Scandale à la Fédération espagnole de football : pourquoi est-il si difficile d'évincer Luis Rubiales ?

Luis Rubiales, président de la fédération espagnole de football.
Luis Rubiales, président de la fédération espagnole de football. Tous droits réservés Euronews
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Par Laura Llach
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Cet article a été initialement publié en anglais

Le président de la Fédération espagnole de football Luis Rubiales s'accroche toujours à son poste malgré l'indignation suscitée par son baiser non consenti avec Jenni Hermoso. Pourquoi son éviction est-elle si difficile ?

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Depuis que Luis Rubiales a embrassé sans son consentement la joueuse espagnole Jenni Hermoso après la victoire en finale de la Coupe du monde de football féminin en Australie, tout s'écroule autour de lui.

Pourtant, la figure la plus puissante du football espagnol continue de s'accrocher à sa position, ternissant le succès de l'équipe féminine et menaçant de perpétuer les actes sexistes dans le football féminin.

Après une assemblée générale extraordinaire de la Fédération espagnole de football, au cours de laquelle beaucoup s'attendaient à ce que Rubiales démissionne, le président a affirmé être victime d'une chasse aux sorcières. "Je ne démissionnerai pas", a-t-il répété jusqu'à cinq fois sous les applaudissements de l'assistance, évoquant un "assassinat social".

Alors que sa mère a entamé une grève de la faim jusqu'à ce que Jenni Hermoso "dise la vérité", le monde du football féminin accuse la Fédération espagnole de misogynie.

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Luis Rubiales aux côtés des joueuses de l'équipe féminine espagnole de football après avoir été reçu par le Premier ministre Pedro Sanchez le 22 août à Madrid.Manu Fernandez/Copyright 2023 The AP. All rights reserved

Pourquoi est-il si difficile d'évincer Luis Rubiales ?

"Il ne démissionnera pas, ce serait une grande surprise s'il le faisait. Il va défendre son poste jusqu'à la mort", explique à Euronews Rafa Fernández, journaliste de sport pour la chaîne espagnole Onda Cero. Dès lors, les regards se tournent vers la fédération, dont les statuts lui permettent de prendre des décisions indépendantes.

Problème : sa structure interne rend difficile la prise de décision démocratique. Dirigée par une assemblée de 140 membres - en majorité  constituée par les 19 présidents régionaux -dont seulement six femmes.

Lors de la réunion extraordinaire de la fédération le 25 août dernier, la plupart des présidents régionaux ont applaudi avec enthousiasme lorsque Rubiales a annoncé qu'il ne démissionnerait pas.

Dictature féodale
Rafa Fernández
journaliste de sport pour la chaîne espagnole Onda Cero

Revirement quelques jours plus tard, lorsque ce collège publie une déclaration appelant unanimement à sa démission... sans toutefois activer de vote de défiance.

"Ils essaient de l'éviter à tout prix, c'est une dictature féodale où beaucoup d'argent circule. Ils fonctionnent comme une famille fermée dans laquelle ils veulent maintenir la structure interne", explique Rafa Fernández. "Les principaux acteurs du système veulent l'empêcher d'évoluer, d'autant que celui-ci leur rapporte".

Parmi eux, Rubiales, qui gagne 371 000 euros nets par an en tant que président de la fédération, auxquels s'ajoutent 250 000 euros versés par l'UEFA. L'organisation du football européen lui verse également une indemnité de logement de 3 000 euros par mois.

RFEF/AP
Lors de l'assemblée extraordinaire de la fédération le 25 août, Luis Rubiales avait défendu un geste «spontané et consenti», et dénoncé un "faux féminisme".RFEF/AP

Qui a le pouvoir de limoger Rubiales ?

La FIFA a pris la décision, au lendemain de la réunion extraordinaire de la fédération espagnole, de suspendre le dirigeant espagnol pour trois mois. "Cette décision l'a mis hors jeu", explique Rafa Fernández.

Dès lors, seul un vote de défiance de la fédération espagnole pourrait évincer le président. Selon le journaliste d'Onda Cero, une telle décision nécessiterait le soutien d'un tiers de l'assemblée pour être déposé, et des deux tiers, soit 94 voix, pour être adopté.

"Le problème, c'est qu'il faut un consensus et qu'en ce moment, il y a beaucoup de désaccords internes. Pour cela, ils ont besoin de temps et d'un candidat capable de créer un consensus", explique Rafa Fernández.

Pedro Rocha, président par intérim depuis la suspension de Rubiales, pourrait être une option, même s'il fait partie du noyau dur des partisans de Rubiales qui contrôlent toujours la fédération.

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Une manifestante tient un carton rouge sur lequel il est écrit "Un bisou et une expulsion", lors d'un rassemblement demandant la démission de Rubiales, le 28 août à Madrid.Andrea Comas/Copyright 2023 The AP. All rights reserved

"Les 19 présidents territoriaux sont responsables de la planification de la nouvelle feuille de route. Comment se fait-il que dans la crise la plus grave que traverse la fédération, ils soient les seuls à décider ? Parce que ce sont eux qui ont besoin de ce système pour survivre", ajoute-t-il.

Le couperet pourrait toutefois tomber depuis l'extérieur. Le Conseil supérieur des sports espagnol a transmis la plainte contre Rubiales au Tribunal administratif du sport, qui dispose de pouvoirs de sanction. En attendant que l'affaire soit résolue, le Conseil supérieur des sports peut suspendre Rubiales de ses fonctions. Dernière option possible : la voie pénale, qui dépend d'éventuelles futures démarches de Jenni Hermoso.

Qu'en est-il des éventuelles allégations d'agression sexuelle ?

La justice espagnole a ouvert une enquête sur Rubiales afin de déterminer s'il existe suffisamment de preuves pour l'inculper d'agression sexuelle. Puisque les faits se sont déroulés hors du territoire espagnol, Jenni Hermoso doit déposer une plainte officielle dans les 15 jours pour que l'affaire avance. Le délit est passible d'une peine d'emprisonnement d'un à quatre ans. 

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La joueuse Jennifer Hermoso lors de la finale de la Coupe du monde féminine de football entre l'Espagne et l'Angleterre au Stadium Australia à Sydney, le 20 août 2023.Rick Rycroft/Copyright 2023 The AP. All rights reserved

Le football français également en prise avec des affaires de sexisme

"Viens dîner chez moi ce soir", "Je préfère les blondes, alors si tu es partante...", "Tu es bien en chair, je te laisserais bien entrer dans mon lit", des textos qui auraient été adressés à des collaboratrices par Noël Le Graët, ex-président de la Fédération française de football.

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Tout a commencé lorsque le magazine So Foot a publié en septembre 2022 des extraits de messages sexuels prétendument envoyés par Noël Le Graët à des employées.

L'ancien homme fort du football français s'est retrouvé dans les cordes après qu'un audit dévastateur a révélé son exercice centralisé du pouvoir et son comportement inapproprié à l'égard des femmes.

Le ministère français des Sports a commandé une enquête à l'Inspection générale, qui a duré cinq mois. Le parquet de Paris s'est également saisi de l'affaire et a ouvert une enquête préliminaire pour harcèlement moral et sexuel.

Plusieurs cas d'abus sexuels, de chantage et de harcèlement, y compris sur des joueurs mineurs, impliquant des entraîneurs, des recruteurs, des agents et des hauts fonctionnaires travaillant dans l'élite du football français, ont depuis été révélés.

L'ancien président de la Fédération française a finalement démissionné en février de l'année dernière... avant de rebondir à la Fifa.

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