Du local au national, le Front national à la conquête du pouvoir ?

Du local au national, le Front national à la conquête du pouvoir ?
Par Sandrine Delorme
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L'exercice du pouvoir de ce parti d'extrême droite à l'échelle locale fait-il recette auprès des électeurs ? Vont-ils aller plus loin en votant pour Marine Le Pen aux présidentielles ? Electeurs

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Beaucaire, ville de 16 000 habitants du Gard est l’une des 11 municipalités françaises remportées par le Front national il y a 3 ans. Le taux de chômage avoisine les 20 %, malgré un certain potentiel touristique. La population d’origine maghrébine et sud-américaine est très présente, elle constitue l’essentiel de la main d’oeuvre agricole de la région. Beaucaire peut passer pour une ville test, voire une vitrine du parti frontiste.

Son maire, Julien Sanchez, a déjà fait la Une de l’actualité en invitant Marine Le Pen, mise à l‘écart de la marche républicaine à Paris, le 11 janvier 2015 après les attentats, ou encore pour avoir baptisé une rue du Brexit en décembre dernier, une rue située dans une zone industrielle de la ville, “un hommage au choix du peuple britannique et au respect de ce choix par les dirigeants britanniques”, selon le maire.

La recette politique locale du Front national, c’est proximité, sens du contact, visibilité. Julien Sanchez s’applique à être très présent auprès de ses administrés : il a renforcé les effectifs de la police municipale, et fait du respect des traditions gardoises une priorité.

Sa politique plaît, mais sur le marché de Beaucaire, peu de gens, acceptent, face caméra, de se revendiquer du FN, et pourtant, Astrid Quirin, vendeuse en boulangerie nous explique :

Tous les clients qui viennent me voir en disent du bien, même ceux qui ne votent pas Front national. Mais moi, je sais que je voterai Front national, je n’ai pas peur de le dire. Y’a tellement de malheureux dans les rues, on ne s’occupe pas d’eux, on pense d’abord aux migrants, c’est vrai, je le dis, je n’ai pas honte de le dire, d’abord les Français, quoi, voilà. Et par contre après, s’il n’y a vraiment pas de changement, je ne voterai plus, je serai vraiment déçue de la politique.

De la politique, le maire Julien Sanchez, 33 ans, a commencé à en faire très tôt. C’est un communiquant bien rodé qui a contribué à changer l’image du FN ces dernières années. Il fait partie du conseil stratégique de la campagne électorale de Marine le Pen :

Je suis au Front national depuis l‘âge de 16 ans, donc vous voyez, ça fait la moitié de ma vie déjà, passée au Front national, parce que, tout simplement, je considère que pour apporter des bonnes solutions pour un pays, il faut faire les bons constats, et je pense que seul le Front national aujourd’hui ne se voile pas la face sur la situation du pays, et donc il est le plus à même de proposer les solutions les plus adaptées.

Le Front national occupe le terrain et la toile. Précurseur sur les réseaux sociaux, Marine Le Pen totalise plus d’un million d’abonnés sur Facebook, idem sur Twitter. Elle s’adresse aux jeunes, aux femmes et ça marche, mais la sécurité, l’immigration et l’emploi restent les thèmes de prédilection du FN.
Les électeurs de la première heure ne s’y trompent pas :

J’ai voté Jean-Marie au départ, mais c’est vrai qu’il était un peu plus dur au niveau des immigrants, je trouve que Marine est plus souple, un peu, quand même. De toutes façons, c’est ce que je dis, je n’en veux pas aux musulmans ou quoique ce soit, ça n’a rien à voir, le problème, c’est qu’avec l’immigration qui rentre, faut arrêter quand même, on n’a déjà pas de travail, moi je dis que la fermeture des frontières, ce serait très bien,“ nous explique Laurence Sylvestre, ancienne comptable aujourd’hui au RSA.

Sa fille, Sabrina Berqué, est employée comme femme de chambre dans un hôtel, elle ajoute :

On a tout essayé quand même, maintenant y’a plus que Marine, faudrait qu’elle passe et on verra bien. On veut pouvoir donner un avenir à nos enfants, je pense que ça, c’est important, aujourd’hui, on ne sait même pas où on va nous, alors eux, je ne sais même pas où ils vont.”

Mais à Beaucaire, tout le monde n’est pas satisfait du maire frontiste. Preuve du malaise, les opposants politiques affichent leur unité, ils dénoncent une communication envahissante, parfois mensongère, des procédures judiciaires en cascades.
Et partant de leur expérience locale, ils imaginent mal Marine Le Pen à la tête de la France :

On a, à l‘échelle de la commune, une pratique du pouvoir qui est concentrée dans les mains d’un seul homme, Sanchez qui ne délègue pas. Donc, à l‘échelle nationale, se dire que Marine Le Pen aurait entre les mains un pouvoir absolu puisque la Cinquième République concentre tous les pouvoirs dans les mains d’un seul homme, et d’une seule femme, ce serait effrayant, effrayant“, déclare Stéphane Linossier, du Collectif de gauche Réagir pour Beaucaire.

Le Rassemblement citoyen de Beaucaire, une association de lutte contre le racisme et les discriminations qui mène une action de vigilance citoyenne, pas forcément anti-maire, s’en inquiète aussi :

Marine le Pen s’attaquerait en priorité aux libertés individuelles. Ici à Beaucaire, le maire s’attaque à la liberté de conscience, et à la liberté d’expression. Si vous exprimer votre sentiment, forcément, vous êtes contre lui, forcément, il se victimise. Puis bon, moi, je ne suis ni une politicienne, ni une économiste, mais la fermeture des frontières, c’est n’importe quoi, sortir de l’Europe, je ne suis vraiment pas pour, je suis une pro-européenne convaincue“, explique Laure Cordelet.

L’Europe, peu d‘électeurs frontistes en parlent ici, même si la sortie de l’euro inquiète certains.
En tout cas, l’exercice du pouvoir par le Front national à l‘échelle locale divise. Pour le maire de Beaucaire, Julien Sanchez, la seule fracture qui existe, si elle existe, c’est entre ceux qui respectent les règles et les autres.

“Sur le fond, le Front national n’a pas changé”

Nous avons rencontré Valérie Igounet. Elle est historienne, notamment chercheuse associée à l’Institut du temps présent, elle étudie le Front national et le négationnisme depuis 20 ans. Elle vient de sortir un livre en collaboration avec le photographe et documentariste Vincent Jarousseau, L’illusion nationale, aux éditions Les Arênes XXI.

Vous avez enquêté auprès de l‘électorat Front national, des municipalités FN pendant deux ans, c’est ce que vous retracez dans ce livre, “L’illusion nationale”, qu’est-ce qui en ressort, qu’est-ce qui vous a marqué ?

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- Valérie Igounet, spécialiste du Front national :

Nous, ce que nous avons ressenti, la première chose, c’est une désillusion totale dans la politique française, ça veut dire que ces électeurs y ont cru, et que là, aujourd’hui, ils n’y croient plus du tout. Et beaucoup ont insisté sur le fait des promesses (des précédents gouvernements) non tenues, mais vraiment. C’est-à-dire que soit des personnes sont venues une fois avec des caméras autour d’elles, et ne sont jamais revenues, soit par rapport à des promesses électorales.
Ils ont confiance aussi en Marine Le Pen, c’est ce qu’ils expliquent, par ce qu’elle affiche, par ce qu’elle promet, mais aussi parce que c’est un parti qui n’a jamais été essayé, ça, on l’a beaucoup entendu.

Le Front national a évolué, est-ce que ce changement est profond, réel, ou est-ce qu’il est artificiel, voire superficiel ?

- Valérie Igounet :

Aujourd’hui, ce parti qui se dit, “et de droite et de gauche”, est un parti qui prétend être à la limite attrape-tout. D’ailleurs dans les 144 engagements (du programme présidentiel de Marine Le Pen), il y a des mesures à peu près pour tout le monde.
Mais sur le fond, le Front national n’a pas changé, ça, il faut vraiment le dire. Par contre, la différence est que ces électeurs pensent que cette femme, présidente du Front national depuis quelques années, a changé le Front national, qu’il n’est plus le même, ils disent même qu’il n’est plus raciste pour certains, comme ils disent.
Quand on a l’islamophobie comme dénonciation centrale, oui le Front national est xénophobe, mais il l’assume totalement, il n’y a pas de problème. Cette priorité nationale qu’il revendique, on ne peut pas dire que cela soit dénué de xénophobie.

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