Mohamed Swayib : "Nous ne serons plus le policier gratuit de l'Europe"

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Par Valérie Gauriat
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Mohamed Swayib est le responsable des relations internationales et de la coordination de la DCIM, le département chargé de lutter contre l'immigration clandestine en Libye. Au micro de Valérie Gaur

*Vidéo disponible en arabe uniquement

La coopération internationale avec la Libye pour lutter contre l’immigration clandestine, est le dossier le plus délicat pour nous, le département de lutte contre l’immigration illégale, et le ministère de l’intérieur. Tous les services libyens ont été déçus par les promesses faites par l’Union Européenne et l’OIM.

L’Etat libyen lui, respecte ses obligations internationales. Nous avons signé des accords avec les autorités italiennes et européennes pour lutter contre l’immigration. Et nous avons dépensé beaucoup d’argent pour cela. Mais on constate que l’Union Européenne ne coopère pas vraiment. Il y a une sorte de négligence de la part des pays européens, sauf de l’Italie, pays le plus touché par l’immigration après la Libye. Mais le fait que l’UE, l’OIM, Frontex, et les Nations Unies, ne respectent pas les accords qu’ils ont signé avec l’Etat libyen, en matière d’aide logistique, technique, et financière, a aggravé la problématique.

Il y a un accord entre la Libye, l’Italie et l’UE pour protéger électroniquement la frontière sud de la Libye, c’est le point le plus important. Ce projet peut arrêter radicalement le problème de l’immigration, cela peut réduire de jusqu‘à 90 pourcent la problématique.

Cet accord a été signé, et il est prêt à être mis en oeuvre, via une entreprise italienne, Silex. Mais après 2011, nos appels au secours répetés, surtout vers l’Italie , pour une mise en oeuvre immédiate, ont été ignorés.

L’Union Européenne et surtout la France et l’Italie, qui sont plus touchés par l’immigration, du fait de leur frontière sud avec la Méditerranée, essaient toujours de présenter la Libye sous un mauvais jour, comme un Etat failli. Pourquoi et comment?

Ils veulent mettre toute la faute sur la Libye,ce qui n’est pas juste. La Libye n’est qu’un pays de passage. La Libye a des frontières de 1050 kilomètres avec le Tchad, 357 kilomètres avec le Soudan, et 350 kilomètre avec le Niger. Au total cela fait environ 2000 kilomètres, avec en face le désert ouvert. La chaleur est très élevée. La surveillance sur une telle distance et avec ce climat est très difficile. Les Etats-Unis, avec tous les moyens de surveillance dont ils disposent, ont environ 3169 kilomètres de frontière avec le Mexique. La Libye a deux fois plus de distance à surveiller, avec 6000 kilomètres de frontieres, dont les 2000 kilomètres avec la mer Méditerranée, et les frontières avec l’Egypte, le Soudan, le Tchad, le Niger, l’Algérie et la Tunisie.

Les Etats- Unis mobilisent 17000 policiers pour contrôler la frontière qu’elle partage avec le Mexique. Et chaque jour on voit la difficulté qu’il y a pour lutter contre l’immigration. Malgre les moyens économiques énormes des Etats-Unis, qui consacrent chaque année des milliards à la lutte contre l’immigration. Juste pour ces 3000 kms. Alors imaginez la difficulté pour nous, si on fait la comparaison avec les Etats- Unis. La libye lutte dans un espace de 6000 kilomètres. J’insiste sur la différence économique et financière des deux pays.

Malheureusement, l’Union européenne et les pays européens essaient toujours de mettre la Libye sur le banc des accusés, de la perte de contrôle face à l’immigration. Et cela, c’est faux, parce qu’on a signé des accords signés avec l’UE, la France et l’Italie, et avec l’OIM et l’ONU, pour qu’ils nous aident à lutter contre cette immigration qui ne nous concernait pas directement à la base.

Si on parle des services qui luttent contre l’immigration, on peut prendre l’exemple de la France. La France a une énorme base militaire dans la zone du Niger, du Tchad et de la Libye. Et les immigrants passent tranquillement sous les yeux des militaires français.

L’autre problème c’est que les pays européens ne coopèrent pas avec la Libye, pour mettre la pression sur les pays voisins, le Niger, le Tchad et même le Mali. Le Niger par exemple a signé récemment des accords avec tous les pays d’Afrique de l’Ouest, qui annulent l’obligation de visas d’entrée au Tchad. Cela a facilité le déplacement de tous ces flux vers le Tchad, mais vous imaginez bien que les niégériens, les camerounais ou les somaliens ne partent pas de chez eux pour s’installer au Tchad. C’est une action politique qu’on considère, nous les libyens, comme une menace pour notre sécurité nationale. Cela n’aurait pas du arriver. Surtout quand on connait les liens poitiques entre le Tchad, le Niger, le Mali et la France L’Union européenne n’est pas intervenue pour bloquer ces accords, qui sont liés directement au phénomène. Par ailleurs, on a besoin de beaucoup de choses, à commencer par une aide logistique de base. On a besoin de formations. A cause de la crise économique que travers la Libye en ce moment, cela fait deux ans que le service de lutte contre l’immigration manque de budget.

Tous les policiers, et les soldats libyens qui travaillent avec le service de lutte contre l’immigration clandestine et le ministère de l’intérieur souffrent de manque de salaires. Ils travaillent même avec leurs voitures personnelles. Ils sont presque bénévoles pour stopper l’immigration clandestine à destination de la Méditerranée. Ce que je veux dire, c’est que la Libye ne sera plus le policier de l’Europe qui travaille gratuitement pour arrêter les immigrants. Parce que tout simplement on ne trouve pas de libyens sur les bateaux des migrants. Alors peut-être vous demandez-vous pourquoi nous continuons à travailler dans de telles conditions?

Parce que le peuple libyen n’acceptera jamais que la Libye devienne un carrefour pour les immigrants, ou qu’ils deviennent des citoyens libyens. La Libye est un grand pays, qui respecte ses obligations. Elle donne l’autorisation de rester sur son territoire comme des réfugiés politiques à qui elle veut. Elle délivre des visas à qui elle veut, et pas a qui elle ne veut pas. Mais le but politique caché de l’Europe, derrière la crise, consiste à transformer la Libye en une zone d’ombre pour concentrer les migrants illégaux et les garder en Libye. Cela n’arrivera jamais, tout simplement parce que le peuple libyen et les autorités libyennes ne l’accepteront jamais.

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