La Roumanie, cible de la mafia du bois

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Par Valérie Gauriat
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La mafia du bois sévit au nord de la Roumanie. Les coupes illégales menacent la nature et la population.

Sur le massif des Carpates, au nord de la Roumanie, se dresse l'une des dernières forêts primaires d'Europe. C'est aussi le cœur de ce qu'on appelle ici, la mafia du bois.

Le comté de Suceava est l'un des plus touchés par un trafic massif qui tue des arbres ancestraux, mais aussi parfois, des hommes.

Gheorghe Oblezniuc est bûcheron. Il nous entraine dans a forêt, à la recherche des méfaits des trafiquants.

"Regardez, c'est tout frais, cet arbre a été coupé récemment", dit-il, découvrant une souche couverte de sciure fraiche. "C'est une coupe illégale, de la belle marchandise.Je le sais parce qu'il n'y a pas de marques ! Vous voyez la résine. Le pauvre arbre pleure. Ils lui ont pris la vie, comme pour un homme. Puis, s'approchant d'une autre souche, plus petite: "Si vous regardez cet arbre, celui-ci est légal : il y a une marque ici. C'est légal.Ils couvrent tout avec des branches, pour qu'on ne voit pas les souches de loin. C'est caché par la mafia."

Selon un rapport scientifique, sur un total de 38 millions de tonnes de mètres cube de bois coupés chaque année en Roumanie, quelques 20 millions de mètres cubes proviennent de coupes illégales,  Du bois écoulé sur le marché national, mais aussi, européen, assurent les ONGs environnementales.

Gheorghe a longtemps travaillé avec les trafiquants avant de se retourner contre eux.

"Je travaillais pour cinq grandes entreprises. Pour couper un arbre comme ça, je percevais une commission d'une dizaine d'euros. J'ai arrêté parce j'ai compris que ce n'était pas bien, et je ne gagnais rien. Ils gagnaient des millions, et moi j'étais payé au mètre cube."

Ce trafic fait l'objet d'une enquête de la Direction roumaine d'investigation sur le crime organisé et le terrorisme. Pointé du doigt, un vaste réseau, impliquant tous les acteurs de la filière du bois : négociants, transporteurs, gardes forestiers ou fonctionnaires.

Des accusations dont se défend un responsable local de la Régie nationale des forêts, Romsilva.

"On ne peut pas soupçonner certaines personnes de vouloir nous discréditer, nous explique Cristian Gafincu, responsable du district forestier de Moldovița. Mais ces gens sont allés dans la forêt avant nous, ils ont coupé des arbres, en nous accusant nous, les forestiers, d'avoir préparé ces arbres pour des coupes illégales. Cela a poussé les médias à nous accuser nous les forestiers."

Pourtant, selon Romsilva, 185 forestiers ont fait l'objet d'agressions physiques depuis 2014. Six autres ont été tués, dont deux ces derniers mois.

Règlements de compte personnels assurent les responsables de l'office des forêts. Représailles, disent ceux qui osent dénoncer le système qui régit le trafic de bois.

Cet agent forestier, dont nous dissimulons l'identité, en a fait les frais. Il risque gros, mais il veut parler :

"L'entrepreneur se rend à une séance d'appel d'offres organisée par le district forestier et achète un certain volume de bois.Il s'arrange ensuite avec l'ingénieur qui va en forêt pour marquer les arbres. C'est là qu'arrive le marché noir, ces arbres ne devraient pas être en stock.En termes de volume, la quantité est supérieure à celle initialement déclarée. Et dans les livres de comptes, les volumes seront falsifiés.Le forestier supervise, mais pas seulement, il vend aussi du bois au marché noir."

Un système que Mihai Gășpărel, responsable des gardes forestiers du comté de Suceava, ne conteste pas.

"L'aspect le plus délicat des coupes illégales, c'est quand cela se fait sous la couverture de la loi. On peut blanchir du bois en doublant le chargements, en falsifiant les documents, les permis de couper dans des zones où il n'y a pas assez d'arbres. Et il a des cas où les forestiers agissent mal.Le problème, c'est que ce genre d'agissements est difficile à prouver."

Des preuves, c'est ce que Tiberiu Boşutar, dit Tibi, traque sans relâche. Il a installé des caméras, sur la route principale de son village, par laquelle transitent tous les chargements de bois en provenance des forêts voisines.

Via une application mobile qui permet de vérifier l'authenticité des documents permettant aux camions de transporter du bois, il a déjà signalé des dizaines d'infractions.

_"Vous entrez le numéro de plaque d'immatriculation, et vous pouvez vérifier si les documents sont en règle. Et où les permis de transport ont été émis"
_

Tiberiu nous emmène dans les bois en voiture, puis à pied. Des caméras, il aimerait en voir davantage, placées à l'entrée des forêts.

Tibi nous montre des traces de loups, nous sommes bien dans la fôret vierge. La Roumanie abrite un tiers des grands carnivores d'Europe.

Ce ne sont pas des loups que nous allons trouver, mais un cimetière bien particulier.

"Ici, c'est une zone où les souches d'arbres volés ont été enfouies", explique Tiberiu, désignant d'énormes souches, qui, recouvertes de neige, ressemblent à de gros rochers_. "Et regardez la taille des souches, elles n'ont pas pu être déterrées à la force des bras. Il faut des outils lourds, des équipes entières. C'est la preuve très claire que le vol dans le district forestier est bien organisé."_

Les coupes illégales représentent une valeur estimée à 1 milliard d'euros par an. A la clef, une perte fiscale conséquente. Tiberiu, lui, a perdu son entreprise, après avoir tenté de rester dans la légalité. L'an dernier, il a voulu prouver qu'il était impossible de travailler dans l'industrie du bois sans tricher.

"Le prix du bois en Roumanie est artificiellement élevé à ce jour et pour conserver les unités de production, vous avez de bois moins cher, illégal.Accompagné de 8 entrepreneurs régionaux, nous avons acheté 100 mètres cubes de bois et après avoir couvert tous les frais, nous nous sommes retrouvés avec seulement la moitié de l'argent investi. C'est impossible de faire tourner un business comme celui-ci sans utiliser de bois illégal."

Une situation qui empoisonne la communauté. Ilie et Dimitri Bucşă travaillent dans le bâtiment. Pendant leur temps libre, ils élevaient des truites. Plus maintenant.

L'eau était régulièrement souillée de boue, charriée par le passage de bois illégalement coupé dans la rivière voisine nous apprennent-ils.

"On a porté plainte, et du bois a été confisqué à des entrepreneurs locaux.Ils ont versé de l'antigel en amont, ça a tué tous les poissons. Ils nous ont menacé, et nous ont roué de coups. Ils nous ont coincé sur la route et nous ont frappé à la tête avec des gourdins."

Les deux frères continuent à recevoir des menaces de mort. La peur est là, mais ils ne veulent pas se taire.

"On a peur, c'est normal. Mais on espère que ca va s'arranger, on continue à porter plainte, et on espère que quelqu'un de l'extérieur, de l'Union Européenne peut-être, viendra résoudre le problème. Parce qu'ici en Roumanie, la mafia est puissante. Tout le monde est connecté, jusqu'aux autorités de l’État, ils travaillent tous main dans la main."

En février dernier, la commission européenne mettait en demeure la Roumanie de mettre un terme à l'exploitation illégale des forêts, sous peine de sanctions financières.

Journaliste • Pierre Michaud

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