Catalogne : pourquoi une partie de la population veut son indépendance ?

Catalogne : pourquoi une partie de la population veut son indépendance ?
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Par Vincent Coste
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Selon un dernier sondage, plus de 40% des Catalans sont favorables à l'indépendance. En 2010, ils n'étaient que 15%.

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Depuis des années, Madrid se livre à un bras de fer avec Barcelone. Le ton est monté ces dernières semaines. Au centre de la discorde, la volonté des autorités catalanes d’organiser le 1er octobre un référendum sur l’autodétermination de la province. Pour l‘État espagnol, cette démarche est illégale et inconstitutionnelle.

L’Espagne est plongée dans l’une des plus grandes crises politiques depuis la tentative de coup d’Etat de 1981 contre la toute jeune démocratie espagnole qui venait de sortir de décennies de dictature franquiste. Ce dimanche, plus de cinq millions de Catalans sont appelés aux urnes pour répondre à la question suivante : “Voulez-vous que la Catalogne soit un État indépendant sous la forme d’une république ?”

Une histoire, une culture et une langue

Pour Jordi Pujol, qui fut président de la Généralité de Catalogne pendant plus de 20 ans, “la Catalogne est riche de plus de 1 000 ans d’histoire”. Aujourd’hui, elle est peuplée par 7,5 millions d’habitants sur une population totale en Espagne de plus de 46 millions. La Catalogne est l’une des 17 provinces autonomes que compte le pays. Elle dispose de son propre parlement et de sa propre police. C’est une région qui est fière de son identité, comme de sa langue.

La Catalogne, l’une des plus riches provinces espagnoles, jouissait d’une large autonomie avant la guerre civile espagnole. Cette autonomie a été réduite à néant sous le franquisme. Avec la restauration de la démocratie après le régime de Franco, la Catalogne, comme d’autres provinces espagnoles, a acquis un certaine degrés d’autonomie. Mais la question de la langue reste centrale en Catalogne. Si la majorité des Catalans se déclare bilingue, s’exprimant en catalan et en espagnol, la volonté de donner une place plus importante au catalan rencontre beaucoup d’opposition dans le reste du pays. Certains y voient une menace pour l’unité du pays, selon Mireia Borrell-Porta, experte en politique européenne à la London School of Economics.

“En Espagne, il existe une “obsession” à l’unité du pays, ce qui est plutôt positif en soi. Mais il y a une confusion entre unité et uniformité”, nous explique la chercheuse. “Il y a cette idée que tout ce qui n’est pas considéré comme espagnol est une menace. Sous Franco, c‘était comme ça, mais cela ne veut pas dire forcément que je fais une comparaison. En conséquence, la langue catalane n’est pas bien considérée. De plus, certains pensent que l’espagnol est discriminé en Catalogne, mais tout le monde le parle dans la province” ajoute Mireia Borrell-Porta

Des griefs d’ordre économique ?

Le tourisme et l’industrie ont “boosté” la croissance économique de la Catalogne. La montée de l’indépendantisme s’est faite plus vive lors de la dernière décennie, sans doute amplifiée par les effets de la crise économique qui a frappé l’Espagne. La Catalogne a, en effet, mieux résisté. Aujourd’hui, elle représente 20% du PIB espagnol. Et depuis quelques années, un sentiment d’injustice face à l’impôt levé par l’Etat espagnol se fait de plus en plus fort. La Catalogne n’a pas la maîtrise des impôts. Des voix se sont élevées dans cette région du nord-est du pays pour réclamer une meilleure redistribution de l’argent, arguant que peu d’argent public était réinvesti en Catalogne. Pour certains nationalistes ou séparatistes catalans, Madrid ferait donc rentrer plus d’argent dans ses caisses en provenance de Catalogne qu’elle n’en sort pour la province. Une “frustration” renforcée par le fait qu’en Espagne, d’autres régions comme le Pays Basque dispose d’une fiscalité autonome.

Pour le Dr Robert Liñeira, expert en comportement électoral de l’Université d‘Édimbourg que nous avons contacté, ces questions liées à l’économie et à l’impôts sont globalement nouvelles dans la rhétorique des nationalistes catalans. Selon lui, il s’agit d’une stratégie pour attirer davantage de personnes vers le mouvement en faveur de l’indépendance. “Ces thématiques économiques sont certes anciennes, mais elles n’ont été mises véritablement en avant qu’à partir de 2010. Historiquement, le moteur du nationalisme catalan ne repose pas sur des problèmes d’argent. A mon avis, c’est quelque chose qui sert à élargir leur base électorale,” nous explique ainsi le chercheur.

“L’indépendance volée”

Pour de nombreux experts, le plus grand facteur qui explique cette montée de l’aspiration à l’indépendance repose sur des bases politiques et juridiques cristallisées par la décision prise par le tribunal constitutionnel en 2010. Un retour en arrière s’impose.

En mars 2006, le parlement espagnol dominé par les socialistes du PSOE de José Luis Zapatero adopte un nouveau statut pour la Catalogne. Le préambule de ce texte définit la Catalogne comme une “nation” à l’intérieur de l’Etat espagnol. Pour l’opposition, les conservateurs, ce texte ne passe pas. En juillet 2006, le Parti populaire (PP) saisit le Tribunal constitutionnel pour le contester. Pour Mariano Rajoy, le leader du PP, ce nouveau statut est “l’antichambre du démembrement de l’Espagne”. En Catalogne, un référendum valide le texte. Mais quatre ans plus tard, la réponse du Tribunal constitutionnel arrive. Elle annule une partie du statut. Pour la plus haute instance juridique espagnole, la référence à la Catalogne comme “nation” n’a “aucune valeur juridique”. De plus, elle rejette l’usage du catalan comme langue “préférentielle” dans les administrations et les médias.

En Catalogne, cette décision est vécue comme une humiliation, une trahison. Des centaines de milliers de personnes défilent dans les rues. Et depuis, les griefs sont de plus en plus forts envers Madrid.

“Je dirais que c’est l’une des principales raisons pour expliquer ce sentiment pro-indépendance qui se propage dans la population”, nous dit Mireia Borrell-Porta.“ L’objectif du statut de 2010 était de résoudre les problèmes linguistiques et économiques de la Catalogne. Et avant 2010, il n’y avait pas beaucoup de personnes favorables à l’indépendance. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui”. Pour l’universitaire,”si la situation actuelle coïncide avec la crise économique – tant de gens disent qu’ils ne veulent plus donner leur argent à Madrid – ce n’est pas le plus important. Il ne faut pas oublier ce qui s‘est passé. C’est la Cour constitutionnelle qui est responsable. Et depuis, chaque année le 11 septembre, il y a entre 1 million et 1,5 million de personnes dans les rues de Barcelone à l’occasion de la Diada, la fête nationale de la Catalogne”.

La “répression” de l’Etat espagnol

L’Etat espagnol a promis de tout mettre en oeuvre pour interdire le référendum. La semaine dernière, la police espagnole (Guardia civil) a arrêté plus d’une douzaine de hauts responsables de l’exécutif catalan. Les finances de la province ont été gelées.

Madrid a tenté de mettre la police régionale de Catalogne – les Mossos d’Esquadra – sous sa tutelle en lui demandant de prendre part aux opérations pour empêcher la mise en place de bureaux de vote. Ce qui a été vivement dénoncé par le pouvoir catalan. En outre, plus de 6 000 agents de la Guardia civil et de la police nationale ont été envoyés en Catalogne par le gouvernement espagnol pour renforcer son dispositif contre la la tenue du scrutin de ce 1er octobre.

“Maintenant, beaucoup de Catalans qui n‘étaient pas pour l’indépendance et qui n’étaient pas en faveur d’un référendum, le sont,” affirme Mireia Borrell-Porta. “Ils voient comment Madrid gèle les finances et la police catalane ; ils voient comment le procureur espagnol sermonne les maires catalans; ils voient comment les bulletins de vote sont saisis et comment les hauts fonctionnaires sont détenus”. Enfin pour la chercheuse, “beaucoup de gens se disent Je n‘étais pas pour ça, mais lorsque l’on voit la qualité démocratique du gouvernement espagnol, peut-être serait-il temps de partir.” “Ce que le gouvernement espagnol a fait la semaine dernière a été ressenti comme un outrage en Catalogne,” nous explique Robert Liñeira. “Ici, il ne s’agit pas d’argent. Ici nous parlons de symboles. Et historiquement, la reconnaissance des symboles a toujours été le principal moteur du nationalisme catalan. Et à mon avis, c’est toujours le cas,” conclut l’universitaire d‘Édimbourg.

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