Alors que les manifestations contre l'AfD s'enchaînent en Allemagne, certains appellent à une dissolution du parti. Des précédents existent en Europe.
“Plus jamais ça”, “Dehors les Nazis”, “Le racisme n’est pas une alternative” : en Allemagne, les manifestants défilent contre l’extrême droite par centaines de milliers depuis la mi-janvier.
A l’origine de leur colère, les récentes révélations du média d’investigation allemand Correctiv.
En novembre 2023, de hauts responsables de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), des néonazis et des chefs d’entreprise, se sont discrètement réunis dans un hôtel à Potsdam, près de Berlin.
Devant eux, Martin Sellner, une figure de l’extrême droite autrichienne, a présenté son projet de “remigration” des étrangers et des Allemands d’origine étrangères vers l’Afrique du Nord.
Cette réunion se serait tenue à quelques kilomètres de la villa de la "Conférence de Wannsee", dans laquelle les nazis avaient planifié la "solution finale", soit l'extermination systématique des Juifs, en 1942.
Aussi, le député conservateur Marco Wanderwitz (CDU) veut convaincre le Bundestag de lancer une procédure de dissolution de l'AfD.
Le député doit convaincre 5% des membres du Bundestag pour que sa proposition de loi soit examinée. Elle devra ensuite être approuvée à la majorité au Bundestag pour être adoptée. Le texte requiert ensuite une majorité des deux tiers au tribunal constitutionnel de Karlsruhe.
L'AfD n'a pas donné suite à nos demandes d'interview.
Une procédure compliquée
“Les activités des partis politiques sont partout garanties par le principe de la liberté d’association. Il est toutefois possible de sanctionner les partis politiques qui ne respectent pas un certain nombre de règles par des restrictions et des sanctions”, explique Alberto Alemanno, professeur de droit européen à HEC Paris.
Cette décision appartient à un "organe judiciaire”, qui a tendance à être “la Cour constitutionnelle”, car “il ne peut y avoir de dissolution d’un parti politique sans qu’il ait en premier lieu été déclaré inconstitutionnel”, détaille Alberto Alemanno.
Des précédents européens
Des précédents existent en Europe.
A contrario, l’AfD gagne du terrain en Allemagne.
Le parti galope notamment en tête des intentions de vote aux élections régionales qui auront lieu dans trois Länder de l’est de l’Allemagne (Thuringe, Brandebourg et Saxe), selon les sondages.
Plus récemment, le parti néonazi grec Aube dorée a été qualifié d’”organisation criminelle” par la cour pénale d’Athènes en 2020.
Toutefois, à la différence de l’AfD, Aube dorée était un parti “hautement centralisé” autour d’un “chef fort”, explique Cas Mudde.
“L’AfD, comme le pays lui-même, est fédéral. Une branche individuelle du parti a beaucoup d’autonomie. Certaines branches de l’AfD sont beaucoup plus extrémistes que d’autres et surveillées par les services de renseignement. Mais d’autres branches ainsi que les dirigeants nationaux ne sont pas extrémistes”, considère Cas Mudde, spécialiste de l’extrême droite et des populismes.
Un pari risqué
Bannir les partis d’extrême droite au nom de la menace qu’ils représentent pour l’ordre démocratique serait un pari risqué voire voué à l’échec, selon les experts.
De plus, dissoudre l’AfD reviendrait à “traiter les symptômes plutôt que chercher un remède” aux problèmes actuels, estime Claire Burchett.
Un autre risque serait un échec de la procédure. Une affaire classée par le tribunal serait de facto interprétée comme une légitimation des idées du parti par certains, prévient-elle.
Les partisans pourraient prétendre “ce sont juste les partis politiques qui essaient de nous barrer la route, nous ne sommes pas antidémocratiques”, prévient Claire Burchett.
Pour Cas Mudde, bannir un parti ne permet pas “d'éliminer ou d’affaiblir le soutien à ses idées”.
Sanctions alternatives
Julian Hörner, conférencier à l’Université de Birmingham, estime que des sanctions individuelles contre certains membres clé sont plus simples que des mesures collectives visant tout un parti.
En Allemagne, une pétition appelle ainsi à l’abrogation de certains droits fondamentaux de Björn Höcke, co-président de l'AfD dans le Land de Thuringe.
La “suppression des financements publics” d’un parti peut également être envisagée, détaille Claire Burchett.
De son côté, Cas Mudde ne voit pas d’entre-deux : “soit le parti est inconstitutionnel et il est interdit, soit il ne l’est pas, et vous lui donnez tous ses droits en vertu de la Constitution”.
Aussi, aux Pays-Bas, dans les années 80, “le gouvernement n’était pas disposé à interdire les partis de droite radicale, mais il a retiré le droit de manifester. C’était mal”, considère Cas Mudde.
Pas de solution miracle
Aussi, plutôt que de chercher à interdire les partis d’extrême droite, les politiques devraient peut-être plutôt les affronter sur l’échiquier politique en répondant aux préoccupations des électeurs.
“La solution ne consiste donc pas à couper la tête du serpent. Il faut s’attaquer au terrain fertile de ces partis”, prévient Cas Mudde.