Immigration clandestine: Un mur de barbelés érigé entre la Grèce et la Turquie

Immigration clandestine: Un mur de barbelés érigé entre la Grèce et la Turquie
Tous droits réservés 
Par Euronews
Partager cet articleDiscussion
Partager cet articleClose Button

Un groupe d’hommes sort de la nuit. Ils marchent le long d’une route cahoteuse, bien loin dans le nord-est de la Grèce. Nous nous arrêtons près d’eux.
Islam accepte de nous parler. Il a vingt ans.
Il voyage avec des amis. Deux viennent d’Algérie.
Le troisième de Casablanca au Maroc.

Islam vient de traverser en secret la frontière turco-grecque. C’est un clandestin. Il raconte: “La situation là-bas, la vie en Algérie est vraiment difficile, on ne gagne pas assez d’argent, la vie quotidienne est trop chère. C’est pour cela qu’on va aller en Belgique ou en France, pour y chercher un boulot, pour y travailler. Nous avons quelques sous, un peu d’argent pour acheter de quoi manger. Nous ne sommes pas des voleurs, non. Cela fait maintenant deux heures qu’on marche et on va continuer à pied jusqu‘à Alexandroupoli.”

A pied, c’est assez loin. Alexandropouli est à 80 kilomètres au sud. Les Algériens se dirigent vers un pays francophone, leur ami marocain rêve de l’Allemagne.

Les policiers Allemands sont juste au coin.
Ils se cachent dans une fourgonette de la police allemande issue de la force européenne Frontex.
Cette dernière aide ses collègues grecs à sécuriser la frontière de l’Union européenne.

Cette équipe de nuit contrôle un tronçon long de trois kilomètres, puis c’est une équipe bulgare qui prend le relais.

Chaque nuit, ces policiers allemands détectent jusqu‘à 70 passages illégaux.

80% des réfugiés et migrants présents dans l’Union européenne traversent la frontière turco-grecque.

Depuis 2002, il existe un accord turco-grec de réadmission, mais il semble n’exister que sur le papier, comme le souligne le chef de la police d’Orestiada, George Salamangas.

“Lorsque nous arrêtons des clandestins de notre côté, nous demandons aux Turcs de se conformer à l’accord de réadmission. Mais, par exemple, en 2011, nous avons arrêté 55 000 migrants illégaux ici, dans la région d’Evros et les Turcs n’en ont repris que 731. La Turquie ne se conforme pas à l’accord de réadmission”, explique-t-il.

C’est en avion que les Marocains et les Algériens se rendent à Istanbul. Ils n’ont pas besoin de visa. Ils embarquent ensuite dans des mini-vans qui les emmènent à Edirne où des passeurs les font passer côté grec, soit à pied, soit via le fleuve Evros. La raversée est risquée.

“Nous collaborons avec la police turque depuis l’année dernière pour traquer les passeurs, mais je ne peux pas dire si les résultats de cette collaboration sont encourageants. Ce dont nous nous apercevons maintenant c’est que les passeurs restent de l’autre côté de la rivière. Ils chargent les migrants dans des bâteaux, les font partir et eux restent sur leur propre berge, en toute sécurité. Nous sommes témoins que de nombreux bâteaux chavirent, certaines personnes s’accrochent à des îlots au milieu de la rivière et des gens périssent à cause de ça”, rajoute George Salamangas.

Sorte de frontière naturelle entre les deux pays, le fleuve Evros est un obstacle difficile et dangereux à surmonter.
Il y a aussi la terre ferme, dix kilomètres de frontière, une réelle tentation pour les clandestins qui veulent passer de Turquie en Grèce, à pied.

Les champs de Thanasis Bellias sont collés à la frontière turque. Cet agriculteur grec raconte ce qu’il y voit quotidiennement: “L’une des histoires la plus touchante, la plus choquante que j’ai vécue en arrivant sur un terrain situé un peu plus bas – Là où
nous cultivons du blé – Eh bien, c‘était au moment de la récolte. J‘étais sur mon tracteur, il était tôt le matin, et soudain, au milieu du champs de blé, j’ai vu un groupe de peut-être 5 ou 6 clandestins. Ils dormaient. Ils y avaient plcinq ou six clandestins. Il y avaient des enfants. Tous s‘étaient cachés dans le blé pour passer la nuit”.

Quelques mètres plus loin, tout le nécessaire pour construire une clôture en barbelés arrive. Jusqu‘à la fin de l‘été, les dix kilomètres de frontière terrestre seront fermés. Athènes a demandé à Bruxelles de co-financer l‘établissement de ce barage mais la commission de l’Union Européenne a refusé. La Grèce financera donc seule les trois millions d’euros que coûtera la clôture.

Hélicoptères, maîtres-chiens, gardes-frontières en provenance de 26 pays de l’UE, l’Arsenal déployé par Frontex, l’Agence européenne de gestion des frontières, pour lutter contre la clandestinité est impressionnant. Patrick a 24 ans, il est originaire des Pays-Bas. Il y a quelques heures, il a intercepté un groupe d’une dizaine de clandestins.

“Nous aidons l’ensemble de l’Union européenne car c’est une frontière de l’UE et c’est ce que nous protégeons. C’est pourquoi nous sommes ici, pour aider le peuple grec car nous sommes ici dans l’union européenne et que nous devons nous aider les uns les autres”, dit-il.

Beaucoup de ceux qui traversent la frontière terrestre la nuit arrivent dans le petit village grec de Nea Vyssa, comme ce groupe composé principalement de migrants venus du Maghreb. Mais il y a aussi des réfugiés en provenance du Pakistan et d’Afghanistan. Mohammed, Rachid et Sofiane arrivent d’Algérie.
Etait-ce difficile, pour eux, de franchir cette frontière très surveillée?

“Hyper difficile. Hyper difficile. Par ailleurs, je me suis plein de boue. On a traversé des rivières profondes, boueuses”, répond Sofiane Kibouh.

“Je suis méchano depuis 2003, mais ca ne sert à rien de travailler en Algérie. Que tu travailles ou que tu restes, c’est la même chose”, ajoute Rachid Mohammedi.

“Je viens d’arriver via la Turquie. Regardez dans quel état je suis. Voyez mon état de fatigue, mes vêtements. C’est vraiment difficile de traverser la frontière par ici. Quelqu’un qui n’a pas vu ça de ses propres yeux, ne peut pas comprendre combien c’est difficile de traverser. Il y a des gens qui meurent, des jeunes qui ne savent pas nager et qui tombent à l’eau ou d’autres qui se perdent sur la route. Il y a ceux qui ne reviennent pas, des gens qui se noient et leurs parents ne savent même pas où ils sont”, termine Mohamed Boudebba.

Chryssi travaille depuis plus de 30 ans à Nea Vyssa. L’afflux massif de réfugiés a débuté selon elle il y a 7 ans. Le matin, quand elle ouvre sa station-service, ils sont plus d’une cinquantaine à être rassemblés. Souvent, elle leur donne de l’eau et du pain.

“J’ai vu énormement de victimes suite à des incidents violents. Des gens ensanglantés, battus, des femmes violées. J’ai vu tout cela pendant des années et des années. La chose qui m’a vraiment choquée, c‘ést cette femme qu’on a violée devant les yeux de son mari”, raconte-t-elle.

Une fois du côté grec, sur le territoire de l’Union Européenne, les migrants appellent la police. Ils savent que la Turquie ne les reprendra pas et que la Grèce n’a pas les moyens matériels et financiers pour les renvoyer dans leurs pays d’origine.

Un bus de la police les emmène à Fylakio, dans le plus grand centre de rétention, près de la frontière gréco-bulgare .

Après avoir fait face à un afflux massif de réfugiés, une rénovation du centre de Fylakio et d’autres centres grecs de rétention a du être entreprise. Cette rénovation est financée par l’Union européenne.

La Grèce compte environ onze millions d’habitants. A ceux la s’ajoutent les réfugiés. Leur nombre est estimé à un million.

Beaucoup d’habitants de la région d’Evros sont favorables à la construction de la clôture le long de la frontière. C’est le cas de Dimitri Tsounis: “Je suis complètement d’accord avec la construction de cette clôture pour empêcher les clandestins de passer car ils ne doivent pas venir dans notre pays illégalement. Et il n’est pas juste qu’ils prennent nos emplois ou qu’ils nous fasse mal économiquement parlant ou autrement. Ce sont les raisons pour lesquelles la clôture doit être construite, pour les empêcher d’entrer. “

Après que la police a pris leurs empruntes digitales et les a enregistrés, l‘écrasante majorité des clandestins sont libérés. Ils obtiennent un papier les invitant à quitter le territoire grec et européen dans les 30 jours. C’est tout.

A l’extérieur du camp, la compagnie de bus Ktel vend des billets pour Athènes. La capitale grecque est située à mille kilomètres au sud.
Le prix pour un voyage de nuit est passé de 60 euros l’an dernier à 70 Euros aujourd’hui.

Le bus arrivera à cinq heures du matin à Athènes. Certains des migrants essayeront alors de rejoindre l’Italie, la France, la Belgique ou l’Allemagne. D’autres resteront coincés en Grèce. D’autres n’auront même pas le choix. Le voyage leur aura été fatal.

Des dizaines de clandestins meurent chaque année en traversant le fleuve Evros. Pour ceux d’entre eux qui sont de confession musulmane, un mufti de la région prépare une sépulture particulière. Pourtant, selon lui, personne ne devrait prendre de “risques mortels” et “traverser est un risque mortel, du scuicide pur et simple”, dit-il.

“La réligion interdit de prendre des risques demesurées ou de se suicider. Il ne faut pas faire de cérémonie d’enterrement pour ceux qui se sont suicidés. Mais ici, nous faisons quand même la prière pour ceux qui sont morts en traversant cette frontière mortelle. Ils l’ont fait parce qu’ils ont perdu la tête. S’ils avaient vraiment su qu’ils allaient s’y noyer, ils ne seraient pas venus”, dit le mufti Mehmet Serif Damadoglou.

Partager cet articleDiscussion

À découvrir également

Aide aux victimes : les leçons tirées des attentats du 13 novembre 2015 à Paris

Allemagne : la transition énergétique face aux résistances locales et aux lourdeurs administratives

Un fromage pour réconcilier Chypre : le halloumi obtient son label AOP