Des combats de tranchées aux tirs de mortier : voici ce que les troupes européennes enseignent aux Ukrainiens

Soldats ukrainiens recevant une formation française dans le cadre de l'EUMAM, en Pologne.
Soldats ukrainiens recevant une formation française dans le cadre de l'EUMAM, en Pologne. Tous droits réservés État-major des armées
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Par Alice Tidey
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Cet article a été initialement publié en anglais

La France forme les troupes ukrainiennes en Pologne dans le cadre d'une mission de l'UE afin d'aiguiser les compétences clés dont elles auront besoin sur le champ de bataille, une fois rentrées chez elles. Euronews a suivi la formation pendant une journée.

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Le véhicule blindé s'arrête devant la tranchée et une demi-douzaine de soldats ukrainiens en sortent. En quelques secondes, des grenades fumigènes obscurcissent la scène et des coups de feu retentissent dans l'air.

Le ciel bleu clair permet aux Ukrainiens d'entendre plus facilement le drone qui vole à des dizaines de mètres au-dessus d'eux, mais la confusion s'installe : le drone est-il réquisitionné par l'un des leurs ou par l'ennemi ? Un soldat ukrainien tire brièvement sur le drone, puis se concentre sur les 200 mètres de tranchée qui se trouvent devant lui. La rapidité est ici essentielle.

Trente minutes plus tard, les Ukrainiens ont fait exploser plusieurs pièges, arraché la tranchée au contrôle de l'ennemi et s'occupent d'un camarade blessé.

La blessure, cependant, est fausse. Les balles étaient à blanc. L'ennemi n'était pas russe mais français et la tranchée ne se trouvait pas sur la ligne de front de l'Ukraine orientale mais plutôt sur une base militaire polonaise.

L'assaut s'inscrivait dans le cadre d'une formation dispensée par les troupes françaises à leurs homologues ukrainiens par l'intermédiaire de la mission d'assistance militaire de l'Union européenne (EUMAM).

"On approche, on va dire, des trois quarts de la formation", a déclaré à Euronews le lieutenant-colonel Louis, dont le nom de famille n'a pas été divulgué pour des raisons de sécurité. "On est pas encore sur la fin, mais on commence à travailler l'interarme, on et les exercices un peu plus complexes où on va au delà des matières, des compétences élémentaires. On commence à travailler la manœuvre".

"Le but c'est de les faire dérouler et de les faire commander leur unité, d'observer les erreurs qu'il peut faire et ensuite après, de débriefer le combat", a-t-il ajouté.

Il s'agit du quatrième bataillon ukrainien à bénéficier d'une formation d'un mois et demi dispensée par l'armée française en Pologne. Ils font partie des plus de 10 000 soldats ukrainiens qui ont été formés par la France - en Pologne et sur plusieurs sites en France - au cours de l'année et demie qui s'est écoulée depuis le lancement de l'EUMAM.

Les 24 États membres de l'UE participant à la mission ont jusqu'à présent formé collectivement 46 000 soldats ukrainiens.

Chacun d'entre eux dispense une formation différente en fonction des besoins de l'Ukraine et de ses propres spécialités. La Pologne, voisine de l'Ukraine, accueille un grand nombre de ces programmes, prend en charge l'hébergement, l'équipement et les munitions utilisés et se fait rembourser une partie des coûts par l'UE.

Le Royaume-Uni a également formé 36 000 soldats ukrainiens sur son sol.

S'ils n'aiment pas ça, nous le savons très vite

La formation française porte sur les principes de base de l'infanterie, notamment sur la manière de tirer avec les fusils et mortiers standard, de déchiffrer une carte ou les observations d'un drone pour faciliter le tir, de maintenir une position défensive, de prodiguer des soins médicaux de base, de conduire les véhicules fournis par la France et, surtout, de savoir qui doit faire quoi et à quel moment.

Le mot clé pour les instructeurs français est "adaptabilité", a souligné le colonel Antoine Laparra, Haut représentant national de la France pour l'EUMAM, tout au long du voyage d'observation d'une journée pour les médias auquel Euronews a participé à la fin du mois dernier.

Ils doivent s'adapter au niveau des soldats envoyés par l'Ukraine - dont certains n'ont jamais vu la ligne de front - ainsi qu'aux attentes des dirigeants ukrainiens. Le retour d'information est rare.

"Si la formation ne leur convenait pas, ils nous le diraient. Vous savez, ils ont pas de temps à perdre. La politesse, et la finesse c'est pas ce qui les caractérisent", a précisé le colonel Laparra.

Euronews n'a pas été autorisée à interviewer les soldats ukrainiens participant à l'opération, ni les traducteurs - pour la plupart des femmes ukrainiennes - dont le travail rend tout cela possible.

Des soldats ukrainiens ont été entraînés par des soldats français en Pologne.
Des soldats ukrainiens ont été entraînés par des soldats français en Pologne.État-major des armées françaises

"Sur le précédent mandat, quelques fois les Ukrainiens ont été hyper cash et ont dit non mais ça on ne veut plus. Donc en fait, quand ça leur plait pas, on le sait très vite, très vite. Donc tant qu'ils nous disent pas que ça leur plaît pas, c'est que ça leur plaît. Donc on continue", a ajouté le colonel.

Dans un communiqué envoyé par courriel à Euronews, le ministère ukrainien de la Défense a indiqué qu'"il est très important de poursuivre la formation du personnel militaire ukrainien dans le cadre de cette mission".

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"Cela permet aux défenseurs ukrainiens de maîtriser les armes et les équipements modernes afin de repousser efficacement l'agression russe. Au cours des activités de l'EUMAM, nous avons identifié plusieurs aspects permettant d'améliorer l'efficacité de la formation. Par exemple, l'utilisation de l'approche de la formation des formateurs. C'est important non seulement pour répondre aux besoins actuels en matière de défense, mais aussi pour développer les capacités futures des forces de défense ukrainiennes", a ajouté le communiqué.

Une amélioration certaine

Le bruit des balles frappant leurs cibles métalliques à une centaine de mètres se fait entendre au milieu des coups de feu, arrachant un sourire de satisfaction aux soldats français qui supervisent l'entraînement au tir.

Après plus de trois semaines sur place, les bases du tir - comment tenir l'arme, respirer et appuyer sur la détente pour atteindre la cible - sont plus ou moins acquises. La session du jour comporte donc une difficulté tactique supplémentaire : le chef de groupe doit s'assurer que les différentes sous-équipes se coordonnent pour tirer sur différentes cibles et garder suffisamment de munitions pour couvrir leurs camarades lorsqu'ils ont besoin de se retirer.

Ce dernier point s'est avéré difficile pour le chef de groupe cette fois-ci, comme l'a souligné le lieutenant-colonel Léa lors du rassemblement qui a suivi l'exercice.

Néanmoins, elle est restée positive : "aujourd'hui, c'est un bon exercice, ils étaient très motivé et on voit l'amélioration certaine par rapport au début de la formation, donc ça fait vraiment plaisir".

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Les chefs de groupe, qui supervisent une dizaine de soldats, jouent un rôle essentiel dans l'armée française, qui leur accorde une attention particulière ainsi qu'à l'ensemble de la chaîne de commandement.

Les bataillons ukrainiens sont composés de personnes qui ont été jetées dans le grand bain le 24 février 2022, lorsque la Russie a commencé son invasion à grande échelle, et de nouveaux arrivants qui n'ont jamais vu la bataille mais qui se retrouvent aujourd'hui à des postes de commandement. Il est donc essentiel d'expliquer dans les moindres détails le fonctionnement d'une chaîne de commandement appropriée.

Le besoin est tel que les Français ont proposé qu'à l'avenir, les chefs de groupe arrivent une semaine à l'avance pour un entraînement intensif. Les Ukrainiens ont accepté.

Une semaine, c'est loin des deux ans nécessaires à la formation d'un chef de groupe ou d'un sergent dans l'armée française, mais le colonel Laparra est certain que cela peut aider.

"Moi j'ai la conviction que si on consolide ce niveau subalterne, c'est a dire le groupe, inévitablement le niveau général de la grande unité, de la compagnie va augmenter. C'est tellement évident qu'il ne peut pas en être autrement."

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Pas de gadgets ou d'armes coûteuses

L'une des compagnies est testée plus tard dans la journée. Il s'agit pour elles de reconquérir une rue entière dans un village d'entraînement flanqué d'immeubles de plusieurs étages. Le chef de la compagnie prend le temps d'exposer son plan, puis l'opération démarre.

Des erreurs sont commises : une section entière - environ trois escouades - se retrouve dans le même bâtiment au même moment, plusieurs soldats sont trop exposés aux tirs ennemis par les fenêtres, l'un d'entre eux est complètement exposé sur un toit. Plusieurs sont étiquetés comme blessés.

Quatre-vingt-dix minutes plus tard, les soldats ennemis embusqués ont été neutralisés et la rue est sous contrôle ukrainien. Ils obtiennent la note de passage. Ils n'ont cependant pas le temps de se reposer, car dans les jours à venir, le niveau de difficulté sera progressivement augmenté, avec plus de soldats ennemis, plus de pièges et un périmètre plus large à sécuriser.

Un entrainement des soldats ukrainiens en Pologne.
Un entrainement des soldats ukrainiens en Pologne.État-major des armées françaises

Il n'y a pas d'artifice dans ce que les Français montrent aux Ukrainiens, pas de gadgets ou d'armes coûteuses, le raisonnement étant que la plupart d'entre eux n'y auront pas accès. Le kit français pour faire exploser un piège comprend un rouleau de ficelle de plusieurs mètres de long et un mousqueton, des "outils" que les Ukrainiens peuvent tous se procurer facilement.

Un aspect auquel les Français ne s'adaptent pas, cependant, est la position de Kyiv dans la guerre, ses décisions stratégiques, ses pertes et ses victoires, ses blessés et sa puissance de feu décroissante, qui ne sont pas du tout abordés au cours du mois et demi que Français et Ukrainiens passent ensemble.

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Le pays est actuellement en retrait, en grande partie parce qu'il n'a pas les munitions nécessaires pour rivaliser avec la Russie, alors que les capacités de production en Europe se mettent en mode guerre et que l'aide américaine est bloquée au Congrès.

Leur demander de rationner leurs munitions serait toutefois contre-productif, explique-t-on à Euronews, car cela risquerait de saper le moral des troupes.

"Notre objectif, c'est de leur donner les clés pour pour faire face, qu'ils sont en difficulté ou dans une autre dynamique. Donc, ce n'est pas parce qu'ils sont dans une situation tactique plus ou moins compliquée qu'on va changer notre instruction. On donne vraiment des clés basiques et les fondamentaux qui leur permettent de résister et d'avancer", a précisé le colonel Laparra.

"Des soldats ukrainiens qui touchent des cibles à 100 mètres, déjà c'est un succès ça. On sait que du coup, les cartouches qui vont être tirées peuvent être tirées efficacement. Et c'est la même chose pour les mortiers. Faire un message de tir efficace avec un réglage efficace, avec une observation efficace, c'est ça qui va rentabiliser les munitions qui seront tirées."

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