Où en est le service militaire obligatoire en Europe ?

Des soldats russes se dirigent vers la Place Rouge pour assister au défilé militaire du Jour de la Victoire à Moscou, Russie, mardi 9 mai 2023.
Des soldats russes se dirigent vers la Place Rouge pour assister au défilé militaire du Jour de la Victoire à Moscou, Russie, mardi 9 mai 2023. Tous droits réservés Alexander Zemlianichenko/Copyright 2023 The AP. All rights reserved
Tous droits réservés Alexander Zemlianichenko/Copyright 2023 The AP. All rights reserved
Par Joshua Askew
Partager cet articleDiscussion
Partager cet articleClose Button
Cet article a été initialement publié en anglais

Déjà en place dans plusieurs pays européens, la conscription pourrait se développer en raison de l'invasion russe de l'Ukraine.

PUBLICITÉ

L'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022 a poussé les pays européens à revoir leur défense.

La paix dans la région n'étant plus acquise, de nombreuses capitales occidentales ont commencé à se demander si le service militaire obligatoire était une solution à leurs craintes en matière de sécurité, déclenchant parfois des débats enflammés.

En août, la Lituanie a annoncé son intention d'étendre sa conscription, rejoignant ainsi le Danemark, tandis que des hommes politiques allemands et britanniques ont suggéré de rétablir le service militaire obligatoire.

Est-ce la bonne approche face à l'agression russe ? Quels impacts la réactivation du service militaire obligatoire pourrait-elle avoir en l'Europe ? Sera-t-elle contre-productive ou aidera-t-elle à défendre la région ?

"Les forces armées européennes, en particulier celles qui se trouvent à la frontière avec la Russie, se rendent compte aujourd'hui qu'elles n'ont pas assez d'effectifs", explique Vincenzo Bove, professeur de sciences politiques à l'université de Warwick et spécialiste de la conscription, "Elles considèrent clairement le service militaire obligatoire comme une solution à ce problème".

"Nous ne savons pas vraiment s'il s'agit d'une bonne idée pour dissuader une éventuelle invasion russe", dit-il, suggérant qu'il n'y avait pas suffisamment de preuves de l'efficacité des armées de conscrits par rapport aux forces régulières.

En raison de la complexité de la guerre moderne, M. Bove se demande si les conscrits peuvent être correctement formés à l'utilisation des équipements et des tactiques de pointe employés aujourd'hui dans le court laps de temps dont ils disposent.

Natacha Pisarenko/Copyright 2022 The AP. All rights reserved
Un drone dans la banlieue de Kyiv, en Ukraine, le 8 juin 2022.Natacha Pisarenko/Copyright 2022 The AP. All rights reserved

"Il suffit de regarder ce qui se passe actuellement en Russie avec les conscrits. Ils ne sont pas très motivés. La majorité d'entre eux préféreraient faire autre chose".

En juillet, un ancien mercenaire de Wagner a déclaré à Euronews que lorsqu'il servait en Ukraine, l'une de ses principales tâches consistait à s'assurer que les conscrits russes - "âgés d'à peine 21 ans" - ne s'enfuient pas, tant ils étaient réticents à se battre.

De la chair à canon ?

Outre les préoccupations économiques liées à l'inefficacité du service militaire obligatoire, qui empêche un grand nombre de personnes d'exercer une autre activité, M. Bove soulève des questions d'ordre éthique concernant l'envoi de civils au combat avec peu d'expérience.

Ayant servi dans la marine italienne pendant 15 ans, il estime que "trois ans ne suffisent pas pour enseigner les bases de la guerre. Même l'utilisation d'armes de base nécessite beaucoup d'entraînement."

"Certains pays parlent de programmes de trois mois, ce n'est rien. Ils n'apprendront même pas à faire le salut militaire", ajoute-t-il sur le ton de la plaisanterie.

Située à la frontière de la la petite enclave russe de Kaliningrad, la Lituanie a récemment commencé à élaborer des réformes de son système de conscription, qui pourraient concerner les personnes vivant et étudiant à l'étranger.

L'une des options proposées est d'enrôler volontairement les recrues pour des sessions d'entraînement d'un mois chaque été pendant trois ans. En théorie, ils seraient alors prêts à partir au combat.

Outre la Lituanie, le Danemark, la Suède, la Norvège, la Finlande, la Lettonie, l'Autriche, la Grèce et l'Estonie disposent actuellement d'une forme de service militaire obligatoire, comme l'Ukraine et de la Russie, parties belligérantes.

Martin Meissner/Copyright 2023 The AP. All rights reserved.
Un char Leopard 2 à Augustdorf, en Allemagne, mercredi 1er février 2023.Martin Meissner/Copyright 2023 The AP. All rights reserved.

D'autres pays se sont montrés favorables à la conscription, mais avec des réserves.

Elisabeth Braw, de l'American Enterprise Institute, a déclaré à Euronews que les systèmes sélectifs peuvent "très bien fonctionner".

L'analyste de la défense a cité l'exemple "incroyablement réussi" de la Norvège, où les citoyens sont appelés en masse, mais où seul un certain pourcentage d'entre eux sont choisis pour la formation.

PUBLICITÉ

"L'armée attire les meilleurs et les plus brillants, et en plus, le service est un atout sur le CV d'un conscrit", explique-t-elle, la réussite de la sélection étant une marque de prestige.

En 2015, la Norvège est devenue le premier pays européen à instaurer un service militaire obligatoire pour les hommes et les femmes. Elle conserve une armée professionnelle, qui constitue le fondement de sa défense.

Mme Braw a toutefois émis une mise en garde au sujet de la conscription.

"Les troupes doivent être dotées de compétences utiles. Le Kremlin ne sera pas effrayé par un modèle de conscription qui n'est pas réfléchi, avec des jeunes hommes et des jeunes femmes qui restent inactifs dans les casernes."

Les civils enrôlés pourraient être utilisés à d'autres fins que la défense, selon elle.

PUBLICITÉ

"Assurer la sécurité d'un pays ne se limite pas aux forces armées. Il s'agit de la santé publique, de la protection des infrastructures et des soins de santé. Les jeunes peuvent être appelés lorsqu'on a besoin d'eux pour aider à protéger le pays contre les crises ou les catastrophes."

"Il y a tellement de problèmes sociétaux que le gouvernement ne peut pas résoudre à lui seul."

En 2019, la France a lancé une forme de service militaire, les jeunes se voyant proposer un service civique volontaire. Emmanuel Macron a présenté son projet comme un moyen de développer le patriotisme et la cohésion sociale.

Mais des études montrent que les appelés sont plus susceptibles d'être confrontés au chômage à la fin de leur service, et certains se demandent si les compétences acquises sont transférables à d'autres secteurs.

Le service militaire favorise-t-il le patriotisme ?

L'une des raisons pour lesquelles certains pays européens ont recours au service militaire obligatoire est que les campagnes de recrutement traditionnelles ne fonctionnent pas.

PUBLICITÉ

L'armée allemande, par exemple, ne parvient pas à attirer de nouveaux soldats, malgré une vaste initiative visant à se renforcer dans le contexte de la guerre en Ukraine, selon le ministère de la Défense du pays.

Des experts estiment que le secteur militaire ne peut pas rivaliser avec les salaires et les conditions du secteur privé, les emplois dans l'armée étant souvent difficiles et dangereux.

Selon M. Bove, cet argument ne peut expliquer ce qui se passe dans les régions d'Europe où le taux de chômage est élevé, comme le sud de l'Italie ou l'Espagne. Car même dans ces régions, les civils ne veulent pas s'engager.

Une autre explication est d'ordre culturel, les civils rejetant l'armée parce qu'ils ne partagent pas ses "objectifs et ses buts primordiaux", a-t-il déclaré à Euronews.

Les guerres dévastatrices en Afghanistan et en Irak ont laissé des opinions négatives "durables" à l'égard de l'armée, et M. Bove doute que le fait d'injecter plus l'argent puisse améliorer le recrutement.

PUBLICITÉ

Il existe des arguments selon lesquels la conscription peut stimuler le patriotisme et la volonté d'une population de se défendre contre un agresseur.

"Le service militaire a une longue histoire en Finlande et bénéficie d'un large soutien dans la société", a déclaré Elina Riutta, présidente de l'Union finlandaise des conscrits, dans un communiqué envoyé à Euronews.

Heikki Saukkomaa/Lehtikuva
Des soldats finlandais participent à un exercice à Porvoo, en Finlande, le mercredi 31 mai 2023.Heikki Saukkomaa/Lehtikuva

"La menace russe a toujours été connue en Finlande, donc la guerre en Ukraine ne change pas la vision qu'ont les Finlandais du service militaire, elle souligne même sa raison d'être."

"La volonté de défendre le pays parmi les conscrits et l'ensemble de la nation atteint actuellement un niveau record", a-t-elle ajouté.

La Finlande se trouve dans une position géographique unique, puisqu'elle partage une longue frontière avec la Russie, qu'elle a combattue par le passé. Son exemple n'est pas nécessairement applicable à d'autres pays.

PUBLICITÉ

Des recherches menées par M. Bove et ses collègues Riccardo Di Leo et Marco Giani ont montré que la conscription peut créer un fossé entre les citoyens et leur gouvernement.

"La conscription permet aux gens de s'identifier aux forces armées, mais cette loyauté entre en conflit avec celle envers les autres institutions démocratiques, ce qui fait que les gens font moins confiance aux autorités".

"Si vous vous inquiétez de la distance croissante entre les jeunes générations et l'État, le service militaire obligatoire n'est pas la solution. Elle est même contre-productive", a-t-il ajouté.

Partager cet articleDiscussion

À découvrir également

Course à l'armement : les dépenses militaires explosent en Europe depuis la guerre en Ukraine

Les femmes restent sous-représentées dans la défense, selon l'ambassadrice française à l'Otan

Josep Borrell : "L'UE manque de capacités de défense pour se protéger en cas de conflit"