Comment la lutte d'INTERPOL contre le crime organisé a-t-elle évolué ?

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Par Sergio Cantone
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Alors que la guerre en Ukraine fait rage et que le crime organisé est de plus en plus mondialisé, nous évoquons avec le Secrétaire Général d'INTERPOL, Jürgen Stock, la complexité de la mission de cette organisation de coopération policière.

À mesure que le crime organisé prend une dimension planétaire, il se mêle de plus en plus aux sphères politiques et économiques mondiales. Ce qui signifie de nouveaux défis à relever pour les organisations internationales et les organismes d'application de la loi.

À l'occasion de la première Journée internationale de la coopération policière initiée par les Nations Unies, le 7 septembre 2023, nous avons rencontré le Secrétaire Général d'INTERPOL, Jürgen Stock.

Sergio Cantone, Euronews :

"Comment la coopération entre les forces de police et l'échange d'informations fonctionnent-ils depuis le début de la guerre en Ukraine ?"

Jürgen Stock, Secrétaire Général d'INTERPOL :

"Le mandat d'INTERPOL prévoit que, malgré les circonstances politiques, malgré la situation difficile, nous nous efforçons de faciliter au moins un niveau minimum ou le meilleur niveau possible de coopération policière internationale. Ainsi, s'il existe un conflit politique, nous devons bien sûr éviter que nos outils et nos services soient utilisés à des fins politiques et nous prenons ce rôle très au sérieux, c'est un premier point. Deuxièmement, nous disons que nous maintenons ouverts les canaux de la coopération policière internationale parce que, encore une fois, les criminels exploitent tous les types de crise que nous connaissons. En ce qui concerne le conflit entre la Russie et l'Ukraine, nous sommes très préoccupés par les armes qui sont livrées et qui, une fois qu'elles se seront tues, pourraient se retrouver sur d'autres théâtres d'opérations dans le monde. Nous l'avons vu dans les Balkans. Les exemples sont nombreux. Nous avons vu que des criminels tentent d'exploiter les victimes désespérées de ce conflit qui essaient de quitter le pays en quête de protection. Il s'agit de femmes, d'enfants."

Relation avec la Russie : "Un certain échange d'informations concernant la criminalité de droit commun"

Sergio Cantone :

"Pouvez-vous compter sur la coopération totale de la police et des services de sécurité russes : par exemple, en ce qui concerne l'accès aux bases de données, mais aussi quand il s'agit de donner des noms, voire des preuves de ces activités criminelles ?"

Jürgen Stock :

"INTERPOL fournit une plateforme pour la coopération policière internationale. Dans ce conflit, il y a encore une certaine circulation, si je puis dire, un certain échange d'informations concernant ce que nous appelons la criminalité de droit commun. Il ne s'agit donc pas de criminalité à motivation politique et c'est là qu'INTERPOL doit rester en retrait car nous ne sommes pas une organisation politique."

Sergio Cantone :

"Oui, c'est l'article 3 de son Statut."

Jürgen Stock :

"L'article 3 est pour nous, d'une importance capitale et notre Statut stipule que nous devons appliquer strictement cette règle. Mais il y a de la criminalité de droit commun, des criminels qui essaient d'exploiter cette crise et nous travaillons dur pour faire le lien entre nos pays membres dans la région, entre tous les pays..."

Cybercriminalité : "Les vulnérabilités sont considérées par les criminels comme des opportunités"

Sergio Cantone :

"Y compris parce que des organisations criminelles étaient déjà actives bien avant la guerre... Vous avez parlé, par exemple, de la 'Ndrangheta, la mafia italienne, qui disposait de réseaux très développés en Ukraine et en Russie. On a du mal à se dire qu'aujourd'hui, à cause de la guerre, ces connections aient été interrompues."

Jürgen Stock :

"Oui, vous avez raison. Nous devons comprendre le caractère flexible du crime organisé international. Il est en permanence à la recherche de nouvelles opportunités pour gagner de l'argent. Nous l'avons vu lors de la pandémie : il y a eu une sorte de pandémie parallèle de cybercriminalité où les criminels se sont très rapidement tournés vers les nouvelles vulnérabilités. Les failles dans le monde d'aujourd'hui - et malheureusement, il y en a beaucoup sur toute la planète - sont considérées par les criminels comme des opportunités. En ce moment même, nos bases de données sont interrogées toutes les secondes, plus de 280 fois car il est impossible de saisir la complexité de la criminalité d'aujourd'hui sans utiliser une plateforme centralisée où l'on recueille toutes les informations et notre ambition est de restituer des informations enrichies. Nous aidons donc à relier les points."

Sergio Cantone :

"Pouvez-vous vous fier à vos collègues russes ?"

Jürgen Stock :

"Ce qui est important, c'est que nous ne validons pas automatiquement les informations qui nous parviennent de nos pays membres. Cela s'applique à tous les pays membres et j'ai créé un énorme dispositif au Secrétariat à partir de 2016 qui vérifie chaque élément d'information, comme une demande de publication d'une notice rouge - ce fameux outil très efficace qui permet chaque année, d'arrêter des milliers de criminels dans le monde entier - et qui s'assure que cet outil et d'autres ne soient pas utilisés à mauvais escient, détournés à des fins politiques, à des fins militaires."

"5% des informations [qu'INTERPOL reçoit de la part de ses pays membres] nécessitent un examen approfondi"

Sergio Cantone :

"Certains crimes perpétrés par la criminalité organisée sont intrinsèquement liés aux aspects militaires, comme le trafic d'armes par exemple. Comment faire face à cette situation ?"

Jürgen Stock :

"5% des informations nécessitent un examen approfondi. Encore une fois, j'ai mis en place un processus complexe et une importante équipe d'experts qui s'en chargent. Si nous doutons sérieusement qu'une demande soit conforme à notre Statut, nous la refusons."

Sergio Cantone :

"Il y a des cas d'atteintes aux droits de l'homme, de maltraitance envers les enfants, de trafic d'êtres humains... Mais bon nombre de ces crimes font partie de ce qui est considéré comme des crimes de guerre. Comment gérez-vous cela ?"

Jürgen Stock :

"C'est un examen au cas par cas. Ce n'est jamais tout blanc ou tout noir. Nous avons besoin d'une bonne équipe qui évalue un cas sous différents angles. Nous devons également recueillir des informations auprès de diverses sources, non seulement auprès du pays demandeur, mais aussi auprès d'autres pays susceptibles d'avoir des informations sur une personne, par exemple si cette personne s'est vue accorder un statut de protection, un statut de réfugié. Dans ce cas, nous ne prenons aucune mesure et nous déclinons toute demande, par exemple, de notice rouge."

"Les outils de l'intelligence artificielle doivent être utilisés par les organismes d'application de la loi"

Sergio Cantone :

"L'intelligence artificielle est fortement liée au monde virtuel de l'internet et c'est déjà un monde extra-juridique où de nombreux crimes sont commis. Que demandez-vous aux acteurs étatiques, aux dirigeants mondiaux, aux institutions internationales ?"

Jürgen Stock :

"Tout d'abord, nous devons tous comprendre la complexité et la menace que ces types de crimes représentent pour la sécurité nationale. Par exemple, nous apportons notre contribution, concernant l'intelligence artificielle, sous la forme d'un produit que nous avons distribué très récemment : il s'agit d'une boîte à outils destinée aux organismes d'application de la loi qui vise à inciter à une utilisation responsable de l'intelligence artificielle. Nous ne pouvons pas dire à nos pays membres ce qu'ils doivent faire, mais nous voulons au moins leur fournir des conseils sur l'utilisation de ces outils, car ils doivent être utilisés ! Sans cela, nous ne pourrons pas faire face à ces big data, à cette masse d'informations que nous avons et INTERPOL s'en sert, par exemple, avec notre base de données sur l'exploitation sexuelle des enfants qui, depuis sa création, nous a permis de porter secours à plus de 30 000 victimes d'abus sexuels. Chaque photo, chaque image est une scène de crime."

"Aujourd'hui, le crime organisé est une entreprise criminelle mondiale"

Sergio Cantone :

"Ne pensez-vous pas qu'il existe un problème à la base puisque le lobby de l'Internet aux États-Unis a une forte emprise sur le gouvernement fédéral ?"

Jürgen Stock :

"Cela ne concerne pas qu'un pays ou un autre. Il s'agit d'une menace qui fait des dégâts dans le monde entier."

Sergio Cantone :

"Pour autant, la plupart de ces entreprises sont américaines..."

Jürgen Stock :

"Évidemment. Nous avons cette discussion depuis un moment, depuis peut-être dix ou quinze ans sur la sécurité des nouvelles technologies, la réglementation qui peut être nécessaire. Nous disons donc aux législateurs que la situation est très grave. Ces questions concernent la sécurité nationale dans le monde entier. Il n'appartient pas à INTERPOL de décider du type de conséquences politiques à tirer de cela, mais pourriez-vous imaginer un monde où INTERPOL n'existerait pas ? Cent ans après sa création, comment se passer d'une plateforme où les pays membres peuvent partager des informations malgré les turbulences politiques, y compris quand les relations diplomatiques n'existent pas ou quand les pays sont en conflit ? Et c'est INTERPOL qui indique aux pays membres dans quelle mesure un groupe criminel international a étendu ses tentacules sur différents continents. C'est là, la véritable dimension du crime organisé aujourd'hui. Il ne se contente pas de franchir des frontières, il agit sur plusieurs continents. C'est une entreprise criminelle mondialisée."

Journaliste • Sergio Cantone

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