Règles budgétaires de l'UE : un nouveau sursis pour cause de guerre ?

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Par Naomi LloydGuillaume Desjardins
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Du fait de la guerre en Ukraine, les États membres de l'UE pourront-ils continuer au-delà de 2022, à ne pas respecter les règles budgétaires européennes suspendues pendant la pandémie ? La Commission veut une plus grande flexibilité.

La Commission européenne prépare actuellement, une réforme des règles budgétaires qui régissent les dépenses, la dette publique et les investissements dans les pays de l'Union européenne. Real Economy s'interroge sur la potentielle évolution des critères qu'elles définissent, en particulier concernant les investissements pour lutter contre le changement climatique, mais aussi compte tenu des répercussions économiques de la guerre en Ukraine.

La ministre néerlandaise des Finances Sigrid Kaag et son homologue Nadia Calviño appellent à une réforme qui permettrait de réaliser les investissements publics nécessaires à la mise en œuvre des transitions verte et numérique. Les deux ministres ont présenté leur déclaration commune lundi 4 avril en marge d'une réunion de l'ensemble des ministres des Finances de la zone euro à Luxembourg.

Nouveau contexte, nouvelles règles ?

Les règles budgétaires actuelles remontent au Traité de Maastricht : les États membres doivent limiter leur déficit à 3 % de leur produit intérieur brut et maintenir leur dette en dessous de 60 % de leur PIB. Pendant la pandémie de Covid-19, ces critères ont été mis sur pause, mais ils sont censés être de nouveau appliqués en 2023.

Au fil des ans, leur mise en œuvre est devenue excessivement complexe. Le contexte économique a également changé avec l'accroissement des dettes publiques, la nécessité pour les pays d'investir dans la transition verte et numérique et aujourd'hui, les répercussions de la guerre menée par la Russie en Ukraine.

La Commission européenne a entamé en février 2020, puis relancé en octobre 2021, le réexamen de la gouvernance économique de l'Union et lancé une consultation avec les syndicats, le monde universitaire, les banques centrales, les parlements nationaux et les ministres des finances de l'Union. Elle devrait publier ses recommandations dans les prochains mois.

Belgique : à l'épreuve du changement climatique

Ce réexamen porte sur la manière de garantir la viabilité des finances publiques tout en encourageant les investissements verts, en particulier. L'adaptation au défi climatique a un coût. La Belgique, par exemple, le sait bien, notamment dans les régions frappées par de dramatiques inondations l'an dernier.

Verviers, en Wallonie, en a été victime en juillet dernier, lorsque la Vesdres est sortie de son lit. La reconstruction et l'adaptation des seuls édifices publics sur place sont estimées à 45 millions d'euros. Un coût pour le budget de la ville.

"Cela a été un drame humain puisque on a perdu 38 personnes et sur Verviers, 8 personnes en particulier," rappelle Muriel Targnion, maire de Verviers. "Les climatologues nous annoncent de nouvelles inondations, peut-être d'ici à dix ou quinze ans, on nous annonce aussi des canicules et donc, il faut reconstruire en pensant à cela, mais la reconstruction résiliente, cela coûte plus cher," affirme-t-elle avant d'ajouter : "On a une capacité d'emprunt qui est limitée, on ne peut emprunter que 125 euros par habitant."

Des investissements colossaux

Aux coûts nécessaires à notre adaptation au dérèglement climatique, il faut également ajouter les investissements indispensables pour atténuer les émissions de carbone. Au total, la Commission européenne estime à 392 milliards d’euros, les investissements privés et publics nécessaires chaque année d’ici à 2030. Des investissements en partie orientés vers la production d'énergie.

"Dans le secteur de l'énergie solaire, nous voulons passer de 165 gigawatts aujourd'hui - ce qui correspond à peu près à l'alimentation de 50 millions de foyers en Europe - à 1000 gigawatts (1 térawatt)," souligne Walburga Hemetsberger, PDG de SolarPower Europe. "Cela équivaut à 117 milliards de m³ de gaz : c'est presque la totalité des importations russes," fait-elle remarquer. "Une grande partie peut provenir d'investissements privés, mais il est évident que les États membres doivent aussi jouer un rôle," assure-t-elle.

De telles dépenses colossales poussent parfois les États membres à faire des choix budgétaires cornéliens, la dette belge représentant déjà 111 % de son PIB.

"Nous avons besoin d'une réforme des règles budgétaires"

Mais de plus en plus de voix s'élèvent pour assouplir les plafonds de dette publique, notamment en ce qui concerne les investissements liés à la double transition digitale et climatique entamée par l’Union européenne. Ces règles ont été mises entre parenthèses en 2020 pour faire face à la crise du Covid-19. Doivent-elles être restaurées en l'état après la crise ? Pour l'ONG Climate Action Network (CAN) Europe, il faut les mettre à jour.

"Le problème ne se pose pas dans l'immédiat, mais il se profile à l'horizon car ces règles seront rétablies," indique Isabelle Brachet, coordinatrice de programme sur la réforme budgétaire européenne au sein de cette organisation. "On sait que le changement climatique finira par affecter la productivité de l'économie," dit-elle avant d'ajouter : "Il ne peut y avoir de viabilité de la dette si l'on n'agit pas maintenant pour lutter contre le changement climatique."

Les syndicats disent qu'il n'y a pas d'emplois sur une planète morte, j'aimerais dire qu'il n'y a pas de viabilité de la dette sur une planète morte. C'est pourquoi nous avons besoin d'une réforme des règles budgétaires de l'UE limitant les dépenses publiques.
Isabelle Brachet
Coordinatrice de programme sur la réforme budgétaire européenne au sein de CAN Europe

La nécessité d’absorber la hausse des prix de l'énergie liée aux sanctions à l'encontre de la Russie pourrait également pousser en faveur d'une réforme de la gouvernance économique européenne.

Paolo Gentiloni : "Nous devons adapter ces règles"

Alors que la Commission européenne doit publier ses recommandations sur la gouvernance économique de l'UE dans les prochains mois, le Commissaire européen à l'Économie Paolo Gentiloni nous livre d'ores et déjà son point de vue. Pour lui, la guerre en Ukraine impose à l'UE, de relever de nouveaux défis qui passeront par davantage d'investissements publics.

Naomi Lloyd, euronews :

"Le réexamen de la politique budgétaire était prévu. Ensuite, nous avons eu la pandémie, puis une récession et à présent, l'agression russe en Ukraine. Qu'est-ce que cela signifie pour les règles budgétaires ? Les critères fondamentaux des 3 % et des 60 % seront-ils modifiés ?"

Paolo Gentiloni, Commissaire européen à l'Économie :

"Je ne suis pas sûr que ce soit un véritable objectif aujourd'hui. Nous savons tous que ces seuils ont été décidés il y a 25 ans. Nous avons aujourd'hui dans la zone euro, un niveau de dette publique qui en moyenne, approche les 100 % du PIB. Je pense que nous devons adapter ces règles pour aller vers une réduction progressive des dettes permettant de réaliser les investissements nécessaires. Et c'est là, le véritable défi, plus que de changer ces seuils car cela devrait entraîner des modifications dans les traités, des référendums et ce n'est pas une démarche facile en ces temps compliqués."

Ces terribles crises de la pandémie et de la guerre nous ont fait prendre conscience de la nécessité de l'unité.
Paolo Gentiloni
Commissaire européen à l'Économie

Naomi Lloyd :

"Des investissements publics considérables sont déjà nécessaires pour atteindre les objectifs climatiques. C'est d'autant plus urgent qu'il faut aujourd'hui réduire la dépendance à l'égard de l'énergie russe. Quelles conséquences pour la politique budgétaire à l'avenir ?"

Paolo Gentiloni :

"Je pense que nous avons une expérience très claire de la crise précédente, de la crise financière. Le resserrement des règles budgétaires était intervenu trop tôt et les investissements publics avaient progressivement diminué. Dans la situation dans laquelle nous sommes, c'est totalement impossible de faire cela ! Nous sommes engagés dans la transition climatique et dans la transition numérique et puis, comme vous l'avez dit, nous devons nous libérer de notre dépendance énergétique à l'égard de la Russie. Nous avons aussi une nouvelle ambition européenne sur la défense commune... Donc nous avons besoin de règles budgétaires qui veillent à la viabilité des finances publiques, mais qui en même temps, créent un espace pour les investissements publics. Ces terribles crises de la pandémie et de la guerre nous ont fait prendre conscience de la nécessité de l'unité. Nous avons besoin d'une Europe plus forte et pour ce faire, il faut une coordination plus forte et bien sûr, les règles budgétaires en sont le fondement."

Journaliste • Naomi Lloyd

Video editor • Jean-Christophe Marcaud

Sources additionnelles • Production : Camille Cadet ; cameramen : Pierre Holland et Jorne Van Damme ; motion design : NEWIC

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