La morale ou les millions ? L'Europe et ses ventes d'armes à Riyad

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Par Cyril Fourneris
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L'assassinat du journaliste Jamal Khashoggi a poussé l'Allemagne à suspendre ses ventes d'armes au royaume. Une première pour un pays de l'UE, qui encourage ses partenaires à la suivre.

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"Il est faux de dire que l'Arabie saoudite est un grand client aujourd'hui de la France", déclarait il y a dix jours Emmanuel Macron, au sujet du deuxième acheteur d'armes françaises de la décennie. Un point sur les chiffres alors que sont relancés les appels à geler ces exportations vers la monarchie du Golfe.

Une goute de sang a fait déborder le vase. L'assassinat du journaliste Jamal Khashoggi a poussé l'Allemagne à suspendre dimanche ses ventes d'armes à Riyad, une première pour un pays de l'Union européenne, qui encourage ses voisins à la suivre.

"Il n'y a aucun effet positif si nous restons les seuls à arrêter les exportations et si, en même temps, d'autres pays comblent le trou", a mis en garde lundi le ministre allemand de l'Économie Peter Altmaier, dont le pays a autorisé cette année 416,4 millions d'euros d'exportations d'armes vers l'Arabie saoudite.

Mais le communiqué commun publié par les diplomaties britannique, française et allemande ne fait pas mention d'un gel éventuel. Les trois pays européens déclarent : "Rien ne peut justifier ce meurtre et nous le condamnons avec la plus grande fermeté". Ils ajoutent qu'ils se "détermineront en dernier ressort en fonction de la crédibilité des explications supplémentaires" des Saoudiens.

La France, premier grossiste de Riyad

En 2013, le Royaume-Uni dominait le classement des pays européens ayant vendu le plus d'armes au royaume saoudien. En 2016, la France prenait de loin la tête de ces exportations.

"Nous avons avec l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis un partenariat de confiance dans la région qui est important, qui n'est pas commercial, qui est stratégique", avait affirmé Emmanuel Macron mi-octobre sur France 24, évoquant des "intérêts communs" en matière de stabilité et de lutte contre le terrorisme.

"Mais il est faux de dire que l'Arabie saoudite est un grand client aujourd'hui de la France", poursuivait-il.

Pourtant, l'ex-ministre de l’Économie le sait bien : en moins d'une décennie, l’Arabie saoudite a passé pour environ 11 milliards d’euros de commande d’armes à la France. Elle est depuis des années son deuxième client, entre l’Inde et le Qatar. Le président français a prévu de se rendre à Riyad avant décembre pour signer de nouvelles livraisons.

"Blocage de plusieurs grands pays"

Ni Emmanuel Macron, ni ses ministres ne se sont pour l'instant prononcés sur un éventuel gel des exportations d'armes vers l'Arabie saoudite.

"Notre politique de contrôle des ventes d'armement est stricte et repose sur une analyse au cas par casdans le cadre de la Commission interministérielle pour l'exportation de matériels de guerre ", a sobrement déclaré le ministère français des Affaires étrangères. "Les exportations d'armement à l'Arabie saoudite sont examinées dans ce cadre". 

Le secrétaire d’État britannique au Brexit, Dominic Raab, a décrit le meurtre du journaliste saoudien comme une "affaire terrible" mais assuré que la Grande-Bretagne ne "réagirait pas de manière excessive" et ne "jetterait pas ses mains en l'air" car des milliers d'emplois dépendent des relations avec le pays pétrolier.

"Nous avons établi une position commune sur ces ventes d'armes mais la responsabilité finale incombe aux États membres", a précisé lundi Maja Kocijancic, la porte-parole de la diplomatie européenne.

"Jusqu’à présent, il y a un blocage de plusieurs grands pays européens sur cette idée d’un embargo" européen, a déclaré le ministre belge des Affaires étrangères Didier Reynders ce dimanche à la RTBF, sans préciser de quels pays il s'agissait. Son pays envisage de geler ses livraisons.

La France et le Royaume-Uni sont les "plus gros problèmes" quand on soulève la question des exportations d'armes à l'Arabie, déclarait l'an dernier à Euronews Bodil Valero, eurodéputé suédois, signataire en 2017 d'un appel en faveur d'un embargo européen sur les ventes d'armes à l'Arabie saoudite.

L'économie ou les valeurs

L’Espagne ne suspendra pas les exportations vers l’Arabie saoudite pour le moment, bien qu’elle exprime sa "consternation" après la mort de Jamal Khashoggi. Selon le journal El Pais, l’Arabie saoudite était le troisième plus gros client d’armes de l’Espagne depuis 2013.

En septembre dernier, la ministre espagnole de la Défense, Margarita Robles, avait tenté d'annuler la vente de 400 missiles qui risquaient d'être utilisées dans la guerre du Yémen. Mais le Premier ministre avait finalement conclu l'opération après que Riyad eut menacé de représailles économiques. Des travailleurs étaient également descendus dans les rues en signe de protestation pour exiger que leurs emplois soient défendus.

Ce dimanche, le président du Medef, syndicat français du patronat, appelait sur Europe 1 la France à "faire l’arbitrage entre le commerce, la rentabilité à court terme, et ce que l'on essaie de défendre". Geoffroy Roux de Bézieux conclut : "Si on ne commerçait qu'avec des démocraties, on ne ferait pas beaucoup de commerce".

Le dernier mot pour la Maison Blanche ?

La réponse de Donald Trump à la mort de Jamal Khashoggi est à l'opposée de celle de l'Allemagne. Peu après l'aveu de la mort du journaliste, le président américain a déclaré qu'il ne voulait pas saboter la "formidable commande" d'armes en provenance d'Arabie saoudite et qu'une "forme de sanction" serait préférable.

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Trump a annoncé l'achat par l'Arabie saoudite d'armes américaines d'une valeur de 110 milliards de dollars en 2017, bien que des experts aient affirmé que ce chiffre avait été gonflé.

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