 1999.

Des organisations de défense des droits de l'homme ont reproché à Karimov de confondre foi et islam radical.

Ces dernières années, des centaines d'Ouzbeks ont rejoint les rangs des jihadistes combattant en Syrie et en Irak.

- Appel à la prière -

Après la mort d'Islam Karimov en 2016, les nouvelles autorités ont décidé au contraire de tendre la main aux croyants.

Pour la première fois en dix ans, les mosquées du pays ont été autorisées en 2018 à diffuser par hauts-parleurs l'appel à la prière. Le mois dernier, le président Mirzioïev a même qualifié l'ancienne politique religieuse de "tragédie" et affirmé que l'islam symbolisait la "lumière".

La pratique rigoureuse du Coran connaît actuellement une renaissance, notamment dans les zones rurales, devenant une source de frictions, par exemple sur les uniformes scolaires.

En août, le gouvernement a recommandé que les jupes des écolières arrivent en dessous des genoux. Quelques jours plus tard, le reportage d'une chaîne de télévision critiquant le port de tenues féminines trop courtes dans les établissements a déclenché un vif débat sur les réseaux sociaux.

Le dirigeant de la chaîne de télévision a été limogé et selon des médias locaux, des blogueurs appelant à autoriser le port du hijab à l'école ont été arrêtés.

Après avoir refusé d'enlever son voile, Louiza Mouminjonova affirme avoir été expulsée de sa résidence étudiante. Son ancienne université, bien que laïque, est pourtant spécialisée dans les études religieuses. L'adolescente souhaitait se spécialiser dans le tourisme islamique, en pleine croissance en Ouzbékistan.

Lors de l'étude de sa plainte par un tribunal local, une dizaine de jeunes femmes voilées accompagnées de leurs mères se sont rassemblées à l'extérieur en signe de soutien. Louiza Mouminjonova a toutefois perdu en première et seconde instance, poussant ses défenseurs à saisir la Cour suprême pour obtenir une annulation de son expulsion.

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- Prisonniers religieux -

Saluant l'évolution des autorités, le département d'Etat américain a retiré l'année dernière l'Ouzbékistan de la liste des pays sanctionnés pour non-respect des libertés religieuses.

En avril, la Commission des États-Unis pour la liberté de religion internationale a toutefois relevé "d'importantes violations" et recommandé un retour du pays dans cette liste noire, comprenant l'Arabie saoudite et la Corée du Nord.

Selon Steve Swerdlow, chercheur de l'ONG Human Rights Watch, des informations suggèrent que "des centaines de prisonniers religieux auraient été libérés" depuis l'arrivée de Chavkat Mirzioïev. "Mais il en reste un très grand nombre en prison".

Les organisations de défense des droits de l'homme dénoncent des emprisonnements pour extrémisme sans enquête réelle et des tortures dans les geôles de ce pays qui reste très répressif malgré les progrès récents.

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L'avocat de Louiza Mouminjonova, Abdouvahob Yakoubov, craint lui que les autorités ne bloquent l'affaire. Alors que la Cour suprême devait rendre sa décision un mois après avoir fait appel, le 28 mars, il indique à l'AFP "attendre toujours une réponse".

Si elle n'obtient pas gain de cause, sa cliente promet qu'elle saisira des instances internationales : "Nous ne pouvons plus continuer à nous taire".

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