L'Allemagne opère un tournant dans sa politique de sécurité

Des membres de l'armée allemande assistent à une cérémonie de défilé militaire marquant l'anniversaire de l'armée lituanienne.
Des membres de l'armée allemande assistent à une cérémonie de défilé militaire marquant l'anniversaire de l'armée lituanienne. Tous droits réservés AP Photo/Mindaugas Kulbis
Tous droits réservés AP Photo/Mindaugas Kulbis
Par Andrew Naughtie
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Cet article a été initialement publié en anglais

Le retour d'un conflit armé de grande ampleur en Europe a amené l'Allemagne à revoir radicalement sa politique de sécurité.

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Alors que la Russie et l'Ukraine s'affrontent toujours depuis près de deux ans et qu'un conflit entre Israël et le Hamas est en cours, l'Union européenne et l'OTAN se frayent un chemin dans un nouvel ordre mondial en matière de sécurité. 

Lorsque la guerre en Ukraine a éclaté, l'Allemagne s'est d'abord montrée réticente à l'idée d'offrir à Kiev des fournitures militaires directes. Mais peu après l'invasion russe, le chancelier allemand, Olaf Scholz, a reformulé, en termes dramatiques, l'obligation morale de l'Allemagne d'aider à résister à l'agression russe.

Dans son discours intitulé "Zeitenzwende" ou "tournant", prononcé devant le Bundestag, le parlement allemand, le chancelier a décrit la "guerre de Vladimir Poutine" en Ukraine comme un risque de retour aux jours sombres de l'Europe avant les années 1940, faisant allusion à l'histoire de l'Allemagne, alors qu'il pressait les parlementaires de soutenir l'envoi d'armes et de fournitures à un allié non membre de l'UE et non membre de l'OTAN.

"Beaucoup d'entre nous se souviennent encore des récits de guerre de leurs parents ou de leurs grands-parents", déclare-t-il, "et pour les plus jeunes, c'est presque inconcevable : une guerre en Europe. Nombre d'entre eux expriment leur horreur".

"La question au cœur de cette affaire est de savoir si le pouvoir peut l'emporter sur la loi. Permettons-nous à Vladimir Poutine de revenir au dix-neuvième siècle et à l'ère des grandes puissances ? Ou bien avons-nous la capacité de tenir en échec les bellicistes comme Vladimir Poutine ? Pour cela, nous devons avoir notre propre force".

Tournant majeur

Ce discours a marqué un tournant majeur, non seulement dans le conflit ukrainien, mais aussi dans la manière dont le gouvernement allemand discute de la stratégie militaire, qui, compte tenu de l'histoire du pays jusqu'en 1945, a longtemps été un sujet difficile. Jusqu'à ces dernières années, il suffisait de contribuer à la sécurité mondiale par l'intermédiaire de l'OTAN plutôt que d'augmenter unilatéralement la puissance militaire allemande pour éviter de rouvrir des discussions embarrassantes sur ce qu'une Allemagne "forte" pourrait signifier pour l'Europe.

Le chancelier allemand, Olaf Scholz visite la démonstration de capacité du Groupe de Disposition Territoriale, à l'aéroport militaire de Cologne-Wahn, le 23 octobre 2023
Le chancelier allemand, Olaf Scholz visite la démonstration de capacité du Groupe de Disposition Territoriale, à l'aéroport militaire de Cologne-Wahn, le 23 octobre 2023AP Photo

Depuis le discours de la Zeitenzwende, les contributions de l'Allemagne à l'Ukraine ont parfois été interrompues, Kiev et d'autres partenaires européens, se plaignant que Berlin n'allait pas assez vite pour tenir ses promesses.

Mais alors que les Ukrainiens s'efforcent de repousser la Russie sur leur front crucial du sud-est, l'Allemagne tente de faire avancer les choses. Le ministre de la défense allemand, Boris Pistorius, parle désormais de la position de défense de l'Allemagne en des termes qui n'ont jamais été entendus depuis la réunification du pays en 1990.

Dans un article paru récemment dans le journal, "Tagesspiel", Boris Pistorius a appelé à des "changements fondamentaux" au sein de l'armée allemande, la Bundeswehr, qui, selon lui, a besoin d'une réforme structurelle majeure "pour être efficace et apte à la guerre à l'avenir".

Cette formulation est radicalement différente de la manière relativement timide dont les gouvernements allemands ont abordé la question de la puissance militaire au cours des dernières décennies. Dans son dernier paragraphe, Boris Pistorius s'est exprimé en des termes encore plus unilatéraux qui auront mis mal à l'aise de nombreux penseurs et décideurs politiques à Berlin.

"Nous avons besoin d'un changement de mentalité, non seulement au sein de la Bundeswehr, mais aussi dans la politique et la société", affirme-t-il. "Il en va de la sécurité de notre pays, et donc des fondements de la coexistence sociale, du progrès et de la croissance économique. En tant qu'État et société, nous devons être capables de nous défendre et d'être résistants afin de pouvoir continuer à vivre dans la paix, la liberté et la sécurité à l'avenir".

Prêts à se battre

Selon Minna Ålander, experte allemande en politique de sécurité, basée à l'Institut finlandais des affaires internationales, les propos de Boris Pistorius ont suscité un certain étonnement, ainsi qu'un rejet de la part de l'aile gauche de son parti, les sociaux-démocrates. Nombre de ses collègues partagent une profonde aversion pour la normalisation de la guerre et sont alarmés par le fait que Boris Pistorius soit prêt à parler en ces termes.

Minna Ålander indique également, à Euronews, que les problèmes structurels auxquels est confrontée la Bundeswehr sont tout simplement trop graves pour que le gouvernement puisse les éviter, compte tenu des promesses qu'il a déjà faites.

"Il y a eu un sentiment de perte d'élan après l'été, mais l'Allemagne est soumise à une forte pression pour tenir sa promesse d'envoyer une brigade de 4 000 hommes en Lituanie, comme l'a promis Boris Pistorius", affirme-t-elle. 

Le ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius, assis sur un char Leopard 2 lors d'une visite au bataillon de chars 203 de la Bundeswehr à Augustdorf, en Allemagne
Le ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius, assis sur un char Leopard 2 lors d'une visite au bataillon de chars 203 de la Bundeswehr à Augustdorf, en AllemagneMartin Meissner/Copyright 2023 The AP. All rights reserved.

"Actuellement, la Bundeswehr n'est pas en mesure de la mettre en place et il faudra probablement plusieurs années avant que la brigade ne soit entièrement équipée et dotée en personnel. Ce n'est pas une bonne chose pour un pays de la taille de l'Allemagne", ajoute-t-elle. 

"C'est aussi devenu, dans une certaine mesure, une question de prestige. En outre, l'Allemagne a fait des promesses très élevées en matière de contingents - 30 000 soldats, 85 navires et avions à réaction - et tout cela représente donc un énorme défi compte tenu de l'état actuel de l'armée allemande".

"Il ne suffit pas d'injecter de l'argent dans l'armée allemande, si les problèmes structurels (en particulier l'inefficacité) ne sont pas résolus", conclut Minna Ålander. 

Le temps de payer

Bien entendu, il ne s'agit pas seulement de l'Allemagne elle-même.

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L'exigence de dépenses de l'OTAN, c'est-à-dire l'obligation pour tous les membres du traité de consacrer au moins 2 % de leur PIB annuel à la défense, plane sur le changement de stratégie.

Historiquement, l'Allemagne n'a pas respecté cette exigence, et Olaf Scholz a fait allusion à y remédier dans son discours au Parlement allemand, mais cela n'apparaît pas encore dans un budget à long terme. Olaf Scholz vient de réaffirmer cette promesse, affirmant que l'Allemagne commencera à atteindre l'objectif "dans les années 20 et 30" - un engagement qui pourrait contribuer à prévenir un risque majeur pour la légitimité de l'alliance.

L'insuffisance des dépenses des membres européens de l'OTAN a fait l'objet d'une fixation de la part de Donald Trump, qui, en tant que président des États-Unis, s'est souvent plaint que l'Allemagne en particulier profitait des dépenses de défense des États-Unis et a même menacé de retirer des milliers de soldats stationnés dans ce pays.

En 2020, Donald Trump déclareà Fox News: "ils font fortune sur le dos des troupes, ils construisent des villes autour de nos troupes. Nous allons d'abord nous enrichir".

Olaf Scholz rencontre Donald et Melania Trump lors du sommet du G20 à Hambourg, 2017
Olaf Scholz rencontre Donald et Melania Trump lors du sommet du G20 à Hambourg, 2017AFP

Alors que Donald Trump brigue un nouveau mandat - et qu'il obtient de bons résultats dans les sondages face à Joe Biden - d'anciens conseillers devenus critiques ont averti que s'il était réélu, il pourrait bien essayer de mettre à exécution ses précédentes menaces de retirer complètement les États-Unis de l'OTAN.

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Et si l'Allemagne, deuxième économie de l'OTAN, n'était toujours pas en mesure de remplir ses obligations en janvier 2025, date à laquelle DonaldTrump pourrait avoir été réinvesti comme Président des Etats-Unis, un retrait de l'OTAN serait plus facile à faire accepter au parti républicain, de plus en plus isolationniste.

Le départ des États-Unis de l'OTAN déstabiliserait l'ordre sécuritaire européen à un moment incroyablement dangereux. Et comme l'explique Minna Ålander, à Euronews, ce n'est pas seulement le conflit en Ukraine qui a fait prendre conscience de la gravité de la situation.

"Je pense que l'attaque du Hamas et la guerre de Gaza ont eu un impact énorme sur la société et la politique allemandes. Le passage à une rhétorique de droite a été instantané, en particulier sur la question de la migration", affirme-t-elle. 

"Mais il faut également souligner que nous devrons probablement nous préparer à d'autres conflits susceptibles d'éclater dans le voisinage de l'Europe, étant donné que l'ancien ordre sécuritaire s'est effondré".

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