ICAN, prix Nobel de la paix : "Personne ne peut gagner une guerre nucléaire"

ICAN, prix Nobel de la paix : "Personne ne peut gagner une guerre nucléaire"
Par Valérie Gauriat
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Beatrice Fihn de l'ICAN, prix Nobel de la paix 2017, appelle les puissances occidentales dotées d'armes nucléaires à la raison.

Dans cette édition de The Global Conversation, Beatrice Fihn, directrice exécutive de la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (ICAN), organisation lauréate du prix Nobel de la paix 2017, évoque pour euronews, la portée de cette récompense qui “doit pousser les gens à agir”, dit-elle, et les enjeux de son combat à l’heure où la menace nucléaire se fait plus forte au plan international. “Les armes nucléaires ne garantissent pas notre sécurité, c’est une idée stupide : on ne peut pas gagner une guerre nucléaire,” martèle la militante.

Un monde sans arme nucléaire est-il possible ? Ou est-ce un rêve naïf ? Alors que les craintes de déclenchement d’une guerre nucléaire n’ont pas été aussi fortes depuis des décennies, les tenants de la dissuasion nucléaire ont cette année reçu un camouflet de la part du Comité Nobel norvégien qui a décerné le prix Nobel de la paix à la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (ICAN). À Genève, notre reporter Valérie Gauriat a rencontré la directrice exécutive de cette organisation, Beatrice Fihn.

Valérie Gauriat, euronews :
“La question d’une guerre nucléaire – de la menace nucléaire – domine plus que jamais l’actualité. Le président américain Donald Trump a adopté une position très dure au sujet de l’accord sur le nucléaire iranien après sa confrontation à distance avec Kim Jong-un et les dernières activités nucléaires de la Corée du Nord. Y a-t-il un vrai risque aujourd’hui selon vous ? Après tout, la dissuasion nucléaire fonctionne depuis des années. Pourquoi cela changerait-il ?”

Beatrice Fihn, directrice exécutive de l’ICAN :
“Je crois que le risque est absolument réel. Tous les jours, des sous-marins porteurs d’armes nucléaires sillonnent les mers. Il y a des silos à missiles nucléaires pointés en direction de certaines cibles. Et je pense qu’on a eu tendance à un peu l’oublier depuis des décennies.
Les derniers développements en Corée du Nord et l‘élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis ont vraiment mis en pleine lumière le fait que des individus ont le pouvoir de détruire le monde.”

Donald Trump ? Un “débile”

Valérie Gauriat :
“Sur Twitter, vous avez traité Donald Trump de ‘débile’ en paraphrasant Rex Tillerson. Voulez-vous dire qu’au XXIe siècle, des ‘débiles’ rendent la dissuasion nucléaire caduque ?”

Beatrice Fihn :
“Penser qu’en menaçant de massacrer aveuglément des centaines de milliers de civils, on se protège, ce n’est plus pertinent, c’est une idée stupide. Les armes nucléaires ne garantissent pas notre sécurité. On ne peut pas gagner une guerre nucléaire. Menacer de détruire totalement un pays, développer des arsenaux nucléaires, vouloir augmenter le nombre de ses armes nucléaires… Oui, c’est débile.”

Valérie Gauriat :
“Il y a un certain nombre d’Etats dotés d’armes nucléaires même s’ils sont une minorité. Qu’en est-il des autres Etats qui en sont dotés comme la France, le Royaume-Uni, la Russie, la Chine, l’Inde, le Pakistan, Israël – bien que ce pays n’ait jamais reconnu, ni démenti qu’il en détenait -. Y a-t-il de “bons” et de “mauvais” Etats nucléaires ?”

Beatrice Fihn :
“C’est bien la question : aucun n’est “bon”. Et c’est valable pour tous les pays qui s’appuient sur des armes de destruction massive pour se protéger, qui menacent de causer tant de souffrances, la mort et la destruction à tant de personnes, avec aussi des conséquences extrêmement douloureuses pour ceux qui survivraient. Les armes nucléaires causent des souffrances innommables. Et ce n’est pas quelque chose que des pays qui croient dans le droit humanitaire, dans les droits de l’homme, dans la démocratie, devraient menacer d’utiliser.”

La #Russie et les #EtatsUnis sont de loin les deux plus importantes puissances nucléaires. #CoreeDuNordhttps://t.co/Hi509KDdZqpic.twitter.com/hahBwDp1hi

— Statista France (@Statista_FR) 7 mars 2017

“Une capacité de destruction 70 fois supérieure à la Seconde guerre mondiale”

Valérie Gauriat :
“Le Traité de non-prolifération n’a pas empêché les Etats dits “nucléaires” d’investir massivement dans leur arsenal nucléaire ces dernières années. Il y a environ 15.000 armes nucléaires dans le monde aujourd’hui. Combien de personnes pourrait tuer une seule de ces armes ?”

Beatrice Fihn :
“Il existe évidemment de nombreux types d’armes nucléaires. Cela dépendrait un peu de la localisation et de la densité de population de la zone visée. Mais cela provoquerait une immense explosion qui éliminerait tout avec des conséquences à long terme à la clé. À Hiroshima et Nagasaki, les habitants continuent de souffrir des conséquences des bombardements. L’environnement est empoisonné.
On voit ce qui se passe sur les sites d’essais nucléaires à travers le monde : les femmes ont du mal à mener leur grossesse à leur terme, les cas de cancer y sont plus fréquents. Ces armes n’ont pas un effet limité dans le temps, ni dans l’espace. Elles affectent toutes les générations et le vent propage les radiations à d’autres régions qui ne sont pas impliquées dans le conflit.
Si une guerre nucléaire éclatait en Corée du Nord par exemple, cela toucherait la Chine, le Japon, la Corée du Sud. Et actuellement, les Etats-Unis et tous les autres Etats dotés d’armes nucléaires disposent de sous-marins nucléaires. Chacun renferme une puissance explosive qui pourrait faire sept fois plus de victimes que lors de la Seconde guerre mondiale qui a causé la mort de 60 millions de personnes.
Donc dix de ces sous-marins patrouillent dans les mers avec une capacité de destruction qui représente 70 fois celle de la Seconde guerre mondiale.”

“Le Nobel légitimise notre démarche pour le désarmement nucléaire” – Le Point https://t.co/qvtE40dAnS

— Jean Guisnel (@jeanguisnel) 8 octobre 2017

“Des possibilités de capitaliser sur le désarmement”

Valérie Gauriat :
“Le travail de l’ICAN a été essentiel lors des négociations qui ont mené à l’adoption du Traité d’interdiction des armes nucléaires en juillet dernier à l’ONU. Il est juridiquement contraignant pour les pays signataires. Le problème, c’est qu’il ne l’est pas pour ceux qui ne le signent pas et qui sont justement des Etats dotés d’armes nucléaires. La France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont déjà dit qu’ils ne voulaient pas en entendre parler. L’OTAN y est opposée. Comment sortir de cette impasse ?”

Beatrice Fihn :
“On voit avec d’autres armes comme les armes chimiques et biologiques, les mines et les armes à sous-munitions qu’une fois qu’elles sont interdites – et même si tous les Etats ne signent pas cette interdiction au départ -, leur emploi est de plus en plus condamné.
Ce Traité doit contribuer à cela. C’est aussi un outil pour lancer des campagnes au niveau national pour obtenir par exemple des désinvestissements du côté des fabricants d’armes nucléaires. Ce Traité interdit le soutien au développement d’armes nucléaires.
Donc on pense qu’on peut aller voir les banques par exemple pour leur dire : “Puisque vous êtes basé dans un pays qui a signé ce Traité, vous ne devriez pas pouvoir investir de l’argent dans la production d’armes nucléaires,” cela peut être une incitation très forte.
Par ailleurs, les armes nucléaires sont horriblement chères. Et des gouvernements comme ceux du Royaume-Uni et de la France doivent choisir : veulent-ils mettre cet argent dans des armes qu’ils ne peuvent pas utiliser et qui ne font que tuer des civils ou le consacrer à se protéger vraiment contre les menaces du XXIe siècle comme le terrorisme, le changement climatique, le crime organisé et ce genre de choses ?”

Valérie Gauriat :
“Mais est-ce que tout ne se résume pas finalement au fait que – si triste soit le constat – la guerre est lucrative, l’industrie de l’armement est lucrative pour les Etats, les entreprises, les banques… Les banques ont investi environ 500 milliards de dollars dans l’armement nucléaire entre 2013 et 2016. Alors dans ce contexte, comment rendre le désarmement nucléaire “vendable” ?”

Beatrice Fihn :
“C’est clairement un défi pour tous les secteurs de l’armement. Mais je crois aussi qu’il y a des possibilités de capitaliser sur le désarmement. Par exemple, à peine quelques années après l’entrée en vigueur de la Convention qui interdit les armes à sous-munitions – et les Etats-Unis n’ont ni participé aux négociations, ni signé ce traité -, la dernière entreprise américaine qui fabriquait ce type de bombes a finalement stoppé sa production l’an dernier et a évoqué le fait que l’on stigmatise de plus en plus ce type d’armes au niveau international et les campagnes en faveur du désinvestissement. C’est pour cela que des banques avaient retiré leur argent de cette entreprise.
Donc c’est intéressant de voir que ces entreprises réagissent à ce genre de processus. Et l’argent qui finance tout cela, c’est notre argent en tant que contribuables. Et je crois qu’on doit aussi tout simplement réclamer que notre argent soit consacré à d’autres choses. Il faut exercer une énorme pression. Et j’espère que le Prix Nobel de la Paix décerné à notre Campagne pourra inciter les gens à agir. Au final, je crois en la démocratie. Je crois que si les gens l’exigent, les choses changeront.”

We did it! #nuclearbanpic.twitter.com/6EDNYXcLw3

— ICAN (@nuclearban) 7 juillet 2017

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