Le Lyon-Turin, un projet anti-écolo ? 4 questions pour éclairer le débat environnemental

Protestation contre la ligne Lyon-Turin dans la vallée de la Maurienne, juin 2023
Protestation contre la ligne Lyon-Turin dans la vallée de la Maurienne, juin 2023 Tous droits réservés AFP
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Par Margaux Racanière et Ilaria Federico
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Moins de poids-lourds, moins d'avion et plus de train. Sur le papier, le projet de TGV Lyon-Turin est séduisant. Pourtant l'opposition au projet est principalement portée par les mouvement écologistes. Retour sur les questions les plus clivantes.

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Le projet de ligne ferroviaire grande vitesse Lyon-Turin divise depuis son lancement il y a plus de 30 ans. Au-delà des retards de financement, l'impact environnemental du projet fait débat. Les défenseurs du TGV soulignent que la nouvelle ligne permettrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre en réduisant le nombre de camions sur les routes alpines. 25 millions de tonnes de marchandise pourraient ainsi transiter par le rail.

Cependant, les détracteurs du projet soulèvent des préoccupations environnementales majeures. Percer un tunnel sous le Mont Cenis, à la frontière franco-italienne, menacerait les ressources en eau, et dégraderait les paysages alpins.

1. Le TGV Lyon-Turin aura-t-il un impact positif sur les émissions de CO2 ?

Le tunnel de base du Mont Cenis est une intervention prioritaire dans le cadre des objectifs de décarbonation du Green Deal peut-on lire sur le site du Telt. La réduction des émissions de dioxyde de carbone est au cœur du projet. L’objectif est double :

  • Encourager l’usage du train en réduisant de moitié le temps de trajet entre Lyon et Turin.
  • Encourager le report de 25 millions de tonnes de marchandise chaque année depuis la route vers le rail. Un enjeu majeur, puisque le fret représenterait 80% du trafic sur la ligne.

Actuellement, il faut environ sept heures pour rejoindre Milan depuis Paris en train. Avec la future ligne à grande vitesse, cela prendrait deux heures de moins. “Avec le Lyon-Turin, vous mettez cinq heures. Là, ça commence à être attractif pour les voyageurs de prendre le train plutôt que l'avion” , rappelle Stéphane Guggino, délégué général de La Transalpine, le principal lobby de défense du projet. Actuellement l’axe aérien Paris-Milan (1h30 de trajet) est emprunté par plus de 50 000 voyageurs par mois, parmi les plus fréquentés d'Europe.

D’autre part, les promoteurs du projet estiment que la mise en place d’une infrastructure rapide, fiable et efficace sera incitative pour les transporteurs de marchandise. L’objectif est de transférer près de la moitié du trafic de la route au train.

Mais mettre en place une telle ligne n’est pas neutre. La construction du Lyon-Turin émettra environ 10 millions de tonnes de CO2.

Des émissions qui devraient être compensées à partir de 15 ans d’utilisation de la ligne, assure le maître d’ouvrage TELT. À partir de cette date, grâce au report des marchandises de la route vers le train, l’infrastructure devrait réduire la quantité de CO2 émise par les deux pays. Sur les 120 ans de son utilisation, la nouvelle ligne permettrait l’économie d’un million de tonnes d'équivalent CO2 par an.

Ces chiffres ont été revus à la hausse en 2020 par un rapport de la Cour des comptes européenne, qui estime qu’il faudrait au minimum 25 ans, et peut-être même 50 ans en cas de sous-exploitation de la ligne, pour compenser les émissions liées à la construction. Une estimation remise en question par La Transalpine, qui reproche à l’auteur de l'analyse, Yves Crozet, économiste et président du think tank de l’Union routière de France, son manque de neutralité vis-à-vis du Lyon-Turin.

Pour plusieurs écologistes opposés au projet, le coût environnemental de la ligne surpasse son utilité dans le contexte de crise climatique. “On est en train de penser qu'on va régler les problèmes en changeant des vieilles technologies par des nouvelles technologies. Mais nos limites planétaires ne permettent plus tout ça", estime l'eurodéputée des Verts Gwendoline Delbos-Corfield. "Il s’agit aussi de réduire, d’avoir de la sobriété et de ne plus construire des choses inutiles, parce que leur construction même provoque des dégâts environnementaux”.

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Le futur tunnel de 57 kilomètres sera creusé à la base de la montagne, tandis que le tunnel historique est perché à plus de 1 200 mètres d'altitude.Euronews

2. Pourquoi ne pas utiliser la ligne ferroviaire existante ?

Une ligne reliant Lyon et Turin existe déjà. Elle passe par un tunnel historique de 14 kilomètres de long sur le Mont Cenis. Creusée en 1871, la galerie a été rénovée en 2012 pour faciliter le transport de marchandises “Elle est complètement mise au gabarit européen. Elle est entièrement modernisée. Elle ne nécessite que quelques améliorations et ça coûterait beaucoup moins cher de les faire que de creuser de nouveaux tunnels”, explique Philippe Delhomme, co-président de l’association Vivre et agir en Maurienne.

Selon les opposants au projet, cette "ligne historique" serait donc sous-exploitée. Dans un communiqué du 25 février 2023, l'ONG Les Amis de la Terre, l'association Vivre et agir en Maurienne ou encore le parti La France insoumise estiment que la ligne déjà existante serait “en mesure d'assurer un report modal massif pour 16 millions de tonnes par an, ce qui équivaut au poids transporté par un million de poids lourds", c’est-à-dire l'objectif affiché par la société franco-italienne Telt, gestionnaire du tunnel.

Selon la Telt, en effet, 162 trains de marchandises pourront transiter chaque jour dans le nouveau tunnel, contre la cinquantaine de trains qui voyagent aujourd’hui quotidiennement sur la ligne existante.

Mais les soutiens du projet rejettent cet argument. “La ligne existante est un tunnel vieilli", estime Stéphane Guggino, délégué général de La Transalpine Lyon-Turin. “Seuls une soixantaine de trains y passent. (...) 60 trains, c’est ridicule si l'on veut avoir une ambition de report modal”, explique le délégué général. “La ligne existante ne permet pas de faire de la massification du fret ferroviaire.”

3. Quel est l'impact des chantiers sur les ressources en eau ?

L'assèchement des ressources en eau est l'élément le plus clivant de ce projet. Durant les manifestations du 17 et 18 juin derniers qui ont rassemblé 5 000 dans la vallée de la Maurienne, la protection de l'eau était portée en étendard par les manifestants. 

L'un des principaux défis réside dans la disponibilité limitée de cette ressource vitale dans les régions traversées par le projet. Les lieux concernés par les chantiers font déjà face, en effet, à une diminution du débit des sources d’eau liée au changement climatique.

D’un côté, un chantier de cette ampleur est très gourmand en eau, pour les travaux de terrassement, le bétonnage et le lavage des matériaux. Cette demande a un impact significatif sur les réserves existantes.

Mais le besoin en eau pour la construction du tunnel est dérisoire par rapport à la quantité d'eau gaspillée à cause de l'interception des ressources naturelles au cours des opérations de creusement", explique Alberto Poggio, ingénieur et membre de la Commission technique de l’Union Montana du Val de Suse.

En forant dans les montagnes, on menace de drainer les réservoirs d'eau naturels. Pour éviter l'inondation des galeries, de l'eau doit être évacuée. “Les estimations de TELT indiquent des quantités d'eau de 600 à 1 000 litres par seconde qui seront éjectées des galeries pendant les travaux. On parle d'un volume d'eau de 20 à 30 millions de mètres cubes par an, ce qui correspond aux besoins annuels d'une ville de plusieurs centaines de milliers d'habitants. C'est un peu comme si une grande partie de Turin ou de Lyon manquaient d'eau”, explique Alberto Poggio.

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Dans un rapport de 2021, la TELT confirme qu’une partie de ces ressources est menacée.  “Il y a déjà des impacts importants sur les ressources en eau dans plusieurs communes, comme par exemple celle de Villarodin-Bourget, qui est à côté de Modane. Là, une dizaine de sources ont déjà été taries ou ont perdu une partie de leur débit, continue le co-président de Vivre et agir en Maurienne Philippe Delhomme. “Il y aura une véritable compétition, un enjeu très fort sur l'eau. Qui va primer ? Est-ce que ce sont les habitants, le tourisme, la neige artificielle, l'hiver, les barrages hydroélectriques? Est-ce que ce sera les prairies de fauche? Voilà, c'est tout ça qui est en jeu avec ce projet Lyon-Turin”, conclut l’activiste.

Mais pour le délégué général de la Transalpine, Stéphane Guggino, les avantages de la ligne l'emportent sur les dommages occasionnés aux sources d'eau : “Aujourd'hui, ce drainage représente 1 % du débit de la rivière l'Arc qui passe à côté du tunnel. Alors on peut considérer que c'est totalement inacceptable et que c'est climaticide. C'est une façon de voir les choses. On peut considérer aussi qu'1 % du débit de l'Arc par rapport à tous les bienfaits écologiques (...), c'est-à-dire le report modal des camions sur les routes, moins d'accidents routiers, moins d'usure des infrastructures, la fiabilité des échanges, le rapprochement des peuples et des territoires… On peut considérer qu’à ce stade, c'est un investissement qu'on peut faire”.

4. Comment le paysage sera-t-il affecté ?

Le paysage alpin qui traverse la frontière franco-italienne est déjà visiblement atteint. “Dans le Val de Suse, la qualité de vie est devenue problématique à plusieurs points de vue”, explique Alberto Poggio. “La présence des chantiers commence à devenir gênante, du point de vue de la présence des matériaux et pour l’impact environnemental constaté par les contrôles qui sont assez timides mais qui commencent à indiquer des criticités”, continue l’expert. “Et puis il y a un problème parallèle qui n'est malheureusement pas technique, mais qui est lié à la gestion politique de la zone de ces chantiers. Parce qu’il y a une composante de militarisation très forte qui fait en sorte que le climat des relations entre la population et les chantiers est très lourd”.

Selon l'ingénieur, le paysage est compromis aussi par la présence des décharges où les matériaux utilisés dans les chantiers sont stockés : “Lorsque je fais une excavation, ce qui en sort, la roche concassée, doit être éliminé de façon permanente. Une partie de cette élimination a été effectuée en déversant les matériaux dans des zones identifiées de la même vallée. Cela s'est déjà produit en Maurienne et aussi sur le site de Maddalena di Chiomonte où un tunnel auxiliaire a été creusé et où les déchets utilisés ont été déversés à côté de celui-ci de manière permanente”.

Même scénario côté France : “Les prairies ont été éventrées, des forêts ont été déjà rasées pour entreposer de futurs déchets”, explique Philippe Delhomme. ”Des petits villages sont traversés par les camions de transport, de déchets ou de marchandises et sont évidemment bouleversés par la poussière, le bruit... Moi, je suis à vol d’oiseau à 1,4 kilomètre d'un chantier de dépôt de déchets. Et bien, j'entends les camions, j'entends le bruit des machines. Il n'est plus possible aujourd'hui d'accepter cela.”

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Des désagréments à mettre en perspective avec les bénéfices futurs du projet pour ceux qui le défendent. “Quand vous faîtes une infrastructure, il y a toujours un impact écologique, c'est évident. C'est une réalité, reconnait Stéphane Guggino. "Mais il faut mesurer ces impacts écologiques au regard des bénéfices écologiques, sur le très long terme et de ce point de vue là, c'est toujours positif.”

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