Comprendre le référendum au Kurdistan irakien

Comprendre le référendum au Kurdistan irakien
Par Vincent Coste
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Le Kurdistan irakien, région au nord de l’Irak qui jouit d’une large autonomie, va organiser le 25 septembre prochain un référendum sur son indépendance. De nombreux analystes estiment que l‘électorat au Kurdistan irakien est majoritairement en faveur de l’indépendance. Une indépendance, qui n’est souhaitée ni par l’Irak, ni par ses voisins, en premier lieu la Turquie, où vit également une très importante communauté kurde. Pour ses opposants, ce référendum pourrait accentuer l’instabilité qui règne déjà dans cette région.

Le Kurdistan, une “nation” sans Etat ?

Le Kurdistan est un “pays” sans frontières et n’a jamais était un Etat au sens moderne du terme. C’est un territoire aux paysages montagneux que se partagent plusieurs Etats : Turquie, Irak, Iran et Syrie. Entre 20 et 22 millions de Kurdes vivraient dans cet espace, dont la moitié en Turquie. Ils sont plus de cinq millions en Irak. Les Kurdes sont essentiellement musulmans sunnites.

A l’issue de la Première guerre mondiale, un espoir voit le jour pour le “peuple kurde”. En effet, le Traité de Sèvres de 1920 qui démantelait de fait l’Empire Ottoman, prévoyait la création d’un Kurdistan autonome. Mais cet espoir a été douché. Le traité est resté lettre morte, remplacé par un autre traité, celui de Lausanne (1923) qui fonda la Turquie moderne et où la création d’un Kurdistan n’apparaissait plus.

Dans les années qui suivent, une éphémère République d’Ararat est proclamée en 1927 dans l’est de la Turquie par des mouvements kurdes. La Turquie kémaliste n’a pas laissé ce territoire faire sécession et des troupes sont envoyées pour récupérer le territoire.

Une autre tentative voit le jour en 1946, cette fois-ci dans le nord-ouest de l’Iran. Profitant de l’anarchie qui régne dans cette région, des partisans kurdes fondent la République de Mahabad, autour de la ville du même nom. Mais là aussi, cet “Etat kurde” n’existe que quelques mois.

En Irak, une certaine liberté a été accordée aux Kurdes, vivant dans le nord du pays, entre 1958 et 1961. Mais les relations se sont dégradées avec le pouvoir central, qui ne voulait absolument pas accorder plus d’autonomie à ces populations. De nombreux Kurdes ont alors pris les armes et se sont opposés aux gouvernements successifs irakiens dans une lutte armée. Ce conflit a connu l’une de ses pires pages lors du bombardement de la ville kurde d’Halabja en 1988, sous Saddam Hussein. Le régime n’a alors pas hésité pas à utiliser des armes chimiques qui ont provoqué la mort de plus de 5 000 personnes.

Au Lendemain de la Guerre du Golfe, les Kurdes d’Irak se soulèvent. Et à nouveau, ces mouvements sont réprimés par le régime. De nombreuses personnes choisissent l’exil. Mais face à cette situation, les Etats-Unis et leurs alliés imposent, en 1991, à l’Irak de Saddam Hussein une zone d’exclusion aérienne au nord du pays, créant de facto une relative autonomie au Kurdistan irakien.

En 1992, les Kurdes irakiens élisent un gouvernement et un président. Cette autonomie des trois provinces kurdes sont ensuite renforcée en 2005, par la nouvelle constitution irakienne qui met en place un système fédéral.

Pourquoi le Kurdistan irakien veut-il son indépendance ?

Les Kurdes irakiens disposent de leur propre parlement, où ils peuvent adopter leurs propres lois et contrôler des domaines tels que l‘éducation. Or ce parlement régional a suspendu depuis plusieurs années ses activités en raison de profondes divisions entre les principaux partis de la région. Et si, pendant de nombreuses années, le territoire a affiché une bien meilleure santé économique que le reste de l’Irak, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Une crise économique sévit dans la région, le pouvoir ayant notamment du mal à payer ses fonctionnaires. Si le Kurdistan fournit un septième du pétrole irakien, la région a particulièrement souffert de la chute du prix du baril. L’engagement des forces kurdes contre les troupes de l’organisation Etat islamique a été également extrêmement coûteux pour l’exécutif de la région.

Le Kurdistan irakien est aussi en proie au clientélisme et à la corruption. Dans ce contexte, nous indique Zeynep Kaya, chercheur au Centre Moyen-Orient de la London School of Economics qu’il y a aussi une crise politique car “le Président de la région, Massoud Barzani, a perdu de sa crédibilité, en raison de sa gestion de la crise économique. De plus, il n’a pas quitté le pouvoir quand il devait le faire“.

En s’affichant en faveur de l’indépendance et de cette idée d’unité nationale, Barzani tente surtout de rétablir sa crédibilité, en capitalisant sur le fait qu’il a toujours été l’une des figures de proue du mouvement d’indépendance kurde. Une idée pour laquelle sa famille lutte depuis plus d’un siècle“, ajoute le chercheur.

Zeynep Kaya estime également que “les Kurdes pensent que faire partie de l’Irak est une très mauvaise chose, notamment car l’armée irakienne n’a pas été capable de les protéger, eux et les Yazidis“. Dernier point pour le chercheur de la London School of Economics : “le régime de Bagdad n’envoie plus sa contribution au budget du Kurdistan, il est donc perçu comme la cause de tous les maux“.

Une initiative très mal perçue ?

Le référendum a créé un front d’unanimité : l’Irak, la Turquie et l’Iran sont contre sa tenue.

L’irak voit dans l’organisation de cette initiative un prélude à l’effondrement du pays. Bagdad considère que ce référendum est anticonstitutionnel. La Turquie et l’Iran craignent qu’il n’accroisse les velléités indépendantistes de leur propre population kurde.

Les Etats-Unis sont également contre l’idée d’un Kurdistan irakien indépendant, car Washington ne veut en rien affaiblir l’Irak, l’un de ses principaux alliés dans la lutte contre l’organisation Etat islamique.

Israël est l’un des rares pays à s’être positionné en faveur d’un Etat kurde indépendant. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a soutenu “les efforts légitimes des Kurdes à créer leur propre état“. Et pour Jérusalem, un Etat kurde pourrait endiguer l’influence de l’Islam radical et de l’Iran. Un point que le général Yair Golan a mis en avant lors d’une conférence organisée par le think tank américain Washington Institute for Near East Policy. “Compte tenu de la présence de l’Iran dans l’est dans la région et de l’instabilité qui y règne, une entité kurde solide, stable et cohérente au milieu de ce bourbier ne serait pas une mauvaise idée“ a ainsi expliqué l’officier israélien.

Des critiques même au Kurdistan irakien

Pour Zeynep Kaya, l’issue du scrutin ne fait aucun doute. Les Kurdes irakiens vont se prononcer en faveur de l’indépendance. Mais l’organisation de référendum a renforcé les divisions au Kurdistan irakien. “Rien n’a autant polarisé la société kurde que ce vote“, a ainsi déclaré Bahra Saleh, un chercheur de l’Université américaine d’Irak, basée à Sulaimani. Des doutes sur la crédibilité du vote commencent à poindre dans la population. L’organisation de ce scrutin en très peu de temps et des listes électorales assez “floues” sont, notamment, des éléments d’inquiétude. Mais l’opposition parlementaire va plus loin.

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Le 16 septembre dernier, le parlement kurde dominé par les deux poids lourds de la région, le PDK (Parti démocratique du Kurdistan) du président Massoud Barzani et l’UPK (Union patriotique du Kurdistan), ont voté en faveur de la tenue d’un référendum sur l’indépendance. Mais l’opposition, dont les députés du Goran (Mouvement pour le changement) qui avait remporté 25 sièges lors des dernières élections en 2009, a boycotté ce vote. Un député du Goran a indiqué que si “l’indépendance est très importante pour nous […] ce référendum n’est pas légal. Nous demandons qu’il soit reporté“. “C’est une mise en scène, il faut d’abord normaliser la situation du Parlement“ a ajouté ce même député.

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