Le film de la semaine : Faute d'amour

Le film de la semaine : Faute d'amour
Par Euronews
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Notre film de la semaine par Frédéric Ponsard : Faute d'amour de Andrey Zvyagintsev

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Faute d’amour de Andrey Zvyagintsev (2h08)

Beauté formelle et narration au scalpel : Faute d’amour était LE film qui méritait la Palme d’or du Festival de Cannes cette année. Un film implacable sur le couple, sa déliquescence, l’individualisme, l’égoïsme et, en filigrane, une société russe qui tourne à vide.

Zvyagintsev est l’un des rares cinéastes russes à ne faire aucune concession à ses contemporains. Il a beau se défendre de parler de l’humanité en général, c’est bien la société russe actuelle qu’il dépeint, et notamment dans ses derniers films, Elena et Leviathan (tous deux primés à Cannes). Mais sa force est justement de ne pas faire un cinéma strictement politique, non, il préfère raconter des histoires individuelles dont les issues et l’environnement en disent plus que de longs discours. Ici, nous pénétrons dans une banlieue d’une grande ville (certainement Moscou), des grands ensembles à perte de vue mais aussi quelques sentiers dans la nature près d’une rivière où chemine Aliocha, un pré-adolescent qui rentre chez lui.

Le décor est vite posé une fois Aliocha arrivé dans l’appartement. Sa mère ne lui adresse la parole que pour le disputer et l’envoyer dans sa chambre. En quelques scènes, on comprend que ses parents sont en train de se séparer, ils font d’ailleurs visiter leur appartement en vue de le vendre le plus rapidement possible. On apprend alors que chacun d’eux a une vie ailleurs, Boris, le père, a mis une jeune femme enceinte, et Génia, la mère vit avec un homme, plus âgé plus aisé qui lui promet donc une vie bourgeoise plus confortable. Le couple n’est qu’une façade. Au milieu d’eux, Aliocha n’existe pas, ou plus. Mais un jour, il disparaît.

La force du film est de ne jamais tombé dans le sentimentalisme. L’hiver est rude en Russie, et les sentiments des parents sont congelés et même la disparition d’un fils ne suffira pas à les réchauffer. La mise en scène est au cordeau, l’hiver devient graphique en lignes noires (bâtiments, arbres, silhouettes) sur fond blanc, et la durée des plans est suffisante pour installer un malaise constant où la parole n’est plus utile, seuls les regards et les silences deviennent parlants. On pense à Tarkovski, et à Bergman, et immanquablement à Scènes de la vie conjugale pour cette observation clinique d’un couple en voie de désintégration. Mais Faute d’amour est loin d’être un film intimiste, au contraire, il nous parle de la société et de comment les autres vivent. Et notamment, comment cette association bénévole (qui existe vraiment en Russie) qui se mobilise pour retrouver Aliocha et organise des battues autour des grands ensembles.

Aliocha, en tout cas est le grand absent du film. Et avec lui, c’est non seulement un enfant qui disparaît, mais l’amour tout simplement. De cette disparition, les parents ne semblent en ressentir ni culpabilité ni remords. C’est un épisode qui ne leur laissera visiblement aucune trace et répèteront les mêmes erreurs dans leurs relations humaines à venir. La dernière image du film est en ce point d’une force implacable. La mère, Génia, est court sur un tapis roulant en plein hiver sur le balcon de l’appartement de son amant et probablement futur mari, mais impeccablement coiffée et habillé dans un survêtement flambant neuf floqué « Russia », faisant du surplace, le regard vide ou indifférent. Les monstres sont parmi nous. Une métaphore, s’il en est, qui reste longtemps gravée dans votre mémoire de spectateur.

Frédéric Ponsard

Le film a reçu le Prix du Jury à Cannes.

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