Pourquoi les voyages en train sont-ils impopulaires en Europe ?

Un train à grande vitesse traverse la France
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Par María Elorza Saralegui, Helena Rodríguez & Alixan Lavorel
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Les trains européens ont la réputation d'être chers et de circuler en retard, et une réticence à coopérer freine le transport ferroviaire sur le continent.

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Acheter un billet de train pour traverser l'Europe peut être un cauchemar coûteux.

Tous les clients qui ont acheté un billet de train transfrontalier connaissent ce dilemme : le prix élevé et le long voyage en valent-ils la peine ? Surtout quand l'avion semble tellement plus rapide et moins cher.

Dans ces conditions, il n'est pas surprenant que le train ne représente que 7 % de la distance parcourue par voie terrestre dans l'UE. Ce qui est surprenant, en revanche, c'est que la perception du public est fausse : les billets de train ne sont pas plus chers que les billets d'avion.

En fait, "on peut économiser en moyenne 37 % en prenant le train plutôt que l'avion", selon une étude récente de l'Union internationale des chemins de fer.

Alors pourquoi le train n'est-il pas plus populaire en Europe ?

Bien que la situation soit complexe, elle peut se résumer à trois facteurs principaux.

1. Un réseau fragmenté, entravé par les intérêts nationaux

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Un train régional à Strasbourg, FranceCanva

Au lieu d'être un réseau bien huilé, le réseau ferroviaire européen est une "mosaïque inefficace de lignes nationales", explique Josef Doppelbauer, directeur exécutif de l'Agence ferroviaire européenne (ERA).

Cette structure basée sur les nations signifie que les compagnies ferroviaires nationales sont plus intéressées par les marchés nationaux que par les connexions internationales.

"Disons qu'ici, en France, à la SNCF, lorsque vous dites que vous voulez investir davantage dans le transfrontalier, la réponse habituelle est que 95 % du trafic est national", explique M. Doppelbauer.

"Cela incite les entreprises à fermer leurs marchés les unes contre les autres au lieu de coopérer, alors qu'il existe 'un énorme potentiel'".

L'UE a tenté de briser les monopoles nationaux et de favoriser la concurrence sur le marché en mettant en œuvre une séparation dite "roue et voie".

Cela signifie séparer l'infrastructure ferroviaire des opérateurs de trains. Si cette méthode a permis d'apaiser les craintes en matière de concurrence, elle présente également des inconvénients : "L'inconvénient de cette séparation est que nous avons perdu en efficacité et augmenté les coûts de transaction", explique Alberto Mazzola, directeur de la Communauté européenne des chemins de fer et des sociétés d'infrastructure (CER).

Une conséquence, dit-il, qui est particulièrement visible le long des voies ferrées les plus fréquentées : "Plus le trafic est élevé, plus il est difficile à gérer s'il n'y a pas d'infrastructures intégrées."

2. Un manque historique de coordination transfrontalière

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Un train qui traverse l'EuropeCanva

En 2018, la Cour des comptes européenne a pointé du doigt le problème de l'opacité des redevances d'accès aux voies, qui sont fixées par les gestionnaires d'infrastructures et diffèrent selon les États membres.

Selon Doppelbauer, ce n'est que l'une des nombreuses conséquences du manque de normalisation technique. Les entreprises nationales sont connues pour commander des trains qui ne sont compatibles qu'avec leurs réseaux ferroviaires nationaux. Cela oblige souvent les trains transfrontaliers à changer de locomotive lorsqu'ils entrent dans un autre pays, ce qui augmente la durée des trajets pour les clients.

Un autre exemple est l'absence d'un système de contrôle et de signalisation uniforme (ERTMS). L'ERA indique avoir réduit 14 000 règles nationales à moins d'une centaine depuis 2016, mais les efforts se sont récemment arrêtés. Il est plus difficile de trouver un terrain d'entente et d'unifier les lois nationales restantes, selon Mme Doppelbauer.

Le manque d'unification va au-delà du monde physique et atteint également les mondes numériques des sites d'achat de billets. Bien que certains sites web privés facilitent déjà la vente de billets de train transfrontaliers, les clients doivent généralement passer en revue les différents sites web ferroviaires nationaux.

Les droits des clients sont les plus importants
Lorelei Limousine
Responsable de la campagne européenne sur le climat et les transports à Greenpeace

Même après l'achat, les passagers voyageant sur différentes compagnies nationales ne sont pas assurés de leur correspondance si le premier train d'une autre compagnie ferroviaire a du retard.

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Lorsqu'il s'agit d'améliorer le service, "les droits des clients sont les plus importants", déclare Lorelei Limousine, responsable de la campagne européenne sur le climat et les transports à Greenpeace.

3. Des investissements inefficaces et "injustes"

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Un train circule sur une voie ferrée allemandeCanva

Malgré des décennies de sous-investissement, le système ferroviaire européen a connu ces deux dernières années un changement politique, accompagné d'une augmentation du financement des infrastructures ferroviaires. "Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, des pays comme l'Allemagne investissent davantage dans le rail que dans la route", affirme M. Mazzola.

Les investissements de l'UE ont toutefois suscité quelques critiques de la part de la Cour des comptes européenne.

Les liaisons ferroviaires à grande vitesse sont un bon exemple de la complexité des investissements européens.

La CER a placé ses espoirs dans la création de liaisons à grande vitesse entre toutes les grandes villes européennes. Elle espère que la réduction de la durée des trajets incitera davantage de personnes à voyager en train.

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Pourtant, comme l'ont souligné les auditeurs de l'UE dans leur rapport spécial de 2018, "le rapport coût-efficacité est en jeu, car les lignes à grande vitesse ne sont pas nécessaires partout".

Les options alternatives, comme l'amélioration des lignes déjà existantes, "[ne sont] pas souvent prises en considération comme il se doit." Et malgré une reprise du financement, le défi futur est de trouver "un investissement durable", selon Mazzola.

Les compagnies de chemin de fer doivent également faire face à une fiscalité lourde, la TVA étant encore payée sur de nombreux billets de train transfrontaliers. Cette situation est particulièrement "injuste", selon M. Doppelbauer, car d'autres secteurs du transport, notamment l'industrie aéronautique, bénéficient d'une exonération de cette taxe et d'autres taxes européennes telles que la taxe sur le kérosène.

Les militants et les représentants des chemins de fer attendent désormais une nouvelle réforme fiscale. Rédigée en 2021, la réforme proposée fixerait un taux d'imposition minimum à l'échelle de l'UE pour les carburants d'aviation polluants.

M. Doppelbauer espère que les nouvelles recettes fiscales pourront être affectées à la subvention des voyages en train. Les activistes partagent ces espoirs, mais Mme Limousine, militante de Greenpeace, se montre prudente : "Par le passé, les gouvernements de l'UE ont vraiment été réticents à s'attaquer aux émissions du secteur des transports", dit-elle.

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Le vote sur la réforme est prévu pour juin 2022.

Changeons-nous enfin de voie ?

Fin 2021, et dans le but de freiner les émissions de carbone, la Commission européenne a présenté un plan d'action visant à stimuler les trajets ferroviaires des passagers et a proposé des changements au réseau transeuropéen de transport (RTE-T) pour réduire le temps de trajet.

"Le plan d'action", dit Limousine, "semble prometteur mais nous devons attendre de voir les propositions législatives concrètes pour voir s'il y a un réel changement".

Dans le cadre de ce plan d'action, l'Union européenne travaille sur une plateforme qui compilerait les horaires, les tarifs et l'achat de billets pour les déplacements en Europe.

L'intérêt des citoyens est certainement là. La majorité de la population européenne serait favorable à l'interdiction des vols de courte distance au niveau de l'UE et à l'utilisation du train à la place, comme le demandent de nombreux groupes environnementaux.

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Selon un rapport d'OBC Transeuropa commandé par Greenpeace, un tiers des vols court-courriers dans l'UE ont une alternative ferroviaire de moins de six heures. Leur interdiction permettrait d'économiser 3,5 millions de tonnes de CO2e par an.

Les compagnies ferroviaires nationales ont été sollicitées pour des commentaires mais n'ont pas répondu.

Article traduit de l'anglais

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