"La communauté internationale a laissé tomber le peuple syrien" (Helle Thorning-Schmidt)

"La communauté internationale a laissé tomber le peuple syrien" (Helle Thorning-Schmidt)
Par Euronews
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Dans notre émission "The global conversation", l'ex-Première ministre danoise, aujourd'hui à la tête de l'ONG "Save the Children International" dresse le bilan de sept années de guerre en Syrie.

Sept ans après les premières manifestations pacifiques du ‘Printemps syrien’ Sophie Claudet d’Euronews consacre un numéro spécial de son émission The Global conversation à cette véritable guerre par procuration.
Malgré la dernière résolution de l’ONU exigeant un cessez-le-feu immédiat dans les zones de combats, le conflit a déjà causé la mort de plus de 500 000 personnes en entraîné un déplacement massif de populations, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays.

Répartition des réfugiés syriens dans les pays voisins selon l'UNHCR par AFPgraphics</a> <a href="https://twitter.com/hashtag/AFP?src=hash&ref_src=twsrc%5Etfw">#AFP</a> <a href="https://t.co/tpQzuXuZrZ">pic.twitter.com/tpQzuXuZrZ</a></p>&mdash; Agence France-Presse (afpfr) 30 mars 2017

Dans cette guerre sans fin, les sanctuaires que représentent les écoles et les hôpitaux ont été bombardés, souvent de manière délibérée et de nombreuses villes ne sont plus que des ruines.
Au cœur de ce conflit se trouvent des civils sans défense. Pour faire la lumière sur leur sort, Sophie Claudet a invité deux personnalités sur le plateau d’Euronews.

Première invitée : Helle Thorning-Schmidt. L’ex-Première ministre danoise est désormais à la tête de Save the Children International. Cette ONG a déclaré que la Syrie était le premier pays le plus dangereux au monde pour les enfants. L’ONG fournit actuellement une aide humanitaire à 2,5 millions de personnes dont 1,7 million d’enfants.

Sophie Claudet : Alors que la guerre entre dans sa huitième année, peut-on dire que la communauté internationale a laissé tomber le peuple syrien ?

Helle Thorning-Schmidt, Save the Children International :
“Je pense que nous devons en conclure que la communauté internationale a laissé tomber le peuple syrien et les enfants syriens, et cela m’inquiète beaucoup de voir cette escalade du conflit, de voir que les Nations unies confirment aujourd’hui que des substances chimiques ont de nouveau été utilisées comme armes en Syrie, de voir les horreurs que nous constatons, de voir que près de deux millions de personnes dans les zones assiégées se voient refuser nourriture et assistance médicale. C’est un niveau d’horreur supplémentaire et je crains vraiment que nous ne l’acceptions comme une nouvelle norme. Concrètement, c’est une guerre contre les enfants. Si vous commencez à bombarder des zones civiles, si vous commencez à bombarder des écoles et des hôpitaux, c’est une guerre contre les enfants et nous ne devrions pas l’accepter.”

2017 a été la plus meurtrière pour les enfants syriens. Depuis le début de l’année, 1000 enfants ont été tués ou blessés, pensez-vous que ce lourd tribut soit dû à la nature de ce conflit, à savoir les bombardements aériens ?

“Les raisons sont nombreuses mais ce que nous constatons, c’est que lorsque la guerre se déplace vers des zones où vivent de nombreux civils, dans des villes essentiellement, n’oubliez pas d’ailleurs que la Ghouta est une banlieue de Damas où vivent beaucoup de gens, eh bien, lorsque la guerre se déplace dans ces zones, il s’agit d’une attaque contre les civils et en particulier contre les enfants.”

Qu’en est-il du nombre d’enfants soldats ? Apparemment leur nombre a triplé depuis 2015…

“Ce qui arrive aux enfants en temps de guerre, c’est qu’ils courent un risque accru d‘être recrutés en tant qu’enfants soldats, ils courent le risquent de devoir travailler, d‘être abusés sexuellement, et bien sûr, nous voyons beaucoup plus de fillettes être mariées parce que cela semble être la solution la plus sûre pour leur famille et parce qu’elles deviennent aussi un fardeau économique pour leur famille.”

Parlons de l’impact à long terme de ce conflit, à savoir le traumatisme psychologique…

“Ce que nous constatons, c’est que ces enfants souffrent de stress post-traumatique, beaucoup d’entre nous ne savent pas ce que c’est, mais ce sont des enfants qui se cachent ou qui subissent un stress lorsqu’ils entendent des bombardements, des enfants qui font pipi au lit, des enfants qui n’arrivent pas à dormir et, qui, fondamentalement, n’arrivent pas à vivre normalement. Je pose la question à la communauté internationale : comment pouvons-nous demander à ces enfants de reconstruire leur pays s’ils ne reçoivent pas d‘éducation ? Plus d’1,7 million d’enfants en Syrie ne sont plus scolarisés parce que leurs écoles sont bombardées, ils n’ont pas d‘éducation, ils sont mal nourris, ils sont apeurés, ils souffrent d’un stress toxique. Comment ces enfants peuvent-ils reconstruire la Syrie ?”

?? Les réfugiés syriens dans le monde (AFP infographic) pic.twitter.com/sidfLU7jgV

— Gilles Klein (@GillesKLEIN) 22 septembre 2016

Sophie Claudet a également interviewé Raphaël Pitti. Médecin français, il a travaillé en Syrie et a formé des médecins et des infirmières.

Vous êtres médecin réanimateur et urgentiste, vous vous êtes rendus plus de 20 fois, en Syrie. Racontez-nous comme cela se passe sur place ?

Raphaël Pitti, médecin humanitaire :
“Lorsque que vous êtes dans un hôpital et qu’il n’est pas approvisionné, vous voyez bien que vos conditions se sont dégradées, cela va avoir une implication directe dans le flux des malades qui vont arriver puisqu’il va être nécessaire de trier et donc il y a un certain nombre de patients que vous auriez certainement soigné dans d’autres conditions, et qui, dans ces conditions-là, compte tenu de l’afflux et du manque de moyens, vous allez les laisser mourir.”

Il y a une pénurie de médecins en Syrie. Eux-mêmes n‘échappent aux bombes…

“Souvent, les médecins les plus compétents après deux ou trois années quand ils n’en pouvaient plus eux-mêmes avec leur famille, ils ont quitté la Syrie. Et ils ont été remplacés souvent par des étudiants en médecine, souvent par des personnes sans aucune compétence qui ont essayé d’aider. On a vu des femmes de ménage devenir infirmières, et puis devenir aussi sages-femmes, on a vu des étudiants devenir infirmiers, des étudiants de première année devenir chirurgiens vasculaires.”

On parle de plus de 500 000 morts. Mais quand est-il des survivants, comment survit-on à des blessures de guerre ?

“Compte-tenu des moyens dégradés dont je parlais, on ne peut pas réparer et on va être obligés de préserver la vie plutôt que la fonction et donc on ampute et on ampute très largement. Il y a toute une génération, des milliers de personnes, qui, demain vont devoir faire face dans un pays complètement dévasté avec leur handicap ce qui sera très lourd pour le pays de devoir assumer en même temps tous ces handicapés et en même temps essayer de se reconstruire.”

Vous avez parlé dans plusieurs de vos témoignages de la destruction du tissu sanitaire. Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit exactement ?

_“Depuis 2011, les structures médicales en Syrie sont directement ciblées par le régime. Le régime a toujours voulu montrer que les zones qui étaient entre les mains des rebelles n‘étaient pas des zones sécures pour les populations. De ce fait, l’ensemble du tissu sanitaire qui était très bien organisé en Syrie avant 2011, celui-ci s’est complètement effondré et de ce fait toutes les maladies chroniques ne sont pas prises en charge, la vaccination n’est pas prise en charge, et bien évidemment les cancéreux ne sont pas traités, les diabétiques ne le sont pas, les hyper-tendus etc. Donc on peut évaluer aujourd’hui à 1,5 million les personnes qui sont indirectement mortes du fait de l’absence de structures sanitaires.”

Donc on parlerait d’un nombre total de 2 millions de morts, au total ?

“Absolument.”

La dernière fois que vous vous êtes rendu en Syrie, c‘était il y a 4 mois. Quelles sont les dernières nouvelles que vous pouvez partager avec nous ?

“Ca fait maintenant depuis 2013 que la Ghouta est encerclée, ça fait maintenant 9 mois que la Ghouta est assiégée, et déjà il y avait de la dénutrition qui était très très importante, et voilà maintenant un mois qu’elle est tous les jours bombardée, avec tous les types d’armes conventionnelles que l’on peut connaître, mais aussi le napalm, les bombes à fragmentation, les missiles. C’est constant, c’est tous les jours et se rajoute de temps en temps l’utilisation du chlore, il y a eu six attaques en un mois avec du chlore. Donc aujourd’hui la Ghouta se sont des gens qui sont comme des rats enfermés dans des caves et quelques fois ils sont si nombreux dans les caves qu’ils sortent de ces caves pour essayer de dormir à l’air libre en espérant de pas subir les bombardements.”_

*Est-ce qu‘à titre personnel vous avez été aussi témoin d’exactions commises par les rebelles ? On parle d’armes chimiques qui auraient été peut-être utilisées par les rebelles…”

“Bien-sûr les rebelles ont certainement utilisé des armes chimiques aussi. La population syrienne elle, elle est bien loin de sa révolution de laquelle ils espéraient une certaine liberté, elle est maintenant prise en otage entre les différents groupes et c’est elle qui paye le prix le plus lourd.”

Raphaël Pitti vient de publier “ Va là où l’humanité te porte, Un médecin dans la guerre “ aux éditions Tallandier.

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