"Années de plomb": la justice française s'oppose à l'extradition de dix anciens militants italiens

Manifestation contre l'extradition de membres des Brigades rouges, le 1er avril 2022, Paris
Manifestation contre l'extradition de membres des Brigades rouges, le 1er avril 2022, Paris Tous droits réservés THOMAS SAMSON/AFP or licensors
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Par Euronews avec AFP
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La justice française s'oppose à l'extradition de dix anciens activistes italiens d'extrême gauche réclamés par l'Italie pour leur rôle pendant les "années de plomb".

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La justice française s'est opposée mercredi à l'extradition de dix anciens activistes italiens d'extrême gauche réclamés par l'Italie pour leur rôle pendant les "années de plomb", un dossier qui empoisonne les relations entre les deux pays depuis 40 ans.

A la surprise générale, après des mois de tractation, le président Emmanuel Macron avait décidé au printemps 2021 de favoriser la mise à exécution des demandes d'extradition des dix anciens militants - deux femmes et huit hommes - renouvelées un an auparavant par l'Italie.

Le "triomphe de la justice contre la raison d'Etat"

Mais la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris s'est appuyée sur le respect du droit à la vie privée et familiale ainsi que sur le respect du droit à un procès équitable, prévus par les articles 8 et 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme, pour prononcer un avis défavorable pour l'ensemble des dix anciens militants, âgés aujourd'hui de 61 à 78 ans, a indiqué la présidente.

La magistrate a écarté le complément d'information requis pour chacune des procédures par les deux avocats généraux au regard de la date des faits et de la durée de la procédure, a-t-elle ajouté.

L'annonce de cette décision commune a été accueillie par des témoignages étouffés d'intense émotion, les anciens militants tombant dans les bras de leurs proches présents dans la salle d'audience.

Les soutiens des anciens activistes rassemblés dans le couloir ont exulté quand l'information leur est parvenue.

"C'est le triomphe du droit des droits, de l'humanité et de la justice contre la raison d'Etat", s'est réjouie Me Irène Terrel qui défend sept des dix anciens militants, dont la médiatique Marina Petrella.

"J'avais peur (qu'Enzo Calvitti) finisse ses jours en prison", a réagi son avocat Me Jean-Louis Chalanset. Que le président Emmanuel Macron ait ordonné l'an dernier l'arrestation des dix anciens militants était "une trahison de la parole donnée et du manque total de connaissance de ce qu'est une amnistie", a considéré Me Chalanset.

360 morts durant les années de plomb

Les trois demandes d'extradition visant Sergio Tornaghi "ont toutes été rejetées par des cours d'appel en France", a rappelé son avocat Me Antoine Comte. "De mon point de vue, il faut que les Italiens puissent régler leur Histoire en face et examiner leur passé", a-t-il ajouté.

"Plusieurs générations de jeunes ont été impliquées dans les mouvements armés" en Italie à partir des années 1970, "ça a été une période terrible", a souligné Me Comte, appelant de ses vœux une loi d'amnistie dans le pays.

Dans le couloir où les avocats s'exprimaient devant la presse, une personne s'est avancée, sans s'identifier, avec un cliché en noir et blanc, barré du mot "Justice" en rouge, d'un homme à terre "tué par l'un des dix terroristes", a-t-elle lancé.

Les autorités italiennes réclamaient ces six anciens membres des Brigades rouges et quatre anciens militants de groupes armés condamnés pour des faits de "terrorisme" lors des "années de plomb".

Epoque de violentes luttes sociales, les "années de plomb", qui ont été marquées par une surenchère entre ultradroite et ultragauche composée d'une myriade de groupuscules révolutionnaires, dont certains comme les Brigades rouges, se solderont par plus de 360 morts attribués aux deux bords, des milliers de blessés, 10 000 arrestations et 5 000 condamnations.

Lors des audiences, qui se sont déroulées entre le 23 mars et le 15 juin, les anciens militants qui ont accepté de s'exprimer ont raconté aux magistrats leur vie en France depuis parfois quarante ans.

Tous se croyaient protégés par la doctrine Mitterrand, ont-il dit, eux-mêmes ou par la voix de leurs avocats. Le président socialiste François Mitterrand (1981-1995) avait pris l'engagement de ne pas extrader les anciens activistes ayant rompu avec leur passé.

La présence dans l'Hexagone d'anciens militants italiens a empoisonné les relations entre la France et l'Italie depuis les années 1980.

"C'est un moment historique de la relation franco-italienne" et "une prise de conscience par la France, après des années d'atermoiements, voire une certaine complaisance, du traumatisme des années de plomb", s'était félicité l'Elysée au moment des arrestations. Emmanuel Macron "a souhaité régler ce sujet. Ces interpellations clôturent totalement ce dossier", avait ajouté la présidence.

Dans un communiqué, le procureur général près la cour d'appel Rémy Heitz a indiqué que les décisions de la chambre de l'instruction étaient "susceptibles de faire l'objet d'un pourvoi en cassation".

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"Nous allons attendre de savoir si le parquet général forme un pourvoi en cassation" et de connaître les motivations dans le détail, a indiqué l'avocat de l'Etat italien, Me William Julié.

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