[Exclusif] Attentats de Paris, la piste des armes slovaques

[Exclusif] Attentats de Paris, la piste des armes slovaques
Par Thomas Seymat
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La police française enquête sur une possible piste slovaque concernant les armes utilisées par les frères Kouachi et Amédy Coulibaly durant les attentats de Paris, selon des informations révélées par une investigation menée par euronews en partenariat avec le journal slovaque Nový čas.

Selon des médias français, les tueurs auraient acheté une partie de leur arsenal en Belgique à un marchand d’armes qui s’est depuis rendu à la police.
Mais, des sources concordantes indiquent qu’au moins certaines de leurs armes proviendraient, à l’origine, de Slovaquie.

Peu après la mort d’Amédy Coulibaly et de Saïd et Chérif Kouachi le 9 janvier, la police française a contacté la police slovaque, selon Nový čas citant les informations d’une source policière haut placée. Les enquêteurs français ont, en effet, sollicité l’aide de leur homologues slovaques pour identifier les numéros de série de sept armes requestionnées.

Cette piste slovaque avait été mentionnée par l’Express dans un article daté du 21 janvier : “Les enquêteurs français évoquent l’hypothèse d’armes “démilitarisées” (neutralisées) mais reconditionnées pour tirer de nouveau. Là encore émerge une origine étrangère, en l’occurrence une filière slovaque…“

Nous sommes désormais en mesure de trouver l’origine supposée de cette filière.

Les policiers slovaques ont pu retrouver, grâce aux numéros de séries l’armurerie dans laquelle ces sept armes à feu ont été achetées. Ils se sont rendus sur place et ont découvert, dans les dossiers de l’armurerie, que ces armes ont toutes été vendues de manière parfaitement légale. Notre source policière précise qu’elles l’ont été en tant qu’expanz, terme slovaque désignant des armes neutralisées ne pouvant tirer que des cartouches à blanc.

Ces armes sont, à l’origine, de vraies armes létales qui sont neutralisées mécaniquement. Elles ne peuvent alors plus qu’utiliser que des cartouches à blanc. Elles sont alors destinées à être utiliser comme accessoires dans le milieu du cinéma ou des reconstitutions historiques.

En Slovaquie ce type d’armes est disponible librement, même les plus grosses mitrailleuses, à toute personne de plus de 18 ans. Aucun permis n’est nécessaire à l’achat ; une simple pièce d’identité suffit.

Lorsqu’ils ont appris que la visite de la police à cette armurerie était en lien avec les attentats à Paris, nos partenaires de Nový čas se sont eux aussi rendu sur place, dans l’ouest de la Slovaquie, pour parler avec le gérant.

Si ce dernier confirme que la police est bien venue à son magasin, il n’est pas en mesure d’en dire plus : les enquêteurs slovaques lui ont fait signé une clause de non-divulgation.

Légalement accessibles, facilement convertibles

Un vaste choix d’armes est disponible dans cette boutique ; sur son site internet la sélection est encore plus riche.

Au choix : tenues de combat, filets de camouflages et boîtes de munitions mais aussi les versions expanz des armes à feu que les terroristes ont utilisé pour tuer 17 personnes entre le 7 et le 9 janvier à Paris. AK-47, pistolets Tokarev, pistolet mitrailleur Scorpion ou bien encore la version compact du VZ 58, de fabrication tchèque, que Coulibaly exhibe dans une vidéo diffusée après sa mort.

Focus from AQAP back to ISIS with video release of Amedy Coulibaly praising Abu Bakr al-Baghdadi, via @siteintelgrouppic.twitter.com/trMJ1JIvkS

— Michelle Shephard (@shephardm) 11 Janvier 2015

Dans cette vidéo, diffusée par des sites djihadistes le lendemain de l’assaut de la police sur le supermarché casher de la porte de Vincennes, Coulibaly revendique ses actions et prête allégeance au groupe connu sous le nom d’Etat Islamique ou Daech.

Pour démontrer avec quelle facilité les armes expanz sont accessibles en Slovaquie, notre confrère de Nový ča s’est procuré une de ces armes : il ne faut que cinq minutes, une pièce d’identité et 250 € pour acheter une version neutralisée d’un fusil d’assaut VZ58 avec crosse pliable.

Le voici en photo avec son achat.

En raison de la technique particulière de neutralisation utilisée en Slovaquie, il est très facile d’inverser le processus, confie l’expert en armement Ľudovít Miklánek à nos confrères dans une interview, même si cela est strictement illégal.

Selon lui, il suffit d’enlever deux tiges métalliques se trouvant le plus souvent dans le canon pour l’une et dans la chambre pour l’autre, pour rendre une de ces armes slovaques de nouveau létale.

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La méthode de neutralisation slovaque n’affecte pas la cadence de tir de l’arme. On dispose ainsi d’un accessoire de cinéma pouvant tirer des cartouches à blanc en rafale. Ou bien d’une arme automatique complète si l’arme est illégalement reconvertie…

Ľudovít Miklánek, membre de l’association Legis Telum pour la défense des droits des utilisateurs d’armes à feu en Slovaquie, explique que la méthode tchèque de neutralisation des armes est beaucoup plus dure à contourner que la slovaque. Avec cette dernière il est impossible de charger des balles réelles sans re-modifier l’arme, ce qui implique plusieurs étapes techniques lourdes, comme le changement du canon. Et une arme tchèque modifiée risque toujours d’exploser en cas d’utilisation de balles réelles.

Avec le système slovaque, une conversion “prend une heure, peut-être deux, selon le type d’arme et l‘équipement que l’on a à sa disposition“, explique Miklánek. “Des étrangers ont découvert ce principe et ont commencé à utiliser nos armes. Elles surgissent dans des pays européens comme l’Espagne et la France car nous sommes tous dans l’espace Schengen.“

Silence radio des autorités françaises

Le sujet est sensible et l’enquête en cours ; les autorités se sont donc montrées peu bavardes.

Le ministère de l’Intérieur slovaque n’a pas démenti sa collaboration en cours avec la police française. Un porte-parole a expliqué à nos confrères de Nový čas que le ministère “travaillait avec des partenaires à l‘étranger pour examiner les divers indices et dossiers qui peuvent être liés à des attaques terroristes“ mais a refusé d‘être plus précis.

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Ce porte-parole a aussi affirmé qu’un processus de consultation interne au gouvernement était en cours pour amender la législation sur les armes expanz mais n’a donné ni calendrier pour ce processus, ni date de vote.

Loïc Garnier, chef de l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) a dit par e-mail qu’il était bien au courant de la disponibilité d’armes à feu facilement convertibles en Slovaquie mais a refusé de donner plus de détails de l’enquête en cours.

Le ministère français de l’Intérieur, le parquet anti-terroriste de Paris, un responsable de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et un porte-parole de la police française ont tous refusé de commenter l’affaire, invoquant le secret de l’instruction.

L'UE n'est "pas préparée pour répondre aux risques potentiels de réactivation" d'armes à feu

La conversion d’armes à blanc ou neutralisées, bien que strictement illégale, se pratique partout en Europe. En 2008, un homme gérant une “usine” de conversion de répliques en armes létales a été condamné à la prison à perpétuité.

“Parce qu’il n’y a évidemment pas de traces écrites pour les armes illégales, toute estimation en terme de nombre ne saurait être qu’une estimation“ explique David Dyson, un consultant britannique spécialiste des armes à feu contacté par euronews par e-mail. “Mais il y en a certainement des milliers en circulation“ en Europe selon lui. Et “chaque arme à feu capable de tirer un projectile peut être utilisée de manière criminelle“. Ou dans un but terroriste comme dans les attaques de Paris de ou Copenhague.

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Les institutions européens sont pleinement conscientes du problème. “Les forces de l’ordre dans l’Union européenne s’inquiètent que des armes ayant été désactivées soient illégalement réactivées et vendues à des fins criminelles [et que] des pistolets d’alarme, des armes à air comprimé et des armes à blanc soient converties en armes létales illégales“ indique un document de la Commission européenne sur les armes à feu et la sécurité interne dans l’UE datant de 2013.

Cependant, il n’existe pas de règles communes à l‘échelle européenne, que ce soit sur la convertibilité et la désactivation des armes à feu. Le document de 2013 se contente de suggérer que “la Commission [propose] des lignes directrices communes sur les standards de désactivation pour s’assurer que les armes à feu désactivées soient rendues irrémédiablement inopérables“. Ce qui n’est actuellement pas le cas en Slovaquie.

L‘évaluation de la Directive Armes à feu de 2008, publiée en décembre 2014, soit le mois précédent les attentats de Paris, souligne le manque de standards communs.

“Le manque de clarté de la directive […] a laissé de l’espace pour des interprétations nationales, et dans certains cas, a conduit à des problèmes de sécurité“ explique le rapport.

“Les différences de standards de désactivation permettent la circulation d’armes à feu neutralisées ayant de différents niveaux de sécurité et facilitent le commerce illégal de pièces détachées d’armes à feu“ toujours selon ce rapport. Il va jusqu‘à affirmer que “l’UE n’est, en effet, pas préparée pour répondre aux risques potentiels de réactivation“ d’armes à feu.

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Contactée par euronews pour une obtenir une réaction officielle, la Commission européenne n’a toujours pas répondu au moment de la publication de cet article.

Le rapport conclut en accordant une priorité moyenne à la recommandation d’harmonisation des “standards et règles concernant les désactivations“ d’armes à feu.

Mise à jour 18/02/2015, 13:15CET avec l’ajout de la réaction de la Commission européenne

Selon un porte-parole, la Commission européenne “proposera dans son rapport au Parlement européen et au Conseil (prévu durant l‘été 2015) des façons de répondre au problème [de conversion], ainsi que d’autres questions relative à la mise en oeuvre de la Directive Firearms.“

“Consciente de l’importance des problèmes de sécurité liés à la désactivation, la Commission travaille depuis quelques mois sur des recommandations communes sur les standards et techniques de désactivations et à l’intention de les faire adopter avant la fin de 2015. La Commission a proposé aux Etats membres l’adoption de recommandations par un acte juridique légalement contraignant.”

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