Crise migratoire : "Plus personne ne croit à une solution européenne"

Crise migratoire : "Plus personne ne croit à une solution européenne"
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Par Sophie Claudet
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Raphael Bossong, expert des migrations en Europe, évoque la nouvelle politique migratoire plus restrictive de l'Allemagne. Il souligne que tous les Länder ne soutiennent pas ce positionnement fédéral plus dur et appelle les pays européens à se coordonner en matière d'immigration.

Dans le cadre d'une édition d'Insiders consacrée au sort des migrants en Allemagne, nous faisons le point sur le durcissement des procédures d'asile opéré dans ce pays pourtant initiateur d'une politique d'accueil généreuse à l'égard des réfugiés en 2015. Aujourd'hui, le contexte a changé, notamment avec l'accord conclu ces dernières semaines entre Angela Merkel et ses alliés conservateurs bavarois. 

Pour aller plus loin sur ce sujet, nous interrogeons un spécialiste des politiques migratoires en Europe, Raphael Bossong, chercheur à l'Institut allemand des affaires internationales et de sécurité (SWP). Il estime que la nouvelle vision restrictive de l'immigration au niveau fédéral n'est pas généralisée à tous les Länder allemands. Il évoque par ailleurs, les défis à relever pour l'Union européenne après l'accord trouvé fin juin par les Européens sur les migrants.

Sophie Claudet, euronews :

"Les médias évoquent le fait que d'autres régions, d'autres Länder en Allemagne pourraient faire comme la Bavière, à savoir durcir leurs règles en matière de migration, créer des centres pour demandeurs d'asile et une police locale... Pouvez-vous nous le confirmer ?"

Raphael Bossong, chercheur à l'Institut allemand des affaires internationales et de sécurité (SWP) :

_"La situation est complexe : il y a 16 Länder en Allemagne et ils ont chacun un profil différent. Certains Länder gouvernés par les conservateurs sont proches de la position bavaroise, en particulier dans l'Est : la Saxe, la Saxe-Anhalt, mais ce n'est pas le cas de tous.
_

Donc il y a des signes qui montrent que certaines régions vont dans cette direction. Mais je ne dirais pas que c'est une tendance homogène. Par exemple, l'un des points clés de ce nouveau plan général sur l'immigration, c'est ce projet crucial du ministre de l'Intérieur issu de la CSU de créer des centres de transit ou 'centres de traitement' pour expulser les migrants. Et jusqu'à maintenant, 12 des 16 Länder n'adhérent pas à cette politique."

Le spectre de l'AfD

Sophie Claudet :

_"On sait qu'il y a aussi des élections régionales en Bavière prochainement. C'est ce qui explique probablement pourquoi les conservateurs de la CSU ont mis la pression pour obtenir ces règles plus strictes en matière d'immigration. Ils ont peur d'une éventuelle percée de l'AfD, le parti d'extrême-droite, lors de ce scrutin. _Justement, parlons de l'AfD. Ce parti continue-t-il de gagner du terrain au niveau fédéral, comme il l'a fait il y a quelques années ? Quelle est sa portée ? En particulier sur les questions d'immigration."

Raphael Bossong :

"Malheureusement, ce parti conserve un large soutien et il a gagné des points supplémentaires dans les sondages d'opinion, dans les résultats d'élections. Donc suivant les sondages, entre 15 et 20% d'Allemands le soutiennent. Ce qui est tout-à-fait significatif, mais peut-être pas totalement exceptionnel quand on regarde la situation dans d'autres pays européens comme les Pays-Bas, l'Autriche, etc. Mais c'est bien le potentiel qu'il a."

Sophie Claudet :

"Ce que fait l'Allemagne - ou la Bavière - en matière d'immigration n'est pas si différent de ce que font d'autres pays européens. Ce qui est frappant, c'est qu'on dirait que les pays européens gèrent ces questions chacun de leur côté. Un accord a été conclu en juin au niveau européen, mais quand il s'agit d'immigration, les intérêts nationaux semblent primer."

Raphael Bossong :

"Le sommet européen fin juin a abouti à un compromis très superficiel, uniquement inscrit sur le papier. Et on peut se poser beaucoup de questions sur la manière dont il sera réellement appliqué. Donc le problème sur le long terme, c'est que plus personne ne croit dans l'engagement mutuel, dans le fait que tout le monde appliquera réellement une solution européenne et qu'il y aura un compromis réel et pas seulement sur le papier.

Donc oui, il y a cette tentation de dire : 'On doit gérer les choses chacun de notre côté'. Et des pays comme la Hongrie qui suivent cette ligne depuis longtemps crient victoire aujourd'hui en disant : 'On a gagné, tout le monde adopte notre approche' et malheureusement, ils ont raison sur ce point jusqu'à présent. J'espère que nous allons sortir de cette situation. Mais aujourd'hui, de nombreux pays ont effectivement tendance à dire : 'D'abord, on doit contrôler nos frontières, on doit durcir notre législation et ensuite, comme ça, on deviendra une destination moins attirante pour les migrants."

"On a besoin de 5 ou 6 Etats membres pour mettre en place les centres contrôlés"

Sophie Claudet :

"Dans cet accord européen conclu en juin sur les migrants, y a-t-il malgré tout des choses qui vont fonctionner ?"

Raphael Bossong :

"Il y a eu deux propositions principales : l'une, c'était de créer des centres extérieurs dans les pays voisins de l'Europe. Je n'y crois pas. Aucun pays voisin n'est prêt à le faire.

L'autre proposition, c'était de mettre en place un nouveau système pour redistribuer en Europe, l'accueil des migrants secourus dans les eaux européennes - ce sont les "centres contrôlés". Et c'est ce que l'Italie veut vraiment obtenir et le système devrait voir le jour très prochainement.

La Commission européenne a présenté une proposition et aujourd'hui, on a besoin d'une coalition de cinq ou six Etats membres pour mettre en place ce système sur la base du volontariat. Cela ne semble pas évident à obtenir pour le moment, mais j'espère que la volonté politique sera là pour qu'on puisse vraiment éviter une nouvelle crise majeure à l'automne, cette prochaine étape est essentielle."

Sophie Claudet :

"Donc certaines choses peuvent et doivent être résolues au niveau européen ?"

Raphael Bossong :

"Oui, et on doit vraiment mettre l'été à profit pour aboutir au moins à une coalition de cinq ou six Etats qui prennent en charge ces migrants - et d'ailleurs, ils ne sont plus tant que ça à arriver par bateau en Italie, en Grèce, en Espagne - et pour les répartir d'une nouvelle manière."

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