Le Film de la semaine : L'Enlèvement de Marco Bellocchio. L'Italie à la botte du Pape

L'enlèvement de Marco Bellocchio
L'enlèvement de Marco Bellocchio Tous droits réservés Ad Vitam Distribution
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Par Frédéric Ponsard
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Avec L'Enlèvement, le Maestro italien Marco Bellocchio signe à 82 ans l'un de ses films les plus puissants, en dénonçant le rapt d'un enfant juif par le Pape, quelques années avant la naissance de l'Italie au XIXème siècle.

L’Enlèvement (Rapito), Marco Bellocchio

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Italie, France, Allemagne (2h15)
Avec Paolo Pierobon, Fausto Russo, Barbara Ronchi, Enea Sal, Leonardo Maltese.

Bellocchio ou la mémoire de l'Italie

Après la sortie du dernier Ken Loach, "The Old Oak", 87 ans et du "Garçon et du Héron" d’Hayao Miyazaki, 82 ans, c’est un autre vétéran poids lourd du cinéma mondial, Marco Bellocchio, 83 ans, qui nous livre avec "L’Enlèvement", un film de la maturité et de la maîtrise, autant narratives qu’esthétiques. Le Maestro italien continue de revisiter l’histoire officielle italienne en livrant ici un film haletant et déchirant qui revient sur un épisode depuis longtemps oublié mais qui avait défrayé la chronique en 1858, quelques années avant le "Risogimento" qui vit la naissance de l’Italie moderne : l’enlèvement forcé à sa famille du jeune Edgardo Mortara, 7 ans, sous prétexte qu’il aurait été baptisé en secret par sa nourrice étant bébé et que, dès lors, il soit devenu chrétien et doive à ce titre être retiré littérallement à sa famille juive pour être protégé par l’Eglise, toute-puissante à l’époque. La famille Mortara va tout faire pour faire revenir l’institution sur sa décision, en vain, et ce fait, pas si divers, provoquera un scandale dans la presse italienne mais aussi dans toute l’Europe et dans le monde entier.

Goliath terrasse David

Le film commence dans les ténèbres, d’où jaillissent des hommes en armes. Le titre original italien "Rapito" est beaucoup plus près de la réalité de l’histoire du film, celle d’un rapt brutal et inattendu. Un titre réhaussé par l’allitération "Rapito Rapido" qui vient immédiatement à l’esprit, rajoutant en substance la violence foudroyante avec laquelle cet enfant va être arraché à jamais en l’instant d’une nuit à ses parents. S’ensuivra pour la famille une suite d’espoirs déçus, d’humiliation latente et d’antisémitisme rampant face à un bloc idéologique inaltérable, qui ne peut remettre en cause ne serait-ce que l’un de ses dogmes les plus absurdes (un signe de croix posé sur le front avec un doigt mouillé suffit à faire d’un homme un catholique pour l’éternité), et préféré commettre un crime au nom d’un principe absolu et inaliénable. La première partie du film dissèque ce combat de David contre Goliath, mais qui tournera en faveur de l’absolutisme et des puissants cléricaux, Pape en tête. Marco Bellocchio n’est pas un moraliste, il l’a montré dans la plupart de ses films récents ("Le Traître") ou plus anciens ("Le Diable au corps"), mais bien un témoin de l’Histoire avec un grand H, celle qui broie en silence les individus.

Pie IX, cet ogre qui se voyait patriarche

Tout l’intérêt du film réside aussi dans le basculement qui s’opère progressivement au cours du film. De l’histoire d’une famille déchirée, on passe au portrait en clair-obscur aux nombreuses zones d’ombres d’un enfant qui va grandir avec le doute et l’écartèlement originel de ses racines. Est-il l’enfant juif spolié de ses parents et de son héritage cultuel, ou bien est-ce au contraire un enfant sauvé justement de l’impiété et accueilli dans la sécurité de la foi dominante ? Le cinéaste ne se place pas en artiste rédempteur ni en donneur de leçon, et c’est tout le miracle du film : montrer sans juger, en laissant cette part au doute et à l’indicible. Embrigadé puis prosélyte, frappé du syndrome de Stockholm qui le fait se faire ordonner prêtre sous le nom de… Pie, la vie d’Edgardo restera un mystère. Mais l’ombre tutélaire de Pie IX est plus celle d’un ogre que d’un patriarche, à une période charnière qui marquera dix ans plus tard la fin des Etats pontificaux (qui deviendront la minuscule cité du Vatican) et du pouvoir temporel des Papes, événement sur lequel se clôt le film. Désormais, l’Italie ne sera plus à la botte des ecclésiastiques, du moins au regard de la loi des hommes. 

Un film donc éminemment politique et contemporain sur toutes les formes de totalitarisme de la pensée qui font confondre la religion et la politique, la parole de Dieu et l'interprétation des hommes de pouvoir qui n'ont de cesse d'en appeler à leurs croyances pour servir leurs intérêts et leurs passions. Un film historique, mais on ne peut plus d'actualité.

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