Daech, le Léviathan islamiste

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Le Léviathan islamiste est la continuité d’un collapsus historique...

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Le Léviathan islamiste est la continuité d’un collapsus historique

Par Mohamed Abdel Azim

Au moins 2 000 membres des forces armées irakiennes ont été tués il y a quelques jours. C’est un lourd bilan qui reflète la férocité des combats menés depuis six semaines à Mossoul contre le groupe Etat islamique (Daech). Le nombre de tués, parmi les forces armées irakiennes, est monté en flèche depuis le début de l’offensive lancée contre le dernier grand bastion irakien des djihadistes de Daech, le 17 octobre 2016.

Daech, le Léviathan islamiste

Inconnue et isolé jusqu’en 2010, c’est dans l’ombre des grands mouvements sociaux qui éclatent dans le monde arabe en 2011, que Daech part en croisade contre la volonté d‘émancipation exprimée par la jeunesse de Tunis, du Caire, de Sanaa, de Tripoli ou de Damas. Daech trouve alors un terrain pour rallier les déçus qui se jettent dans les bras de l’extrémisme enfoui dans ces sociétés.

Propulsé par le conflit en Syrie, au Yemen et en Libye, Daech attire une partie de la jeunesse contestataire, politiquement déçue et à la recherche de nouvelles valeurs.

L’échec de ces révolutions devient un conducteur et le relais est trouvé dans un nouvel environnement de marketing légitimant la violence à grande échelle. Facilité par l’usage de nouveaux outils de communication : Internet et le Dark web, l’organisation exporte, dès 2014, son savoir-faire terroriste.

Cette idéologie mène ses actions sur deux fronts : interne (le monde arabe) et externe (l’Occident). Dans le monde arabe, la notion de la fitna (division interne) est largement relayée et devient le premier socle sur lequel s’appuie Daech.

L’usage de cette idée fédératrice fait surface, tel un écho aux cris des régimes dictatoriaux brandissant le complot américano-européen contre la “grande démocratie daechienne “.
Daech entre dans la brèche syrienne et s’empare du nord de l’Irak et de l’est de la Syrie.

L’organisation terroriste, aspire à rétablir un califat, à s’emparer d’un espace nouveau et promet de constituer un espace symbolique pour ses adhérents : la Oumma. Cet espace ne se rapporte pas au Léviathan de Thomas Hobbes, ni au contrat social de Rousseau, mais plutôt à la notion de l’offrande de soi, pour servir le calife.

Les égorgeurs, marchands de la mort gratifiante

Périodiquement, depuis le XIIIe, des mouvements de repli sont apparus. Lorsqu’ils apparaissent, ils font toujours recours à la notion de la fitna (divisions internes). Cette notion ouvre immédiatement la voie à la crainte d’un complot et aboutit à l’appel au djihad afin de contrer le danger interne. Ces appels déclenchent immédiatement des affrontements violents.

Historiquement, la fitna, au même niveau que le complot, a toujours été au service du pouvoir au sein du monde arabo-musulman.

Cette fois, avec Daech, la fitna permet de mobiliser les membres de la naissante communauté de Zabbahoune (égorgeurs en arabe), de partir contre tous les infidèles (les non membres).

Aussi, dans cette conception, le triangle d’horreur est rendu acceptable : tuer, violer et piller.

Par la légalisation de la violence extrême, Daech fédère des milliers de mercenaires et les incite à s’autoproclamer marchands de la mort gratifiante (le martyre) contre les autres (musulmans ou chrétiens).

Dans ce sens, Daech mobilise deux notions fortes (le “djihad” et “l’autre”) les mettant au service de sa démarche d’extension idéologique et territoriale.

Ces outils conceptuels sont destinés à mobiliser les candidats à devenir des éléments de destruction massive.

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Ces deux conceptions “daechiennes” se basent sur un malentendu historique.

Ses racines remontent au début du XIIe siècle, et en raison d’une stagnation intellectuelle, le monde arabe n’a pas pu faire face à ces mouvements extrémistes.

La puissance de la pensée arabe a toujours été issue d’une triangulaire géographique (Damas, Bagdad et Le Caire), mais l’offensive de Daech prône la propagation de l’obscurantisme et de l’ignorance sacrée. Traduit dans notre vocabulaire actuel, les marchands de la mort gratifiante suivent un schéma tiré de l’histoire régionale en y ajoutant la notion de djihad dans l‘ère du web et de Facebook.

Les hachachines d’Al-Sabbah

L’idéologie terroriste de Daech s’appuie sur trois notions majeures : la fitna, le djihad et l’autre.

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Le djihad, terme principal sur lequel s’appuie Al-Baghdadi, apparaît durant trois grandes vagues à travers les âges. La première vague a lieu au Moyen Âge avec des communautés mystiques qui s’activent dès la fin du XIe siècle et qui se termine au milieu du XIIIe. On les appelle les batiniens, car ils professent une lecture ésotérique du Coran. Le baatin étant le côté intime, caché et secret des choses, attire et fait lien.

C’est en 1094, à la suite d’une scission importante dans la dynastie fatimide, que la nouvelle prédication (Al-daawa al-jadidah) s’organise à l’est de Bagdad, par Hassan ibn Al-Sabbah. L’État Islamique construit son modèle sur cette conception : l’autorisation d’assassiner.

Un rappel historique met en évidence que la notion de l’État, telle qu’elle est pratiquée par Daech, ne renvoie pas à une structure de régulation au sein d’un espace public de pluralisme et de vivre ensemble.

Au contraire, leur conception s’apparente plus à la pratique de la violence extrême basée sur un terme utilisé dans le domaine des crimes : assassin.

Ce terme qui désigne un individu jugé coupable de donner la mort à autrui, trouve sa racine dans la langue arabe avec le mot “hachachines” (consommateurs de cannabis). Il est introduit en français à partir du mot italien « assassino ».

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L’appellation arabe se réfère à la secte dirigée par Hassan ibn Al-Sabbah. Cet homme politique et religieux, organise de multiples assassinats ciblant des chrétiens et des musulmans.
“Rien n’est vrai, tout est permis”, telle est l’idéologie d’Ibn Al-Sabbah, qui prône la promotion de la paix entre les Hommes par l’exaltation du libre-arbitre.

Au début du deuxième millénaire, l’armée des Abbassides échoue dans sa mission visant à isoler les assassins dans la région. En raison de leur résistance, on les appelle les hachachines, désignant ainsi des consommateurs de haschich qui commettent les pires atrocités sans retenue.

Les méthodes pratiquées par Daech sont similaires à celles des hachachines du XIe.

Ces “segnors de montana” sont une race d’hommes qui vit sans lois ; contre les lois des Sarrasins, écrivait l‘émissaire de l’empereur Frédéric Barberousse en 1175. Ils ont un maître qui frappe, avec une immense terreur, tous les opposants Sarrasins, proches ou éloignés. (Bernard Lewis, Les Assassins : terrorisme et politique dans l’Islam médiéval).

Le contraste historique et la chose terroriste

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L’invasion de l’Irak en 2003 et l’échec des révolutions arabes, en Égypte, en Libye, au Yémen et en Syrie, aident à la naissance d’un Léviathan islamiste.

Le regard sur l’histoire donne lieu à un constat : le djihad mobilise pour les guerres et les guerres provoquent le djihad.

L’usage du djihad surgit lorsqu’une intervention extérieure secoue la latente pensée extrémiste dans les stagnantes sociétés arabes.
Mais faut-il encore reconnaître le malentendu historique autour de la notion du djihad.

Ne faudrait-il pas le clarifier et le mettre en phase avec son sens originel qui est s’améliorer pour évoluer.

Dans un tel espace de construction conceptuelle, la lutte contre le terrorisme implique la relecture de la notion de l’ijtihad (initiative par la pensée) et de celle de la choura (concertation).

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Ces deux concepts majeurs de progrès sont, depuis des siècles, enfouis sous les décombres de la démolition et du collapsus continuel au sein des capitales arabes.

Comprendre l’extrémisme et le fondamentalisme, et la lutte contre le terrorisme du XXIe siècle passera, peut-être, par la porte de la relecture et de la mise en question des mauvaises interprétations, puisque le maître mot dans le Coran est bien celui de la lecture : Iqraa (Lis).

Durant le Xe siècle, les philosophes arabes comme Al-Tawhidi ou encore Al-Hamiri, sont des penseurs qui pratiquent la critique philosophique et abordent les questions religieuses à la manière kantienne. Comme Kant, qui définit la religion dans les limites de la raison, ils appliquent une démarche logocentrique du logos aristotélicien pour définir la religion, ils posent ainsi la question du sacré et de la vérité, de la justice et de l’existence.

Le contraste est visible avec le schéma et le discours simplistes de Daech et de son calife Al-Baghdadi qui définit la vérité par la fitna occidentale.

L’apparition des acteurs non étatiques comme Daech, perturbe drastiquement les États arabes et le monde extérieur.

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Le monde arabe, depuis le XIIIème siècle, recherche, sans trouver, son modèle politique basé sur la coexistence entre religion et État.

A l’âge du dark web, ce monde devient fertile pour les tendances extrémistes. Le mystérieux Daech, polymorphe, insaisissable et invisible, se distingue par sa grande capacité de nuisance.
Daech, ce groupe d’entrepreneurs de la violence, prône le retour à l’état de nature.

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