Investissements chinois dans les ports européens : l'UE sur le pont

Un porte-conteneur de China Shipping Line dans le port du Pirée en Grèce.
Un porte-conteneur de China Shipping Line dans le port du Pirée en Grèce. Tous droits réservés Customs Union Ports
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Par Amandine Hess
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Le Parlement européen a adopté un texte visant à encadrer les investissements étrangers dans les infrastructures essentielles de l'UE, dont les ports.

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Le Parlement européen a adopté une résolution sur la construction d’une stratégie maritime européenne.

Dans le viseur des eurodéputés, l’influence grandissante de la Chine sur certaines infrastructures critiques de l’Europe, dont les ports.

Ils appellent notamment à “fixer des limites pour les investissements étrangers”.

La Chine s’amarre au port du Pirée

A quelques kilomètres d’Athènes, les grues et les portiques s’activent sur le port du Pirée.

Stratégiquement situé au sud-est de l’Union européenne, il est une porte d'entrée des marchandises en provenance du canal de Suez.

Près de cinq millions de conteneurs y ont transité en 2022, faisant de lui le principal port grec et le cinquième plus important terminal de Méditerranée.

Au cœur de la crise de la dette, Athènes décide de le privatiser.

Les anciens ports, pas seulement en Grèce, avaient besoin d’être restructurés. Cette restructuration implique de faire des investissements
Stratos Papadimitriou
Professeur au département d’études maritimes de l’Université du Pirée

“Au départ, l’administration portuaire a accordé une concession à (l'entreprise d'État chinoise, ndlr) COSCO pour opérer deux terminaux sur trois. Plus tard, l’ensemble de l’autorité portuaire a également été vendu, et COSCO a acquis 67 % des parts”, détaille Stratos Papadimitriou.

L’augmentation des flux de conteneurs, de deux millions par an avant la privatisation à cinq millions, est un “avantage évident” de cette opération, selon le professeur.

Il souligne également la hausse des investissements ayant permis de développer le port du Pirée en “hub portuaire au sud-est de l’Europe”.

Les ports européens dans le viseur de la Chine

Le port du Pirée est loin d’être un cas isolé.

Une étude menée pour le Parlement européen a répertorié 2****4 opérations d’acquisitions chinoises dans les infrastructures maritimes européennes de 2004 à 2021.

Les investissements chinois dans les infrastructures européennes, notamment portuaires, ont ainsi connu un essor à la suite de la crise de l’euro.

Dans la plupart des cas, les ports européens sont de propriété publique. L’État européen loue en quelque sorte la gestion et parfois la propriété temporaire d’un terminal ou d’un port à l’entreprise d’État chinoise
Francesca Ghiretti
Chercheuse à l’Institut Adarga

Ces acquisitions sont principalement réalisées par trois géants chinois : COSCO, China Merchants et Hutchison Port Holdings.

China Merchants Port (CMP) possède par exemple des parts des ports d'Anvers (Belgique), ainsi que Fos et Le Havre (France).

De son côté, COSCO est actionnaire majoritaire des ports de Zeebrugge (Belgique) et de Valence (Espagne) et possède des parts du port de Vado Ligure (Italie) ou encore Rotterdam (Pays-Bas).

La principale motivation des entreprises d’État chinoises demeure commerciale
Francesca Ghiretti
Chercheuse à l'Institut Adarga

“La Chine avait besoin d’exporter sa surproduction. L’accès au marché unique européen était donc particulièrement important”, explique l’analyste.

Risques de dépendance

La chercheuse alerte sur les risques de dépendance de l’Union européenne et des Etats membres vis-à-vis de la Chine.

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Avec une part de 16 % en 2021, la Chine est le principal partenaire commercial de l’Europe pour les échanges de marchandises.

De plus, Pékin contrôle environ 10 % du trafic des conteneurs en Europe.

L’Europe est fortement dépendante de la Chine. Une grande partie du commerce entre l’Europe et la Chine se fait par le biais de compagnies maritimes publiques chinoises telles que COSCO
Francesca Ghiretti
Chercheuse à l'Institut Adarga

Pour autant, l’ampleur de l'influence de la Chine sur un port dépend de trois facteurs : si l’investisseur est une entreprise d’Etat chinoise; si l’investissement vise à développer l’infrastructure et pas seulement à l’acquérir; et si l’actionnaire est minoritaire ou majoritaire, précise l’analyste.

Un autre élément stratégique est en jeu : l’intégration verticale.

“Les entreprises publiques comme COSCO ont tendance à être pleinement intégrées dans leur chaîne d’approvisionnement avec d’autres entreprises chinoises. Elles créent donc une sorte d’environnement fermé où elles ont des fournisseurs chinois”, détaille-t-elle.

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Cela crée “un terrain fertile pour la prolifération d’autres entreprises chinoises”, précise-t-elle.

Des investissements qui font des vagues

La chercheuse relève également un risque de coercition économique : la Chine pourrait faire pression sur l’UE en menaçant d’appliquer des mesures affectant le commerce grâce à son contrôle de certains ports.

En 2021, la Chine avait ainsi rétrogradé ses relations diplomatiques avec la Lituanie suite à l’ouverture d’un “bureau de représentation de Taïwan” à Vilnius.

Le rapport identifie également des risques potentiels pour la sécurité et la cybersécurité de l’UE, “liés par exemple à la proximité de certains ports dans lesquels les entreprises publiques chinoises investissent, avec des bases militaires de l’OTAN ou européennes”, explique Francesca Ghiretti.

Enfin, ces investissements pourraient poser des risques de sabotage et d’espionnage, énumère le rapport.

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L’UE sur le pont

Le Parlement européen a adopté une résolution sur les implications en matière de sécurité et de défense de l’influence de la Chine sur les infrastructures critiques dans l’Union européenne. 

Au cœur des préoccupations, la stratégie chinoise de fusion militaro-civile, “un programme conçu et mis en œuvre par l’État, qui prévoit d’instrumentaliser tous les leviers du pouvoir étatique et de la puissance commerciale afin de renforcer et de soutenir le Parti communiste chinois (PCC)”.

Chaque activité civile est en quelque sorte liée aux intérêts stratégiques et militaires plus larges de la Chine
Klemen Groselj
Eurodéputé (Renew Europe), Rapporteur du texte

Aussi, l’eurodéputé estime qu’un mécanisme d’évaluation des risques en cas d’investissement chinois dans les infrastructures essentielles est nécessaire, sans pour autant appeler à changer totalement de cap.

“Les investissements chinois sont les bienvenus”, assure-t-il.

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