Europarl Hackathon : 48h pour libérer les données du Parlement européen

Europarl Hackathon : 48h pour libérer les données du Parlement européen
Par Marie Jamet
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Bruxelles, samedi 25 janvier, 17h : ils sont une douzaine à s’user les yeux depuis des heures sur les déclarations d’intérêts financiers manuscrites en français, grecs ou danois des députés européens. Bienvenus à l’Europarl Hackathon pour les élections européennes 2014.

Un hackathon fait surgir des images fantasmées de jeunes hackers shootés au café, les yeux rouges d’une nuit blanche passée à s’introduire illégalement dans des sites.
La réalité est beaucoup plus prosaïque. Un hackathon réunit des développeurs avec, selon le but recherché, d’autres profils complémentaires, pour réaliser un projet dans un temps donné — 24h ou 48h en général. Certains hackathons sont de véritables compétitions avec prix à la clé, d’autres sont plus militants, comme cet Europarl Hackathon, avec le bien commun en ligne de mire.

Europarl Hackathon 2014

L’Europarl Hackathon s’est tenu à Bruxelles du vendredi 24 au soir au dimanche 26 janvier. L’événement a été organisé à l’initiative de Xavier Dutoit, un travailleur indépendant auprès d’ONG. Alors que les élections européennes approchent, son vieux souhait de mettre ensemble des compétences pouvant donner sens à des milliers de données issues des institutions européennes prenait toute sa valeur. Ce rêve prend, avec la complicité de Stefan, programmateur hongrois co-auteur de Parltrack, finalement la forme d’un hackathon. L’événement met quelques mois à se concrétiser mais prend une toute autre ampleur avec l’aide financière et logistique de deux organisations à la croisée des deux domaines : Citizens for Europe, une plateforme pour ONG, pour l’angle européen et la Knight-Mozilla OpenNews pour celui des données.

« On espérait une douzaine de personnes. Deux cents se sont inscrites sur le site ! » Le choix des heureux élus a été fait selon plusieurs critères. Il s’agissait, assez logiquement de maintenir un équilibre de profils et de compétences. Mais Xavier Dutoit a aussi recherché des personnes enthousiastes et dont les idées de projets pour l’événement étaient à la fois intéressantes et réalisables. « Bien sûr ces week-ends sont des occasions pour rencontrer des gens et élargir son réseau mais je voulais aussi ‘getting shit done’, qu’il y ait des choses concrètes à la fin ».

Les données utilisées durant ce hackathon sont toutes des données officielles et en libre accès principalement sur le site du Parlement européen. Sous quelle forme est une autre question, et elle taraude nombre des participants.

C’est un groupe hétérogène qui se présente ce vendredi soir de janvier. On discute politique en attendant que l’Europarl hackathon ne démarre : quatorze nationalités sont représentées. Des barbes blanches côtoient des jeunes hommes à l’allure encore presqu’adolescente. Quatre femmes, dont une seule programmeuse, parsèment une assemblée largement masculine : « c’est déjà beaucoup pour ce genre d’événement » témoigne Xavier Dutoit, l’organisateur, qui tenait à cette mixité. Stefan, programmateur hongrois qui l’a aidé, se félicite : « tant d’expertise est rare dans un hackathon ».

Vers 20h, le hackathon est lancé. Des participants présentent leur idée. Les équipes se constituent par compétences et par goût. Tous les participants se répartissent dans les deux salles mises à disposition par l’IHECS, l’école de journalisme qui accueille le hackathon. Puis chacun se met au travail.

Le bruit des claviers

Samedi, les plus matinaux arrivent peu à peu à partir de 9h30. Personne n’est resté toute la nuit. Chiara Girardelli, programmeuse et webdesigner, raconte que le wifi s’est écroulé vers 1h du matin. Du coup, tout le monde est allé se coucher. Naturellement chacun reprend sa place de la veille. Les tasses de café n’envahissent finalement pas les tables. Certains coins de bureau sont couverts de pelures de mandarine. L’ambiance est studieuse toute la journée. Les lignes de Javascript défilent ; Xavier Dutoit et Stefan, dont le site Parltrack sert de source pour certains projets, sont régulièrement appelés pour aider.

Sur une table, une petite équipe menée par Laurence Watson, de Sandbag, avance sur le projet de noter les députés européens en fonction de leur engagement sur les questions climatiques en se basant sur leurs votes. Sur une autre, Chiara Girardelli code sans relâche pour son projet commun avec Michael Thomas. Ils cherchent à produire une visualisation des sujets les plus abordés dans les dossiers du Parlement. Une autre infographie devrait permettre de voir quels pays et quels partis s’emparent le plus de tel ou tel sujet. Ils sont aidés par Sven Wauters, analyste de données dans l’assurance « venu comme un touriste » et non par amour de la politique mais qui met du cœur à l’ouvrage.
A l’autre bout de la salle, Thomas Bouchet de la Quadrature du net retourne, avec un bénévole de l’association, l’outil Memopol dans tous les sens pour l’améliorer. Joel Purra, sur la table en face, fronce des sourcils, incrédule des chiffres qu’il a trouvés concernant les corrections de vote des eurodéputés.
Tout au fond de la deuxième salle de classe, sous une fenêtre de toit, Friedrich Lindenberg avance sur son projet de moteur de recherche des lobbyistes et experts au sein de l’Union. Devant lui, la plus grosse équipe, constituée d’une douzaine de personnes, continue d’entrer les déclarations d’intérêts dans leur document partagé. Certains commencent à traiter les données qui sont entrées et Thomas Tursics, un Berlinois passionné par les données, construit les premières infographies à partir de certains éléments.

« Bien sûr ces week-ends sont des occasions pour rencontrer des gens mais aussi pour ‘getting shit done’, qu’il y ait des choses concrètes à la fin. »

Vers 19h, de la viande et de la salade sont livrés dans des grands cartons blancs. A côté, un carton marron, tel ceux que l’on utilise pour déménager, commence ramollir, imbibé de la graisse des frites que les participants attrapent à pleine main : « je n’ai jamais vu des frites servies comme ça ! » s’exclame l’une des participantes. « C’est ton premier hackathon ? C’est pour ça ! » lui répond, amusé, Stefan de Parltrack.

Ouvrez, ouvrez la cage aux données

Une préoccupation lie la majorité des participants. Elle s’affiche sur les autocollants qui couvrent les coques des ordinateurs portables et traverse toutes les conversations : l’open data. Des données accessibles au public, dans un format numérique réutilisable, sous licence ouverte. Pour ces amoureux du logiciel libre, c’est presque une seconde nature. Ils sont nombreux aussi à croire que cela est un élément fondamental et désormais possible de la transparence politique et donc de la démocratie. Qu’il s’agisse de Democracy International, Transparency International, la Quadrature du Net ou Access Info, tous expliquent que l’accès aux données publiques et notamment des institutions européennes est une question de liberté d’information.

Daniel Lentfer, chargé de campagne chez Democracy International, a rejoint l’équipe qui s’est lancé dans la “libération” des déclarations d’intérêts : « je n’arrive pas à croire qu’ils utilisent encore des PDF ! » Le format PDF ne permet pas de récupérer les données facilement ni de les traiter pour en extraire des infographies par exemple. Seules solutions, tout recopier à la main dans un tableur comme durant ce hackathon, ou “scrapper” les données lorsque c’est possible, c’est-à-dire utiliser un programme pour récupérer le contenu d’un site et de sa base de données afin de les réutiliser. Si plusieurs participants reconnaissent que les gouvernements s’améliorent sur les questions d’open data, Daniel Lentfer concède « qu’il existe une grande marge d’amélioration » car « beaucoup de données doivent encore être scrappées » avant de pouvoir être utilisées.

Juan Elusoa, venu d’Espagne, résume une idée partagée par tous les participants : « les données devraient être à tout le monde ». Cela permettrait, de plus, de créer des emplois selon lui. Thomas Tursics, développeur allemand qui lui fait face, précise qu’en effet des développeurs pourraient créer des applications autour de données rendues publiques. Il cite l’exemple d’une application qui indiquerait quelle place de parking municipale est libre. Le modèle économique est déjà là selon eux, mais les données manquent.

« les données devraient être à tout le monde »

Autre condition pour une bonne utilisation des données : elles doivent être redistribuées standardisées et avec des licences ouvertes permettant la réutilisation libre et gratuite. Ainsi, Parltrack est distribué uniquement avec des licences ouvertes, que ce soit pour le code, pour les données et le contenu du site.

Thomas Tursics ajoute que « les projets de ce hackathon peuvent paraître modestes mais ils pourraient être combinés ». Et cela permettrait de « montrer le pouvoir des données » aux institutions et faire en sorte qu’ils puissent rendre des comptes, complète Juan.

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Pour eux deux, les médias sont un intermédiaire essentiel pour explorer, transmettre, expliquer, raconter ce qui peut ressortir des données. Peu de citoyens en dehors des cercles du militantisme politique et de l’open data connaissent les outils comme Parltrack ou LobbyPlag. Xavier Dutoit explique lui aussi que cela ne peut fonctionner qu’avec une chaîne complète : « pour les activistes comme Stefan, libérer les données est une fin en soi, c’est un travail de fourmi que ne peut pas faire le journaliste ou le citoyen. Les autres prennent la suite. Chaque compétence est un maillon de la chaîne ».

Xavier Dutoit

Deux des projets du week-end étaient directement inspirés de ces questions. L’un consistait à regrouper toutes les bases de données déjà disponibles afin que chacun puisse ensuite en extraire ce dont il a besoin pour son projet. Un autre était la rédaction d’une lettre ouverte demandant que les données soient ouvertes et publiées dans un format numérique standardisé. Toujours en cours de discussion parmi les participants, elle devrait donner suite à une pétition en ligne.

Le dimanche, le rythme s’accélère derrière les lumières bleutées des écrans. A 17h, tous les participants se regroupent dans l’une des deux salles de classe, rejoints par quelques visiteurs. Tour à tour, les équipes, de un à une douzaine de membres, présentent leurs résultats. Les applaudissements sont chaque fois chaleureux. Les pistes pour des recherches futures sont nombreuses. La palme des découvertes du week-end revient, sans aucune contestation possible, à la déclaration d’intérêt de Jens Rohd, député danois opposé au nouveau code de conduite, qui, par rébellion, a noté sur la sienne, « maître de l’univers » comme profession.

Le Parlement européen permet la réutilisation de la plupart de ses données « moyennant le respect de l'intégrité des éléments reproduits et la mention de la source » et de nombreux documents sont accessibles à tout citoyen qui en fait la demande. Seule cette personne reçoit alors l’information directement. Le Parlement se doit d’être transparent et de publier ses différentes informations (votes, rapport de comité…) selon la règle 103 de son règlement. Suite à un scandale de versement de pot-de-vin, le parlement adopte le 31 août 2011 un code de conduite qui exige des eurodéputés qu’ils remplissent une déclaration d’intérêts. S’ils risquent des sanctions et sont limités dans leurs actions s’ils ne s’acquittent pas de ce devoir, rien ne les contraint à ne pas rendre une copie blanche et aucun contrôle n’est apporté.

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  • Vendredi. Présentation des idées de projets

  • Vendredi. Passage au papier pour réfléchir à un projet

  • Samedi. L'équipe de visualisation des sujets des dossiers du Parlement

  • Samedi. Discussion au sein de l'équipe travaillant sur les déclarations d'intêrets

  • Samedi. Hub RJ45 pour soulager le wifi et accéler les connexions

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  • Samedi. Document de travail de l'équipe des déclarations d'intêrets

  • Samedi. Equipe travaillant sur un projet de conversation sur Twitter entre MEPs et citoyens

  • Dimanche. Un membre de l'équipe travaillant sur les déclarations d'intérêts remplissant le tableau

  • Dimanche. Schéma pour un argumentaire sur l'open data

  • Dimanche. Présentation de l'aboustissement des projets

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  • Dimanche. Présentation de l'aboustissement des projets

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