"Nous ne sommes pas l'agence européenne de sauvetage", souligne le directeur de Frontex

Hans Leijtens, directeur exécutif de Frontex, a répondu aux conclusions du Médiateur européen.
Hans Leijtens, directeur exécutif de Frontex, a répondu aux conclusions du Médiateur européen. Tous droits réservés Virginia Mayo/Copyright 2023 The AP. All rights reserved
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Par Jorge LiboreiroMaria Psara
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Cet article a été initialement publié en anglais

Hans Leijtens, directeur de Frontex, a répondu mardi aux conclusions de la médiatrice européenne, qui constate de graves lacunes dans le mandat, les opérations et les relations de l'agence avec les États membres.

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Le directeur de Frontex répond au rapport de la médiatrice européenne. Le document, publié la semaine dernière, conclut que l’Agence européenne des garde-frontières et garde-côtes est trop dépendante du consentement des autorités nationales. Elle n’est donc pas dans les meilleures dispositions pour défendre les valeurs de l'UE et sauver des vies en mer. 

Emily O'Reilly recommande également à l'agence de "mettre fin, retirer ou suspendre ses activités" dans les pays qui persistent à ne pas respecter leurs obligations en matière de recherche et de sauvetage ou qui violent les droits fondamentaux.

Dans le cas contraire, prévient la médiatrice, l'UE risque de devenir "complice" de la mort des migrants.

Près d'une semaine après la publication du document, Hans Leijtens a tenu mardi une conférence de presse à Bruxelles pour donner sa réponse au rapport.

"Je comprends la logique suivie par la médiatrice. Je ne suis pas vraiment d'accord avec elle sur un certain nombre de points", explique Hans Leijtens, "Nous ne sommes pas l'Agence européenne de recherche et de sauvetage. Nous sommes l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes".

Le directeur souligne que la "mission première" de l'agence était de sécuriser les frontières extérieures de l'UE en déployant des agents sur le terrain et en assistant les États membres. Sa tâche principale est de "rechercher" plutôt que de "secourir". L'agence a repéré l’année dernière 2 000 cas de franchissements irréguliers par le biais d'avions de surveillance et de drones, précise le directeur.

En vertu des règles actuelles, Frontex est habilitée à alerter les centres de coordination des situations de détresse potentielles et, le cas échéant, à apporter son aide dans les situations d'urgence en mer. Mais cette assistance ne peut avoir lieu que si l'agence obtient le consentement explicite d'un pays. Dans le cas contraire, Frontex n'a d'autre choix que de rester en marge de l'opération sans intervenir directement. En outre, Hans Leijtens fait remarquer que les bateaux gérés par Frontex sont principalement des "navires côtiers" qui ne sont pas destinés à la recherche et au sauvetage en haute mer.

Malgré les limitations pratiques, Frontex est toujours étroitement impliquée dans la gestion des flux migratoires. L'agence estime qu'elle a contribué au sauvetage de 43 000 personnes en mer au cours de 24 opérations en 2023.

"Notre tâche est basée sur la sécurisation des frontières", souligne Hans Leijtens, "mais il ne fait aucun doute que si nous devons choisir entre évaluer s'il s'agit d'une question de sécurité ou sauver des vies, nous sauverons toujours des vies et nous nous occuperons de la question de sécurité plus tard".

Mais ce sont les épisodes qui se terminent en tragédie qui placent l'agence sous l'œil attentif des législateurs et de la société civile. Frontex a été confrontée l’année dernière à des questions difficiles concernant sa réponse à deux naufrages meurtriers : l'un en février, près de la Calabre, en Italie, qui a fait au moins 94 morts, et l'autre en juin, lorsque l'Adriana, un bateau de pêche surchargé de demandeurs d'asile, a chaviré au large des côtes de la Messénie, en Grèce entraînant la mort confirmée ou présumée de plus de 600 personnes.

L'enquête de la médiatrice a été lancée à la suite de ce second incident. Le rapport indique que la Grèce n'a pas répondu aux alertes de Frontex à "quatre occasions distinctes" au cours de la tragédie et critique l'agence pour ne pas avoir joué un "rôle plus actif" tout en étant "pleinement consciente" des accusations de refoulement et d'abus systématiques qui entourent depuis des années les garde-côtes grecs.

Frontex compte 626 agents en Grèce continentale et dans les îles, ainsi que 32 voitures de patrouille, neuf navires et deux avions, ce qui représente le plus grand déploiement de tous les États membres.

Interrogé sur l'éventuelle suspension des activités en Grèce, conformément à la recommandation de la médiatrice, Hans Leijtens se montre prudent et répond que la question n'est pas "noire ou blanche". L'agence, explique- t-il, "dépend fortement de ce que nous savons et de ce que nous savons être traité dans ce que l'on appelle les rapports d'incidents graves". Ces documents sont soumis à l'officier des droits fondamentaux, un organe indépendant chargé d'assurer la conformité de l'agence avec les règles et les valeurs de l'Union européenne.

"L'année dernière, nous avons reçu 37 de ces rapports. La plupart concernent la Grèce, l'Italie et la Bulgarie. Mais il s'agit d'un rapport d'incident. Ce n'est pas quelque chose qui a été prouvé. C'est un signal qui nous est parvenu", précise le directeur.

Les enquêtes approfondies et les procédures pénales ne peuvent être lancées que par les autorités nationales. La décision de se retirer d'un pays doit se fonder sur ces enquêtes, poursuit Hans Leijtens, quel que soit le temps nécessaire à leur conclusion. La Grèce est toujours en train d'examiner le rapport du New York Times de l'année dernière, qui expose des preuves graphiques et des témoignages de refoulements à la frontière.

"Je suis très impatient ici, franchement, mais je dois les attendre", indique le directeur de Frontex.

Même si les résultats de ces enquêtes sont accablants, l'agence ne prendra pas nécessairement la décision radicale de couper tous les liens, estime-t-il. Frontex pourrait plutôt suspendre le cofinancement et des projets spécifiques, ou demander au pays incriminé de mettre en œuvre des "mesures appropriées" et empêcher que les actes répréhensibles ne se répètent.

La suspension n'est "pas quelque chose qui peut se faire du jour au lendemain", prévient Hans Leijtens, "cela nécessite vraiment une certaine réflexion et une certaine justification".

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Créée en 2004 avec un mandat limité, Frontex a progressivement gagné en puissance, en ressources, jusqu'à devenir l'un des organismes les plus importants de l'Union européenne. L'agence devrait compter environ 10 000 agents et disposer d'un budget d'un milliard d'euros d'ici 2027. Une réforme complète de la politique de l'UE en matière d'immigration et d'asile, que Hans Leijtens qualifie de "changement de paradigme", devrait encore renforcer le rôle de Frontex.

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