Narcotiques Anonymes : « toute seule je n’y arrive pas et j’ai besoin des autres »

Narcotiques Anonymes : « toute seule je n’y arrive pas et j’ai besoin des autres »
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Par Marie Jamet
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Deux femmes, deux dépendantes abstinentes de la drogue, deux témoignages de vie sans et avec les Narcotiques Anonymes.

Les prénoms ont été changés.
Lire aussi notre reportage aux Narcotiques Anonymes

Emma

Quand êtes-vous arrivée aux Narcotiques Anonymes ?
J’ai commencé NA à Lyon ; ils n’existaient pas quand je suis arrivée. J’ai commencé avec un dépendant brésilien que j’ai rencontré lors d’une fête des Alcooliques Anonymes avec lesquels j’avais d’abord trouvé mon abstinence. Il nous a aidés à mettre cette association en place. C’était il y a 10 ans.

A quel moment de votre vie avez-vous commencé les Narcotiques Anonymes ?
La première fois que j’ai voulu m’arrêter j’avais 25 ans. C’est bien dommage, les Narcotiques Anonymes n’existaient pas en France et je n’en avais pas entendu parler. Donc je suis partie ailleurs. Il m’a fallu des rechutes avant de rencontrer les Narcotiques. Peut-être que j’avais besoin de les faire ; je ne sais pas.
C’est arrivé à un tournant dans ma vie ; ça a été un tournant dans ma vie.
Il m’a fallu rechuter, raccrocher à l’abstinence, retrouver cette envie de changement, d’une autre vie. C’est une étincelle qui ne dure pas longtemps. Il faut la saisir quand elle est là.
Je peux dire que j’ai de la chance d’avoir pu réaccrocher à l’abstinence. La dernière fois que ça m’est arrivé, je n’y croyais plus ; j’ai cru que c’était fini pour moi.

« L’envie de l’abstinence est une étincelle qui ne dure pas longtemps. Il faut la saisir quand elle est là. »

Quel souvenir gardez-vous de votre première réunion ?
Lorsque je suis partie de ma première réunion, je chantais dans ma voiture. J’étais vraiment heureuse. J’ai entendu cette petite voix qui m’a dit que je n’étais pas sur cette terre pour me démolir. J’attendais ma prochaine réunion, et c’est toujours le cas. Je suis contente de revenir et j’en ai besoin pour maintenir un état de bien-être, pour continuer d’avancer et de m’améliorer. C’est nécessaire.

Comme vous avez participé à la création des Narcotiques Anonymes à Lyon, pour vous cela a été une double aventure. Vous vous êtes lancée pour vous et pour les autres…
Ça va ensemble parce que c’est en redonnant aux autres ce que l’on a reçu que l’on peut soi-même se rétablir. Je ne fais pas ça pour les autres ; je le fais pour moi. Mais en même temps, il y a une notion d’engagement. Le service [le fait de participer à l’organisation pratique du groupe – NDLR] m’apprend la persévérance. J’ai compris qu’il faisait partie de mon rétablissement. C’est un des outils qui me permettent de me stabiliser.

Il y a aussi : voir les dysfonctionnements de l’autre est tellement plus facile que de voir les miens. Mais ils me parlent. Les petites filles à la maternelle disent « c’est celui qui dit qui y est ». Et bien c’est exactement ça. Quand je critique le voisin ou que le voisin me dérange c’est, bien souvent, que moi-même je lui ressemble. Et à moi de changer. A partir du moment où j’ai accepté en moi ce dysfonctionnement et que je me le suis pardonné, il ne me dérange plus chez l’autre. Et ça, je l’ai constaté par l’expérience. Je ne l’ai pas appris dans un livre ; je l’ai vécu. Je change.

"On est tous au même niveau et c'est ça qui me plaît"

Qu’appréciez-vous dans les réunions ?
J’apprécie l’identification, le fait de trouver des solutions dans ce que peuvent dire les autres. Et c’est comme ça que ça marche.
Au début, je ne parlais pas du tout ; je n’en étais pas capable. Je n’arrivais pas à gérer mes émotions. J’avais peur que les autres me jugent. Mais j’ai trouvé une telle écoute, sans jugement, que petit à petit je me suis dénouée. Pour me rétablir, je pense que j’ai besoin de parler, de trouver les mots pour dire mes sentiments et mes émotions. C’est toujours difficile pour moi. J’ai eu et j’ai toujours de grosses difficultés pour faire comprendre ce que je ressens au fond de moi.
J’apprends à voir ma part de responsabilité. Je dégrossis la maladie. C’est comme une grosse poutre que je suis en train de sculpter pour obtenir quelque chose de plus beau. Avant elle était très rustique et j’arrive à quelque chose de plus fin dans la connaissance de moi-même et de la vie en générale.

« C’est le travail de toute une vie. »

Avez-vous cherché de l’aide ailleurs qu’aux Narcotiques Anonymes ?
J’ai voulu mettre toutes les chances de mon côté. J’ai donc fait une cure d’un mois pour retrouver un bon état physique.
J’ai aussi ressenti le besoin de voir une psychologue. Mais ça n’a rien à voir avec mon travail aux NA. Mais c’est certain que toutes ces choses sont intimement liées.

C’est le travail de toute une vie. Je parle pour moi ; certains peuvent peut-être faire autrement. Mais, moi, je sais que si je m’éloigne – j’en ai fait l’expérience plusieurs fois – la maladie reprend le dessus et je rechute.

Eva – 51 ans

Quand êtes-vous arrivée aux Narcotiques Anonymes ?
Je suis arrivée en juillet 2009 ; il y a quatre ans.
C’était après une grosse rechute entre 2007 et 2009, une période pendant laquelle je suis retombée grave dans les produits. Ma consommation était tellement énorme que c’est devenu alarmant pour ma santé ; j’étais en détresse physique et psychologique. Mon entourage s’en est rendu compte. Et, poussée par eux, j’ai décidé de partir me soigner.
J’ai fait une cure qui appliquait la méthode Minnesota, proche du programme NA. Parmi les intervenants, il y avait des personnes des Narcotiques Anonymes. Les curistes devaient aller à au moins une réunion des NA.
Des cures, moi, j’en avais déjà fait plein, donc j’avais déjà prévu un plan pour reconsommer après la cure… Mais on m’a gentiment expliqué que dans l’état où j’étais, je ne pourrais plus reconsommer quoique ce soit, que je devais envisager l’abstinence. J’ai travaillé sur moi et j’ai un peu réalisé les dégâts que j’avais faits sur moi et sur les autres. Et c’est là que j’ai réalisé que je ne pouvais pas continué comme ça. J’ai réalisé que quoi que je prenne, je ne pourrais jamais contrôler ma consommation. Et c’est là que j’ai su que j’étais malade-dépendante.

Le parcours d'une vie

Quelle est votre histoire de dépendante ?/> Eva : J’ai commencé à consommer à 14 ans, avec le haschisch. J’étais issue d’un milieu un peu bourgeois et donc aller m’encanailler avec des drogués ça m’a beaucoup plu. J’étais adolescente, en plein rébellion avec mes parents. J’aimais le rituel : le rituel de consommation, de parler, de sorties. C’était un autre monde et je m’y suis sentie tout de suite bien. Ça a pris rapidement beaucoup de place dans ma vie. Plus que mes études, plus que ma famille. J’ai continué mes études quand même. A l’âge de 18 ans, j’ai quitté la maison. Seule et indépendante j’ai pu faire ce que j’ai voulu et évidemment j’ai consommé deux fois plus et des drogues plus sérieuses. Pendant trois ans, j’ai beaucoup consommé des amphétamines. Elles ont changé mon comportement, mon caractère. Je ne me reconnaissais plus ; j’étais devenue quelqu’un d’autre.

Puis j’ai rencontré l’héroïne. Ça a été une grande époque, pendant dix ans. Au début, c’était très festif. Je travaillais et j’avais de l’argent donc je sortais beaucoup. Puis j’ai voulu aller plus loin ; j’ai voulu la prendre en injection et là ça n’a plus du tout été la fête. Très vite j’ai été très accrochée et dépendante. Ma consommation s’est vite dégradée. J’ai perdu mon travail, tous mes amis. Je me suis retrouvée à vivre avec un toxico comme moi. On a rapidement plus eu d’argent : donc plus d’appartement. On était à la rue ; on vivait dans les hôtels. On passait nos journées à chercher un plan pour avoir notre dose. Ça a été une période très difficile. Grâce à un proche, j'ai pu aller en cure pendant 15 jours pour me sevrer de l'héroïne… J'étais vraiment au bout du rouleau.

Après la cure, j’ai pris beaucoup de médicaments et d’alcool pour remplacer la drogue. Mais la dépendance était toujours là ; j’étais toujours aussi mal. C’est là que je suis tombée enceinte de mon premier enfant. Il est né petit poids et on m’a beaucoup fait culpabiliser. Au début, il a été placé en couveuse dans un autre hôpital. Quand j’ai eu mon deuxième enfant, du coup, évidemment, je n’ai rien dit. Les enfants ont un peu remplacé la drogue ; je me suis tout de suite beaucoup occupée d’eux. Mais je continuais à prendre les médicaments et à boire.

Quand les traitements de substitution sont arrivés, j’ai pris du Subutex. Ça a duré 13 ans. Je faisais semblant que tout allait bien : je travaillais et j’avais les enfants. A 45 ans, j’ai décidé d’arrêter le Subutex. Ça a été long et compliqué et j’ai compensé avec l’alcool pour calmer mes angoisses et mon mal-être. Sauf que quand une femme est alcoolique, ça se voit beaucoup. On devient rouge et bouffie. Donc j’ai voulu prendre quelque chose qui se voit moins. C’est là que j’ai eu ma grosse rechute et je suis suis tombée dans la coke.

Que vous ont apporté les Narcotiques Anonymes ?
Ce que NA m’a apporté de capital c’est de m’expliquer que la dépendance est une maladie et que je n’ai pas à être coupable de ça. Moi j’étais dans la honte, dans la manipulation constante pour cacher ma consommation parce qu’on m’a toujours dit « tu consommes car tu n’as aucune volonté pour arrêter ». Mais je n’arrivais pas, c’était plus fort que moi. Et donc j’étais super mal avec ça, je me culpabilisais. Alors quand à NA on m’a dit « tu as une maladie, les produits sont plus forts que toi. Toute seule tu ne peux rien faire et c’est normal. Et c’est normal que tu rechutes », ça m’a fait beaucoup de bien et j’ai pu lâcher toute ma culpabilité.
J’ai aussi beaucoup aimé retrouver des gens comme moi, avec les mêmes souffrances, les mêmes envies, le même langage, les mêmes émotions. Comme on n’est pas jugé, on peut parler honnêtement, parler de ses faiblesses.
A partir de ce moment-là, j’ai pu poser mes valises, et capituler, comme on dit dans le programme. C’est la première étape et c’est vraiment super important de la comprendre, d’être en accord à l’intérieur de soi avec ce concept qui veut que les produits (quels qu’ils soient) sont plus forts que soi. C’est super important de réaliser : « toute seule je n’y arrive pas et j’ai besoin des autres ». Pour moi, les autres ça a été et c’est NA.

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Comment avez-vous abordé le programme des Narcotiques Anonymes ?
Je suis d’une nature expansive ; je parle beaucoup. Mais au début j’allais tellement mal que je n’ai pas beaucoup parlé. Puis j’ai beaucoup verbalisé. Maintenant j’écoute un peu mieux car je me suis rendue compte que ce que disent les autres est vraiment important pour mon rétablissement. Ils me donnent des solutions à des problèmes que j’essaie de résoudre depuis des jours et des jours. Souvent dans la parole d’une personne… la solution est là. J’ai appris à écouter.

« Souvent la solution est là, dans la parole d’un autre. »

Comme je fais tout à fond, j’ai tout de suite été la bonne élève. J’ai pris une marraine tout de suite. J’ai écrit les étapes un, deux et trois dans les trois premiers mois. J’ai fait ça un peu dans l’urgence mais c’est comme ça. C’est ma nature qui veut ça. J’ai rapidement utilisé tous les outils du programme. J’avais besoin de ça ; j’avais besoin de me remplir des outils du programme pour remplacer la drogue et mes activités compulsives.
Ça m’a apaisée ; ça m’a aidée à gérer mes peurs. J’ai vu que ça marchait, que l’obsession de consommer s’en allait, que j’allais mieux.
Je suis bien les étapes. Désormais, je les écris, de manière moins compulsive et plus selon ma vie.
On a une phrase dans notre programme qui dit : « un verre ou une dose c’est trop et mille jamais suffisant ». Ça caractérise bien notre maladie de la dépendance. On n’est pas capable de gérer quoi que ce soit. Le programme nous apprend à capituler sur ça et sur le reste : nos défauts de caractère etc. Ça c’est plus compliqué. C’est le travail de toute une vie.

Où en êtes-vous aujourd’hui ?
Aujourd’hui je dirais que je suis dans l’acceptation : l’acceptation que je ne suis pas parfaite, l’acceptation que les gens ne font pas ce que je veux [rire], l’acceptation de la vie tout bêtement !

"J'ai consommé tellement d'années que je me prenais pour dieu"

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J’ai consommé tellement d’années que j’avais l’impression que c’est moi qui décidait de la vie. Je me prenais pour dieu. L’abstinence m’a appris à vivre, comme à un enfant, à gérer la frustration, à accepter les choses qui ne vont pas toujours bien…
Et en travaillant l’inventaire, la quatrième étape, je me suis un peu rapprochée de qui j’étais. Même si je ne sais toujours pas qui je suis vraiment, je sais au moins qui je ne suis pas ou plus. C’est une période d’épanouissement pour moi. J’apprends à accepter qui je suis et à ne plus subir la pression des autres, à me respecter et ne plus supporter la maltraitance psychologique.

« L’abstinence m’a appris à vivre. »

Auriez-vous, toutes les deux, un message à faire passer à d’autres dépendants ?
Emma : Que la vie sans consommer c’est tellement mieux que le malheur que j’ai connu autrefois… mais il faut être prêt à entendre ce message.
Eva : Qu’il n’est jamais trop tard pour se rétablir et que c’est possible de vivre sans consommer et donc de vivre bien. Maintenant je vis vraiment alors qu’avant je n’étais que l’ombre de moi-même. Ça en vaut la peine à n’importe quel âge.

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