La justice bientôt rendue en France pour les victimes de lois anti-gays ?

Manifestation de la Gay Pride à Paris.
Manifestation de la Gay Pride à Paris. Tous droits réservés Benjamin Girette/AP
Tous droits réservés Benjamin Girette/AP
Par Katy Dartford avec AFP
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Cet article a été initialement publié en anglais

Le Sénat français doit débattre mercredi d'un projet de loi qui permettrait aux personnes condamnées en vertu de lois anti-homosexuelles antérieures à 1982 de recevoir une compensation financière.

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Michel Chomarat a été arrêté en 1977 lors d'une descente de police dans un bar gay appelé "Le Manhattan".

"L'homophobie de l'État consistait à traquer les gays partout", déclare-t-il.

Le bar était un espace privé dont l'accès était limité, "mais malgré cela, la police nous a emmenés menottés et nous a accusés d'attentat à la pudeur".

Des milliers de personnes ont été condamnées en vertu de deux lois françaises en vigueur entre 1942 et 1982. L'une déterminait l'âge du consentement pour les relations homosexuelles et l'autre définissait ces relations comme une circonstance aggravante dans les actes d'"outrage aux bonnes moeurs".

Aujourd'hui âgé de 74 ans, Michel Chomarat estime qu'un nouveau projet de loi prévoyant l'indemnisation des personnes condamnées en vertu de ces lois arrive "trop tard", car de nombreuses personnes ayant droit à une indemnisation sont déjà décédées.

Les législateurs français devraient commencer à débattre du projet de loi mercredi.

L'homophobie de l'État consistait à traquer les gays partout
Michel Chomarat
Arrêté en 1977 lors d'une descente de police

A l'origine du projet, le sénateur Hussein Bourgi, du parti socialiste, déclare : "Ce projet de loi a une valeur symbolique".

Il souhaite que le gouvernement français reconnaisse le rôle de l'État dans la discrimination à l'encontre des personnes homosexuelles.

"Elle vise à rectifier une erreur que la société a commise à l'époque", avance Hussein Bourgi.

Les sanctions infligées par les tribunaux ont eu "des conséquences beaucoup plus graves qu'on ne le pense aujourd'hui", ajoute-t-il.

"La vie de nombreuses personnes a été bouleversée. Certains ont perdu leur emploi ou ont dû quitter leur ville".

Au-delà de la reconnaissance des torts par le gouvernement, Hussein Bourgi a déclaré qu'il souhaitait également qu'une commission indépendante accorde une compensation financière de 10 000 € à chaque victime.

Hussein Bourgi, sénateur du Parti Socialiste
Hussein Bourgi, sénateur du Parti SocialisteAFP

Répression de l'homosexualité

Antoine Idier, sociologue et historien, qualifie l'initiative de "salutaire", mais considère qu'il serait trop restrictif de la limiter aux deux lois évoquées.

"Les juges ont utilisé un arsenal judiciaire beaucoup plus large pour réprimer l'homosexualité". Il s'agit notamment de lois qui ne visent pas spécifiquement les relations entre personnes de même sexe mais les "manquements moraux" ou "l'incitation des mineurs à la débauche".

Régis Schlagdenhauffen, professeur de sciences sociales à l'EHESS à Paris, avance qu'au moins 10 000 personnes ont été condamnées pour homosexualité en France entre 1942 et 1982, principalement des hommes issus de milieux populaires.

Un tiers d'entre eux étaient mariés et un quart avaient des enfants.

"Ces condamnations ont jeté l'opprobre sur eux et ont été une expérience terrible à vivre", d'après M. Schlagdenhauffen.

"C'est la raison pour laquelle de nombreuses victimes de la répression étatique ne se manifestent pas, ajoute-t-il, préférant ne pas revivre cette expérience traumatisante."

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En juin, un collectif de militants, syndicalistes et fonctionnaires ont appelé à la reconnaissance et à la réhabilitation des victimes de la répression anti-gay dans une tribune publiée dans le magazine LGBTQ Têtu.

"L'une des raisons pour lesquelles l'homophobie persiste dans la société actuelle est que les lois, les règles et les pratiques des États ont légitimé cette discrimination par le passé", a déclaré Joël Deumier, coprésident de SOS Homophobie, une organisation à but non lucratif qui défend les droits des lesbiennes, gays, bisexuels, transsexuels et intersexués.

Pour que le texte d'Hussein Bourgi devienne une loi, le Sénat et l'Assemblée nationale doivent d'abord voter en sa faveur.

Au cours de ce processus, il y a souvent des négociations sur la formulation finale d'un projet de loi afin de le rendre acceptable pour les deux chambres.

Des précédents européens

Il existe des précédents à l'initiative française ailleurs en Europe. L'Allemagne a décidé en 2017 de réhabiliter et d'indemniser environ 50 000 hommes condamnés sur la base d'une loi du XIXe siècle criminalisant l'homosexualité, qui a été élargie par l'Allemagne nazie et n'a été abrogée qu'en 1994.

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L'Autriche adopte une approche similaire, qui devrait entrer en vigueur l'année prochaine.

En Grande-Bretagne, où les relations sexuelles entre hommes sont devenues passibles de la peine de mort en vertu du Buggery Act de 1533, elles ont été dépénalisées en Angleterre et au Pays de Galles en 1967, puis en Écosse et en Irlande du Nord.

Cela ne s'appliquait toutefois que si les relations sexuelles avaient lieu en privé et que les personnes impliquées étaient âgées de plus de 21 ans.

Dans le cadre d'un récent "programme d'acceptation et de pardon", les Britanniques peuvent faire effacer les anciennes condamnations pour des délits homosexuels des dossiers de la police et des tribunaux.

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